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Le jour. D'après fred sabourin

La Loi du marché

21 Mai 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma, #Presse book

Vincent Lindon : un acteur physique

Vincent Lindon : un acteur physique

Le nouveau film de Stéphane Brizé est une expérience radicale de réalité sociale : la vie d’un chômeur et la jungle dans laquelle il doit se débattre pour s’en sortir. Avec un acteur professionnel, et une pléiade de non professionnels.

 

Stéphane Brizé (1) l’a avoué au micro de Caroline Broué dans La Grande table : La Loi du marché aurait pu se traduire, pour l’international, Dogs eat dogs. Les chiens mangent les chiens. À elle seule, cette indication en dit long sur la réalité sociale de l’œuvre tournée avec très peu de moyens, en très peu de temps, et mettant sur un même pied d’égalité un acteur professionnel – Vincent Lindon – avec des non professionnels jouant leur propre rôle.

 

Thierry (Vincent Lindon), 51 ans, a été licencié économique de son entreprise. Il vit dans un pavillon de banlieue avec sa femme et son grand fils handicapé mental. Dans une scène d’ouverture sans préavis ni générique, on le voit confronté à l’abrutissant entretien avec son conseiller Pôle emploi, impuissant et dépassé par la situation. Le décor est campé, brutal, chirurgical oserait-on dire : Thierry est un chômeur de longue durée, et il va en chier pour retrouver du boulot. S’en suivent plusieurs séquences toutes aussi réalistes les unes que les autres, aux frontières de l’absurde. On y voit successivement Thierry confronté à la recherche d’un travail, à la litanie des discours pseudo-managériaux lénifiants qui le marginalisent de plus en plus, le dévalorisent, le déshumanisent. Un entretien d’embauche via Skype où on lui signifie qu’il n’a finalement que très peu de chance ; un rendez-vous avec sa banquière qui d’une main cherche à l’aider mais de l’autre lui enfonce la tête sous l’eau ; un stage de requalification où les autres chômeurs ne sont pas tendres avec lui, etc.

Dans une seconde partie du film, Thierry est dans son nouveau travail : agent de sécurité dans un hypermarché. Une autre réalité sociale s’ouvre alors. Grâce à la vidéosurveillance (80 caméras dans tout le magasin), non seulement les clients potentiellement voleurs sont filmés, suspectés au moindre comportement bizarre, mais aussi les caissières. Le directeur du magasin cherche en effet à licencier du personnel pour augmenter ses bénéfices. Thierry assiste, malgré lui, à des scènes où certaines d'entre elles sont prises la main dans le sac, en train de dérober des bons de réduction ou de passer leur propre carte de fidélité lorsqu’un client n’en possède pas. Cette partie-là du film n’en est pas moins violente que la longue et fastidieuse recherche d’emploi. « Vous n’allez pas faire remonter ça pour des points de fidélité », dit l’une d’elles en toute fin de film. Et bien si. On y voit l’absurdité d’un système non choisit par les protagonistes, dont certains volent car ils n’ont même plus de quoi se payer un steak.

 

La Loi du marché est un film social, ce qui généralement n’est pas un compliment pour un film français. On pense spontanément au cinéma des frères Dardenne, à ceci près qu’ici, Stéphane Brizé ne se sert pas tant de la fiction que de la réalité sociale : nous sommes dans l’action, jusque dans la façon de filmer Thierry. Souvent au plus près, de dos ou légèrement de trois-quarts, « nous » sommes Thierry, nous voyons ce qu’il voit, ressentons ce qu’il peut ressentir. A ce jeu-là, Vincent Lindon, qui a déjà tourné deux fois avec Brizé (Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps) offre son jeu naturel, explosif, physique et au caractère affirmé. Cependant, l’expérience dans laquelle le réalisateur le plonge ne manque pas d’intérêt : confronté à des acteurs non professionnels assumant leur propre rôle – à leur sujet Vincent Lindon dit "des acteurs qui tournaient pour la première fois" – les dialogues et les situations prennent une densité, une âpreté et une véracité rarement vue auparavant. Il est possible que cela perturbe un peu certains spectateurs. Mais cela demeure une expérience de cinéma très forte, à la mesure de l’absurdité et la violence du déclassement ressenties par toute personne qui un jour a pu vivre ce type de situation.

 

A la fin, on voit Thierry quitter la scène brutalement, comme sur un coup de tête trop longtemps contenu. Sur le parking de l’hyper, alors que sa voiture disparaît, on aperçoit une enseigne lumineuse : "la Grande récré". Et La Loi du marché s’impose…

 

(1) Réalisateur en 2009 de Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps.

F.S 

 

Vincent Lindon : Prix d'Interprétation masculine au 68e Festival de Cannes 2015.

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