Adieu, mon pote Mickey…
Mon cher Michel, je ne t’ai pourtant jamais appelé comme ça, ce sobriquet était réservé à une autre époque, à tes plus vieux amis, les copains et copines de la chorale universitaire et de la fac de sciences en Sorbonne, qui t’ont accompagné dans les fameuses tournées au Brésil. Tiens d’ailleurs j’entends d’ici la samba, de là-haut où tu dois retrouver un paquet d’amis de toujours et déjà faire la bamboche, avec une guitare trouvée dans un coin du paradis. Tu aurais pu avoir 1000 vies, Michel. Je me demande d’ailleurs si tu ne les as pas eues… Tu étais un artiste, un vrai, un personnage, et tu viens de t’envoler pour ton dernier tour de piste. « Et puis... mais ce n'est pas demain, il faudra que le soir vienne, je m'en irai sur le chemin, où nous attend la chienne, un par un, mon amour, mon amour… Quand je serai dans les nuages, c'est autre part, c'est autre chose, encore, mais sans toi, tu sais, je serai seul, là-bas dans l'autre image… ». Cette chanson de Serge Reggiani, que tu aimais tant, et que j’ai découverte grâce à toi (entre autres !), voici que cette funeste prophétie se réalise, « et ce n’est pas demain » devient « aujourd’hui »…
Michel Boullet fut prêtre, 60 ans durant. Du sacerdoce, il a tout exploré, ou presque : jeune vicaire à Cognac, prof de philo au grand séminaire de Poitiers, secrétaire-général adjoint à l’épiscopat et porte-parole des évêques, organisateur (avec d’autres) des voyages du Pape Jean-Paul II à Lourdes (1983) et Lyon (1986), directeur de la toute jeune antenne de RCF en Charente (RCF « Accords »), vicaire épiscopal des zones de Ruffec et Confolens, curé-doyen de la cathédrale et du centre-ville d’Angoulême, organisateur du festival off de bande-dessinée chrétienne (avec Jean-Claude Renaud), aumônier de multiples groupes, tennisman le samedi matin, montant en chaire le dimanche, et même… retraité.
Finalement, la seule chose que tu n’as pas faite, c’est évêque. Beaucoup – dont je suis – ce sont souvent demandés pourquoi ? Avec un tel parcours (excusez du peu !) : collège et lycée Saint-Paul d’Angoulême, faculté de sciences à la Sorbonne, séminaire des Carmes de l’Institut catholique de Paris, jusqu’à Rome pour les visites à Jean-Paul II, et cette passion pour les médias, dans lesquels tu étais si à l’aise, admirant ton mentor, Jacques Chancel (dont tu copieras intelligemment la fameuse Radioscopie sur RCF Accords, et que tu nommeras Rencontre, tout un programme…) ; sosie de Jean-Pierre Elkabbach, dont tu joueras des tours à quelques garçons de café parisiens… Bref, tu avais un sacré CV ! Et puis non, tu n’as jamais été évêque, et j’allais dire tant mieux, tant mieux, pour nous ! Nous t’avons gardé jalousement pour nous seuls… Et on en a bien profité.
Homme de convictions plus que de certitudes, tu as enchanté toutes les rencontres que tu as eu la chance et les possibilités de faire. Croyants ou non-croyants, anticléricaux « bouffeurs de curés », tu n’aimais rien tant que les rencontres. Avec « d'anciens alcooliques, des sortis de taule, des jeunes, des vieux. C'est toujours un bonheur de rencontrer les personnes dans leur vérité. Il faut aimer les gens comme ils sont et non pas comme on les projette.», comme tu l’avais confié à Charente Libre en septembre 2011, au moment de prendre ta « retraite », à… 79 ans.
