le jour d'après... Une chronique sur la vie d'aujourd'hui
Etat grippal
Le poulet éternue et l’Europe frissonne. Le canard tousse et la France tombe malade. Il y avait déjà cet hiver qui n’en finit pas de jouer les prolongations, mais voilà qu’en plus la grippe aviaire a franchi nos frontières. On dépense sans compter pour qu’elle ne nous saisisse pas. Des millions d’euros, débloqués comme par miracle, alors qu’il faudra des années voire des décennies pour combler le « trou de la sécu » ou faire avancer la recherche sur le SIDA ou le cancer. La vie est une question de priorité, on le savait déjà.
Si la grippe aviaire nous crée du souci, c’est aussi pour des raisons très franco-françaises, et qu’on aime bien, chez nous, se faire peur avec des épidémies. C’est vieux comme le monde, et vieux comme l’histoire. Rappelez-vous récemment la psychose autour du « Sras » dont on a oublié jusqu’au nom, cette peste moderne véhiculée par un objet au capital sympathie toujours actuel malgré l’e-mail : la lettre du facteur.
Et puis, au pays de Molière et d’Hugo, il faut reconnaître qu’on aime bien être malade, même imaginaire, car on aime conserver notre titre de champion du monde de consommateur de médicaments. Ca rassure. Cette grippe tombe à point nommé, d’autant plus que la volaille a elle aussi un capital sympathie plutôt confortable, aliment quasi numéro un des assiettes dominicales, assorti avec des haricots verts ou petits pois carottes. En soignant les volailles, on se soigne en même temps.
Enfin, la grippe aviaire nous crée du souci car elle tombe… du ciel ! Les oiseaux migrateurs, qui d’ordinaire rapportent avec eux des bonnes nouvelles, celles d’un printemps et d’un futur été qui ouvrent des promesses de jours meilleurs, cette année sont porteur de la pire des migrations : l’épidémie. Le rêve d’Icare tourne au cauchemar… Quoi de plus tranquille, quoi de plus « benaise » comme on dit en Charente, qu’une basse-cour où piétinent les poules et canards, comme des coq en pâtes… ? Le symbole même de la France est touché par cette grippe aviaire, et gageons qu’on ne verra pas sur les stades de rugby courir les coq pendant le tournoi des six nations comme les autres années…
Plus que jamais, le proverbe bolivien est d’actualité, pour nous faire prendre un peu de hauteur avant de céder aux frissons de la panique des états grippaux : « mieux vaut jeûner avec les aigles que de picorer avec les poulets ».
Restons couverts…
poème
Ivresse au port
Sur l’esplanade du port de Barcelone,
Son cri et sa voix résonnent.
J’ai tourné la tête, car je reconnaissais,
Les paroles de l’ivrogne qui gueulait en français.
Il parlait seul certes, mais malgré lui à la cantonade,
Et c’était un spectacle curieux remplissant l’esplanade.
La barbe hirsute, abondante et fort drue,
il se tenait debout, mais il avait trop bu.
Sa chanson recto tono parlait de guerres et d’assauts,
Pour un peu on voyait sortir de lui de sable d’un pays chaud.
Joignant ses lèvres, par moment il sifflait,
D’admiration pour ce qu’il racontait.
Je regardais ce singulier spectacle croquignol,
Et disais en moi même que même en français,
L’ivresse des marins du port est aussi espagnole.
(Espagne, L’Ametlla de Mar, 23 février 2006)
Pour fêter le retour de l'actu sur le blog, un cliché pour les yeux... C'est à Lisbonne, en attendant Barcelone...

le jour d'après...
et mon œil alors … ?
Ca ressemble un peu à l’histoire de « l’arroseur arrosé ». Dans le cas présent, ça serait plutôt le « photographe photographié ». La scène se passe à Belèm, tout près de Lisbonne. Dans le monastère St Jérôme, un bijoux saisissant de pureté aux proportions architecturales parfaites, des touristes déambulent. Saisi par la beauté du lieu, à couper le souffle, assis sur un banc de pierre du cloître, j’observe, avec mes deux yeux, toutes prunelles dehors, le spectacle édifiant et ubuesque que la technologie ultra-moderne offre à ceux qui veulent bien regarder.
Neuf touristes sur dix possèdent un appareil photos numérique. Parfois, au sein d’un même couple, chacun a le sien en main. Lorsque le visiteur entre dans le cloître, il porte instinctivement l’objet aux 5 millions de pixel devant son visage, stagne quelques secondes, prend le « cliché »… et… s’en va ailleurs ! Incroyable : l’homme moderne est atteint d’une sorte de cécité technologique et numérique : il ne sait pas regarder, admirer avec ses propres yeux ! Il faut qu’il photographie tout ce qu’il découvre… ! Il faut qu’il regarde à travers l’écran numérique les merveilles du monde ! La scène se répète dans l’église abbatiale, où, pris par le jeu de l’observation de mes contemporains, je recommence l’analyse. Idem à la tour de Belèm, face au Tage, face à la mer. Idem dans les ruelles pavées du vieux Lisbonne… Idem partout, toujours : une cohorte de cyclopes numériques, qui n’auront vu la beauté de ces lieux qu’à travers l’écran de leur appareil photos numérique…
Je suis heureux de découvrir ces lieux, simplement armé de mon carnet et d’un stylo. J’ai la chance de ne pas avoir d’appareil photos numérique, ce qui ne manquera pas d’étonner ceux qui en ont, et qui, rendu chez eux devant l’écran de leur ordinateur, verront, avec leurs yeux, un homme en arrière plan des photos prises, qui ne possédait pas le si précieux et indispensable objet technoïde, accessoire indispensable de « l’homo-touristicus-moderne »… J’aimerai partager avec eux mes interrogations : combien de fois, réellement, seront visionnées ces centaines et centaines de photos numériques prises en ces lieux ? L’abondance d’images sera-t-elle source d’émerveillement retourné chez soi ? A quelle angoisse vient répondre se besoin impérieux de « ne rien rater et tout emporter » ?
Quelle est cette « tribu » d’hommes et de femmes si pressés de prendre des photos… sans regarder avant le lieu dans lequel ils se trouvent ? L’évangile disait déjà : ils ont des yeux et ils ne voient pas… Ca n’a sans doute jamais été aussi vrai !
Cette chronique achevée, je fermerai les yeux, à la recherche imaginaire et sensorielle du monastère « Dos Jeronimos » de Belèm… J’y retrouverai cette sensation superbe et magique, sensuelle et visuelle de ce cloître aux dimensions parfaites. J’entendrai la voix des moines me chanter : Ouvre mes yeux, Seigneur…