Reflets
22 Octobre 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne
(À Hélène)
C'est l'histoire d'un reflet. Un simple reflet d'un géant de pierre, de "Jean-Pierre", une des explications à l'appellation familière du Pic du Midi d'Ossau, dans la vallée du même nom, sommet emblématique du Béarn pyrénéen.
Cet endroit me fascine depuis plus de 23 ans. Depuis la première ascension du "géant de pierre" en août 1997, au sortir d'un service militaire qui nous avait affûtés, mon camarade et moi, conséquence nous y étions montés quatre à quatre. Un bouteille de jurançon avait fait le reste pour stimuler la descente...
Chaque année pendant presque vingt ans, je suis retourné caresser ses flancs de ma sueur, de mes mains et de mes godillots, jusqu'à quinze ascensions. Ce sommet se prend par la face nord - nord-est, ce qui est rare. On arrivait par le côté est, du col et refuge de Pombie, dominant le cirque d'Anéou ("les neiges", en Béarnais). Je préfère le dire à ceux et celles qui trouvent ce comportement étrange : cette lubie ne cessera que lorsque mes genoux ne pourront plus me porter (et encore ! je me demande si je ne trouverais pas un moyen de...). Et puis, un jour, je suis allé voir de l'autre côté, "en face", côté ouest, près du col d'Ayous, qui marque la limite entre Ossau et Aspe, "ceux d’à côté". Négligé jusqu'alors car le considérant trop "touristique", je suis monté aux fameux trois lacs d'Ayous (Roumassot, Miey, Gentau) auquel s'ajoute un quatrième, au dessus du refuge plein sud en direction du Pic Castéreau : le lac Berseau. De ces quatre lacs, un seul attire le marcheur munit d'une paire d'yeux, jusqu'à la fascination : le lac Gentau, sous le refuge d'Ayous, à 1947m. On s'y presse nombreux dès que la saison le permet. Curiosité de la nature, lorsque le vent cesse et que la lumière du jour passe au sud, puis à l'ouest, le Pic s'y reflète comme votre visage dans le miroir d'une salle de bain. Encore mieux : certains soirs, quand le ciel flamboie, que le rouge et le noir s'apprêtent à "s'épouser" (merci Grand Jacques !) que l'atmosphère cesse de respirer, le miroitement est parfait. Plus rien ne bouge, pas un souffle d'air ne trouble la surface de ses eaux tranquilles ; la montagne prie : il n'y a plus qu'à communier.
C'est l'heure des braves, des chanceux, des amoureux des Pyrénées et de la vallée d'Ossau, l'heure de grâce où Marie même saluerait la Vierge - ou l'inverse, c'est selon - l'heure où les yeux crèvent d'une beauté mirifique, absolue. L'heure où l'on retarde celle du coucher, si jamais le spectacle voulait bien recommencer là, sur le champ.
C'est l'heure où la montagne se fait lascive, après avoir chauffé au soleil d'été, ou frissonné aux frimas de l'hiver ; l'heure où Pyrène se couche près de son Hercule, comme dans la légende, pour s'aimer toute la nuit et donner son nom à cette chaîne de montagnes calcaire, la plus haute d'Europe. C'est l'heure où l'on regrette de n'être point immortel, pour rester là, calme et fou, pour admirer, chaque jour qui passe et chaque fois que le vent se calme, le prodigieux spectacle de ce reflet d'éternité.
Photos (c) Fred Sabourin.
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