Onze novembre
10 Novembre 2010 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement
La guerre et ce qui s’en suivit
Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secouent
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri
Louis Aragon
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C’est mon jour préféré de l’année. Curieuse manie que d’aimer un des jours les plus tristes et célébrant la fin d’une des plus grandes boucheries que la terre ait engendrée. Mais c’est comme ça depuis un jour de novembre 1983. Ce jour-là, dans la solitude de ma chambre de fils unique j’ai ouvert mon livre d’histoire de cours moyen deuxième année, au chapitre « Première guerre mondiale ». Parmi les photos et cartes essayant d’expliquer à un minot de dix ans ce qu’était cette guerre et comment elle avait bousillé ses semblables âgés d’à peine vingt ans, il y en avait une présentant la vie dans les tranchées. C’est difficile à croire, mais cette photo m’a littéralement sidéré. On y voyait deux ou trois poilus, en habit de guerre, masque à gaz sur le nez, affalés contre la tranchée, attendant je ne sais quoi. S’en est suivi une frénésie et une boulimie de tout ce qui pouvait, de près ou de loin, toucher à la vie des tranchées : livres, films, photos, tout y passait pourvu qu’on y évoque la dure condition des poilus, la vie au front, les premières lignes, l’imbécilité des officiers supérieurs, l’arrière et ses BMC (bordels militaires de campagne), la Madelon, et surtout : les lettres. Courriers écrits sous le feu d’acier et de sang, à l’abri de fortune entre deux averses de la bataille de l’Argonne ou de la Somme, et Verdun. Verdun… !
Jusqu’au jour où, à la maison de retraite où n’en finissait pas de mourir mon arrière grand-père né un 11 novembre (en 1900, ce n’était pas encore un jour férié), son voisin de chambre « qui avait fait Verdun » me montre, en soulevant un pan de sa chemise, deux trous de balle rapportés du front. On les voyait encore, ces trous, et tel Saint Thomas, je voyais, et croyais.
Aujourd’hui c’est donc le 11 novembre. Il y a 92 ans, l’armistice était signé dans un wagon à Rethondes, en forêt de Compiègne, à 5h15 du matin, l’heure des braves. Les braves cons qui étaient morts au combat, et les braves survivants gazés ou gueules cassées à la vie éternelle. C’était la fin d’un conflit qui éradiqua de la planète vivante l’équivalent de la Belgique actuelle. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. C’est ce que se disaient ceux qui montaient au front. Plus pour longtemps.
Soldats de la guerre 14, je vous salue, hier, aujourd’hui et demain. Il nous reste vos noms écrits en lettres d’or sur nos places (Aragon) et ces milliers de pages, lettres écrites à vos familles : pères, mères et femmes, fiancées et amis. Avant, pendant, et après l’heure de votre mort.
Ainsi ne soit-il plus jamais…
14-18 c'est là aussi : Armistice ; et également ici : faire-part de décès
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