"Ce toit tranquille où marchent les colombes"
25 Juillet 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
Trois mille quatre cent quatre mètres. Pour les rabat-joies qui ne jurent que par les Alpes – il y en a hélas – ce plus haut sommet des Pyrénées ne les fait point fantasmer. Ils ont tort, mais peut-être pas complètement : seraient-ils en effet capables d’en atteindre le sommet du crâne ? Pas si sûr…
Nous avons laissé la voiture en contrebas d’un lieu au nom comme une promesse : les Hospices de France. Un des plus vieux lieu de passage de la France vers l’Espagne, et inversement. Une auberge, un abri, un lieu de soin et de réconfort à l’époque où traverser la frontière signifiait encore quelque chose de terrifiant, une famille d’épicier du nord de la France n’ayant pas encore créé une célèbre marque d'équipement de sport à prix défiant toute concurrence...
Luchon d’un côté, Benasque de l’autre. Entre les deux, une vingtaine de kilomètres mais surtout un gros millier de mètres de dénivelé. Il faut en effet franchir le « Port de Venasque » à 2.445 mètres, entaille creusée de toute pièce dans la roche pour permettre un passage plus aisé qu’au col de la Glère (quel horrible nom !) quelques hectomètres plus à l’ouest. Pas de quoi nous effrayer, d’autant plus que le village de Benasque n’est point notre but final. Notre but, c’est l’Aneto, le plus haut sommet de la chaîne pyrénéenne, à 3.404 mètres. Il nous salue autant qu’il nous défie sitôt embouqué le Port de Venasque.
Quelques arpents plus bas (500 m de dénivelé quand même), une courte remontée permet de poser son sac et sa paillasse près du refuge de la Renclusa, sorte d’auberge espagnole bourrée d’Espagnols, justement. Son nom me fait toujours penser à « réclusion », allez savoir pourquoi… Le repos du guerrier y est cependant nécessaire, les choses sérieuses commenceront demain dès le lever du soleil. Nous nous couchons enveloppés dans une couverture d’étoiles, rien que le moelleux d’un sac de couchage entre elles et nous…
Le jour levé, et nous avec, il faut partir en suivant la caravane de marcheurs vers la Mecque du Pyrénéisme, la Jérusalem de roche et de glace, quasi céleste. S’embarquer dans des pierriers, sauter les blocs, atteindre, enfin, une brèche nommée « Portillon supérieur ». De là, le sommet apparaît plus précisément, mais on devine qu’il n’est pas encore sous nos semelles. Ces dernières seront rapidement revêtues de crampons, la neige est là, la glace aussi, en pente douce d’abord – alternant avec les rochers – puis plus nettement en tirant est/sud-est le long des flancs du sommet désormais tout proche. C’est là que le camarade décide d’effectuer un peu de maintenance sur ses crampons, ces derniers ayant lâchement décidé de lâcher prise dans la première partie. Il faut toujours vérifier son matériel avant de partir, pour éviter la trop grande confiance qui peut s’avérer néfaste une fois dans le merdier.
Sitôt la neige abandonnée, « il ne reste plus qu’à » suivre une crête sommitale et franchir l’ultime difficulté, à 25 mètres à peine du sommet : le « pas de Mahomet », que bon nombre de croyants comme d’athées ne franchiront jamais, vertige oblige. Dommage, même assis ça passe, et le prophète de la soumission ouvre sur un autre qui a mal terminé sa vie puisque c’est une croix métallique qui nous accueille, pour la seconde fois en 7 ans, au sommet de ces 3.404 mètres d’altitude et de bonheur absolu. La vue, totalement dégagée, porte aussi loin que nos petits yeux veulent bien aller. Pas un bruit, pas un souffle d’air ou c’est tout comme. Aucun emmerdement à l'horizon.
Là sont les dieux et leurs sièges royaux. Pauvres mortels nous n’y sommes que brièvement tolérés, avant de redescendre par le même chemin (et donc aussi le même pas de Mahomet). Mais nous sommes chargés de souvenirs - ce qui doit peut-être nous différencier des dieux de cet Olympe pyrénéen - aussi et même surtout chargés de l’envie irrépressible de revenir là, un jour, sans tarder.
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