Quelques heures de printemps
3 Octobre 2012 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma
Film de Stéphane Brizé. Avec Vincent Lindon, Hélène Vincent, Emmanuelle Seigner.
Dans le film il y a un puzzle, qu’Yvette – magnifique Hélène Vincent – s’emploie à vouloir terminer alors qu’elle se sait condamnée par un cancer. Régulièrement, sous l’abat-jour de son séjour très propre dans un pavillon de ville moyenne de province qui l’est tout autant (ici, la Saône-et-Loire), on la voit qui cherche la bonne pièce. Dans la chambre, à côté, son fils, la quarantaine fatiguée (Vincent Lindon, éblousissant), fume des clopes la fenêtre ouverte. Il sort de 18 mois de prison, et peine à retrouver du boulot. Il était routier. Il est à quai, chez sa mère. Il est revenu dans sa chambre, mais pas chez elle. Ils s’évitent.
Yvette a un cancer, mais en parle peu à son fils. Et pour cause : elle a pris contact avec une association suisse censée l’aider à mourir dans la dignité, avant qu’elle ne devienne un légume et souffre trop pour décider de son sort. Son fils découvre tout ça par hasard en cherchant des somnifères dans un tiroir. Les choses vont changer, leurs relations aussi. Elles vont surtout empirer : Alain quitte la maison de sa mère après une forte engueulade, et se réfugie chez un voisin, ancien routier, comme lui. La décision d'Yvette semble de plus en plus irrévocable, comme l’évolution de sa maladie : elle est foutue, elle va mourir et se faire aider pour cela. Par le truchement de son chien qu’elle tente d’empoisonner (mais qui survivra, lui !), elle renoue avec son fils, qui revient vivre chez elle. Il va alors l’accompagner jusqu’au bout, c'est-à-dire jusqu’à sa mort à laquelle il va assister, en direct.
Stéphane Brizé, le cinéaste qui nous brise. Depuis trois films, il sait trouver, sans nul autre pareil, le ton juste pour évoquer des sujets graves sans en rajouter avec le pathos. Brizé ne filme pas, il nous emmène dans la vie simple des gens simples, aux relations parfois terriblement compliquées. Dans Je ne suis pas là pour être aimé, avec Patrick Chesnaie et Anne Consigny, il avait fait douter une future jeune mariée avec un bougre de notaire fatigué et usé jusqu’à la corde, empêtré dans la relation avec un père acariâtre. Dans Mademoiselle Chambon, il avait peine à faire dire à ce couple adultère les sentiments qu’ils éprouvaient sans mot dire (avec Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain). Avec Quelques heures de printemps, il aborde le sujet casse-gueule de la fin de vie, du droit à mourir dans la dignité, tout ce dont on va entendre parler en polémiquant à outrance dans les mois qui viennent.
Mais résumer Quelques heures de printemps, à cette seule thématique serait passer à côté du film de Stéphane Brizé. Le seul vrai sujet du film est celui de relations manquées. Celle d’Yvette avec la vie et son fils. Celle d’Alain avec lui-même et avec sa mère. Celle d’un amour qui n’a jamais pu se dire, plus par manque d’envie que par courage. Le vieux chien sert à peine de trait d’union entre ces deux êtres que rien ne semble plus illuminer, Yvette et Alain se disputant le peu d’affection par son intermédiaire.
Stéphane Brizé produit à nouveau un film ciselé, âpre, beau et terrible à la fois. Sans issue autre que celle qu’il nous offre à contempler, si l’on peut dire, avec une économie de mots et de gestes. Chacun de ceux qui seront portés ou proférés sont là où ils ne pourraient être ailleurs, et chaque plan apporte son lot d’abandon à cette vie corsetée de tics pour Yvette, d’échouage pour Alain, enfermé dans une armure.
À la fin Vincent Lindon quitte le cadre et nous laisse là, avec un paysage d’arbres soufflés par un léger vent, au soleil d’une fin d’après midi qui s’annonce belle. Cette lumière nous transperce, littéralement, alors qu’on vient de passer 1h48 dans le noir.
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