Seul(e) au monde
25 Août 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
C’est l’histoire d’une photo prise sans s’en apercevoir. Une photo de sommet, celui-ci se situe dans les Pyrénées-Orientales, près de Font Romeu. Le Pic du Puigmal d’Err, 2910 mètres. Ce pic n’est pas un foudre de guerre, loin de là, je le qualifierai même de très facile. Les 1000 mètres de dénivelés une fois la porte de la voiture claquée derrière soit sont une partie de plaisir, on ne les sent pas passer. Mais ce sommet est mythique pour les Catalans : frontalier entre la France et l’Espagne – pardon, entre la Cerdagne et la Catalogne – c’est un sommet fétiche des habitants du cru. Montagne pelée – j’oserai même écrire qu’il est moche sous son crâne chauve – son panorama offre des vues hétérogènes. Au sud, l’Espagne, au nord, Font Romeu et le massif du Carlit (beaucoup plus intéressant à se mettre sous la dent), à l’est, la crête filant vers le col de Nuria. Enfin, à l’ouest… d’horribles pylônes d’une station de ski, les flancs balafrés par les bulldozers pour en faire des pistes.
Ce sommet possède à mon sens un énorme défaut : il grouille constamment de monde, pratiquement toute l’année. Catalans venus de Nuria (environ le même dénivelé que par le côté français et absence totale de difficultés), et habitants de Cerdagne viennent là comme en pélerinage. Difficile d’y être seul, malgré un vent constant à écorner tous les cocus de la vallée (et Dieu sait qu’ils doivent être nombreux les bougres !). Ce jour-là ne dérogeait pas à la règle, lors d’une fugace et étonnante apparition du soleil dans l’épaisse couche de nuages qui semble s’être définitivement installée sur le pays. A 10h50 du matin, heure de notre arrivée, une bonne trentaine de personnes dont 95 % de Catalans à la voix rauque et parlant fort, se partageaient le sommet. La lumière était moche, du moins pas celle qu’on pouvait attendre malgré le contraste offert par les nuages qui montaient, déjà. C’est avec un certain scepticisme que nous avons donc sorti l’appareil photo. Quitte à avoir monté ses 2,5 kg, autant qu’il serve. Parmi les images, j’ai fait celle-ci. Unique, sans conviction, des trois repères ornant le crâne du Puigmal. Un poteau en ciment. Une sorte de hampe sur laquelle flottent des drapeaux (dont les insupportables autant qu’incongrus drapeaux de prière tibétains). Et une croix métallique ornée d’une cloche. Ça va paraître étrange, mais je n’ai pas tout de suite vu la femme assise, seule, au milieu de cette brocante montagnarde. Je ne me suis pas aperçu non plus que les autres Catalans avaient fichu le camp quelques mètres plus bas, essayant désespérément de s’abriter du vent qui soufflait dru et surtout bien frais. Le sommet se trouvait donc, par le plus grand des hasards, vide. Sauf cette femme-là.
J’ai pris d’autres photos, de l’horizon, de moi aussi avec le retardateur, mais je ne me suis pas trop attardé. C’est seulement une fois rangé dans la sacoche que j’ai vu la femme, qui semblait en méditation, absorbée par je ne sais quel Dieu de la montagne, esquissant même un sourire béat qui m’interpella. Assistait-elle à une apparition ? Après tout, c’était légitime : nous étions sur une montagne, face à la croix, il y avait grand vent et elle était seule : toutes les conditions étaient réunies pour que rapplique la Vierge Marie ! (et ne parle qu’à cette personne-là sans que je ne vois ni n’entende rien). Je l’ai observé un moment, aussi discrètement que je pouvais le faire. Elle ne bougeait pas et ne disait mot, jusqu’à ce qu’un homme flanqué de deux ados arrivent et lui parlent. A défaut de révélation mariale, c’était ce qui avait tout lieu d’être son mari et ses enfants qui parvenaient au sommet. Elle avait du arriver la première, et s’offrir ces quelques minutes de contemplation solitaire.
Elle avait bien raison, finalement. Débarrassé quelques courtes minutes de ses insupportables et bruyants « randonneurs » dont je n’évoquerai plus la nationalité de crainte de déclencher une guerre linguistique transpyrénéenne, la méditation est bien le seul luxe qu’on peut s’offrir ici, en plein vent, à 2910 mètres, seul(e) au monde, ou presque.
Et c’est en arrivant chez moi, plusieurs jours après, en regardant la photo sur l’écran de l’ordinateur que je me suis souvenu l’avoir prise, sans réfléchir, sans regarder le résultat sur le petit écran du Nikon, sans penser, sans arrière pensée, sans rien d’autre que le fait d’être là, et nulle part ailleurs. La journée ne faisait finalement que commencer. Elle était déjà bien remplie, mais je l’ignorais.
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