Dans l’œil des félins
21 Avril 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement
Il n’y a pas d’autre mérite que de payer son entrée dans un zoo pour observer, en toute sécurité, des animaux « sauvages » (nés pour ainsi dire tous en captivité), quand il nous faudrait des jours et des jours d’approche, des ruses de félins, pour n’apercevoir à l’état naturel qu’une tache sombre au loin, ou l’éclat d’un pelage plus ou moins blanc selon l’animal. Sylvain Tesson, dans La Panthères des neiges, résumait les affûts d’une de ses formules qui font mouche : « Au tout, tout de suite, de l’épilepsie moderne, s’opposait le sans doute rien, jamais de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable ! ».
Je ne suis pas du tout photographe animalier, j'ai peu de goût pour ça, encore moins de talent, ni de matériel adéquat. Je considère la photographie animalière comme un sacerdoce. J'ai beaucoup d'admiration pour cet ordre quasi monastique capable de passer des heures, des jours, des semaines à l'affût sans mot dire pour ne capter parfois qu'une image, et, comme disait Tesson précédemment, « sans doute rien ». Je songe au Vosgien Laurent Munier quêtant sa panthère sur les plateaux du Tibet par -20° ; au Solognot Laurent Charbonnier guettant les cervidés dans les matins humides et froids de Chambord ; à Jean-Michel Bertrand dans la vallée du Champsaur, près des Écrins, à la poursuite du loup... Mais je dois reconnaître que mardi dernier, au zoo de Beauval dans le Loir-et-Cher, le regard captif des félins m'a fasciné, dérouté, retourné. Je me suis demandé toute la journée - et une bonne partie de la nuit - ce que ces bêtes admirables pouvaient bien penser, en nous voyant, en me voyant empoignant mon fidèle boîtier Nikon, objet cyclope noir, pour essayer de capter « l'image du jour ».
Car plusieurs fois en effet, j’ai croisé le regard appuyé de ces fauves en liberté surveillée. Trois fois ce fut particulièrement puissant, tellement puissant que j’ai eu, la dernière fois, du retard à l’allumage pour saisir le moment où ce jaguar, se relevant brusquement, se dirigea droit vers moi, vers nous devrais-je dire puisque nous étions quatre ou cinq, dont un autre photographe. Ce jaguar bondit vers nous, déterminé, en nous fixant sans arrêt, puis disparu dans le fossé qui sépare – c’est heureux – les 6000 m² où s’ébrouent ces fauves du public, sans grillage ni vitre, par conséquent. L’une d’entre nous a dit : « on est sûr que le fossé est assez profond pour qu’il ne saute pas vers nous ? », ce à quoi, bravache, j’ai répondu : « on ne va pas tarder à le savoir… ».
La seconde fois c’était ce tigre blanc qui pris la pose, en grand habitué qu’il est probablement, mais il y avait je ne sais quoi dans l’air ce jour-là pour que ces félins nous transpercent du regard comme ils l’on fait. C’était fascinant, et je ne pouvais m’empêcher, dans un élan d’anthropomorphisme mal placé, d’imaginer ces animaux pensant. À quoi songent-ils, nous chouffant dans le blanc des yeux de leur regard amende de panthères, de léopards, de tigres, de jaguar ? Imaginent-ils la barbaque fraîche derrière l’objectif, ou rêvent-ils de liberté, qu’ils n’ont finalement jamais connue mais dont on sent bien que l’instinct est tapi là, prêt à bondir de nouveau, derrière ces pelages tachetés ? « C’est lorsqu’on ignore qu’on sait regarder », disait le journaliste Jacques Chancel dans une de ses Radioscopie. Alors ces félins savent voir, et regarder…
« Elle nous a repéré, pensai-je. Que va-t-elle faire ? Bondir ? Elle bâilla. Voilà l’effet de l’homme sur la panthère du Tibet » (ibid.). C’est l’effet que j’ai dû faire sur le premier félin croisé, cette splendide panthère des neiges, qu’il aura fallu six ans et autant d’affût à Laurent Munier pour la faire entrer dans le cadre de son boîtier reflex. Comme au zoo d’Asson, dans le Béarn l’été dernier, il ne m’aura fallu que quelques dizaines de minutes après avoir passé le portique d’entrée du zoo pour croiser son bâillement (pour la première), et une langue aimablement tirée (pour la seconde). Celle-ci se repaissait-elle en secret du déjeuner qu’elle aurait fait de moi, si le grillage n’avait pas été entre nous ?
« Vivre dignement dans l’incertain », écrivait Jacques Chardonne dans Le ciel par la fenêtre. C’est l’humilité que nous enseigne ces animaux – félins, ou autres – certes en captivité mais finalement bien davantage protégés qu’à l’état naturel, où réchauffement climatique, pollution et chasses débridées menacent leur existence en permanence. « Il restait 5000 panthères dans le monde. Statistiquement, on comptait davantage d’êtres humains en manteaux de fourrure ». Ceux-là ne connaîtront jamais le prix d’un échange de regard avec ces félins, sondant nos esprits tourmentés d’humains en perdition sur la terre, au bord de l’irréversible destruction…
Photos (c) F.S.
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 130 l'évènement
- 101 émerveillement
- 87 montagne
- 81 chronique cinéma
- 78 voyage - voyage...
- 62 édito
- 53 littérature
- 53 quelle époque !
- 45 Presse book
- 42 étonnement
- 39 rural road trip
- 32 Lettres à ...
- 32 concept
- 28 regarde-la ma ville
- 22 poésie
- 19 drôle de guerre
- 17 cadrage débordement
- 8 coup de gueule
- 4 religion
- 1 patrimoine