Nous nous sommes vraiment connus qu’au milieu des années 90, en revenant d’un pèlerinage des jeunes de Charente à Lourdes. C’était au printemps. Nous rentrions de trois jours fatigants mais si exaltants comme à chaque fois, la voix cassée par les chants, les cris, les courtes nuits. J’étais dans le même bus que toi pour le retour, et tu as pris le micro – objet fétiche que tu chérissais – pour commenter l’arrivée place Mulac à Angoulême à la façon des commentaires du tiercé par Léon Zitrone, en improvisation totale. Tout le monde riait à s’en tenir les côtes… Et moi, je me disais : « mais qui c’est, ce gars ? Quelle est cette étonnante liberté ? ».
J’ai, quelques années plus tard, eu davantage de temps pour te connaître, quand tu m’as ouvert la porte d’une petite chambre dans ton presbytère de la rue Fénelon, été 1998, alors que l’atmosphère devenait irrespirable dans ma famille, et qu’il fallait que je fiche le camp d’urgence. Nous avons partagé presque 7 ans de vie dans cette maison du 18 rue Fénelon, d’abord pour quelques week-ends et des vacances, puis, comme jeune vicaire à tes côtés, où tu m'appris la plus fondamentale des leçons : la liberté est le bien le plus précieux qui soit, même si ça dérange.
Mon cher Michel... Nous avons tant partagé, tant ri, pleuré aussi quelquefois mais plus rarement, seulement dans les circonstances tragiques de la mort de mon père, et tu fus ensuite un si bon père de substitution, en mieux, car plus libre. Tu fus tout à la fois un ami, un frère, l'oncle que je n'ai jamais eu, un modèle, un père, au sens spirituel et au sens familial. De toi 1001 souvenirs restent gravés dans ma mémoire, des sorties au théâtre dont nous parlions 8 jours avant et encore 8 jours après ; les repas de Noël à 2h du matin une fois la cathédrale enfin rangée et fermée, avec Pierre le sacristain et nous refaisions nos guerres, toi au service militaire comme sous-lieutenant au Cameroun et moi dans les parachutistes coloniaux à Mont-de-Marsan ; quand nous mettions en boîte l'évêque et ses (nombreuses) névroses ; l'inoubliable dîner improvisé avec les restes de Noël le soir de la tempête de 99, avant que le courant ne se coupe définitivement et qu'on croit arrivée pour de bon l'apocalypse, ivre du magnifique bordeaux que tu avais ouvert ce soir-là, prétextant que si ça devait être la dernière bouteille, autant que ce soit la meilleure... ; les festivals de BD chrétiennes à Angoulême et les grandes tablées avec les dessinateurs ; les blagues au second, troisième, quatrième degré ; les imitations d'Elkabbach dont tu fus le sosie plus jeune, celles de Jean-Paul II sur la fin de sa vie ; le pied à l'étrier que tu me mis à la radio RCF Accords, pour une chronique cinéma de 3 minutes dont on sait où elle m'a ensuite conduite ; le commentaire en direct à la radio depuis la sacristie pour la messe hommage après la mort du Pape ; et, bien sûr, cette inénarrable chanson de Raoul de Godewarsvelde, « Rrrrraoul, le roi du tango », que tu as chanté ad libitum, jusqu’à l’usure, sans jamais, jamais nous lasser, dans tous les dîners, rencontres, rassemblements...
Michel, je t'aimais. Beaucoup. Énormément. Infiniment. Ta disparition, je le savais - je la redoutais - était dans l'ordre des choses, à 92 ans. Mais quand même, tu aurais pu éviter de faire ça le jour de ton anniversaire... Encore une dernière pirouette dont il faut rire, alors ? Aujourd'hui, je ne peux pas. Demain, peut-être... Comme tu aimais à dire à la fin de tes propres discours : « Je n’aurais que trois mots : bravo, courage, et merci ! ». Merci Michel. Merci « Mickey ». Merci « mon frère ». Merci « mon père ». Merci infiniment.
F.S.
[RIP Michel Boullet, 11/04/1932 - 11/04/2024. Prêtre du diocèse d'Angoulême]
Tour de table, émission de RCF Charente avec mon interview sur la personnalité de Michel Boullet, à écouter ici.