Les promesses de l’aube (drôle de guerre)
J’ai la chance d’avoir, tout près de chez moi, un petit chemin au bord d’un ruisseau qui permet de s’évader, seul et à l’aube, pour quelques enjambées. Traverser les rues un peu avant 7h du matin ressemble, depuis une semaine, à un long dimanche de 15 août. Il n’y a personne, et s’ils n’étaient quand même de sortie, on pourrait dire qu’il n’y a pas un chat. Ces évasions fugaces ne permettent pas seulement au corps d’éliminer les fortes tensions qui s’accumulent depuis le début du confinement – et dont chacun a compris que ça allait durer – elles permettent aussi à l’esprit de retrouver un peu de lucidité dans le merdier. Passé les premiers effets de sidération, nous devons retrouver la possibilité de penser, pour essayer de comprendre ce qui nous arrive, même dans la grande difficulté. Le moins qu’on puisse dire c’est que nous peinons tous à trouver une explication à ce qui nous arrive.
Ces « promesses de l’aube » – Romain Gary, que je n’ai pas encore lu, me le pardonnera j’espère – permettent de garder l’espoir, si possible, et de penser à ceux qui souffrent du confinement dans d’exiguës appartements des grandes villes, avec des enfants très jeunes qui ne comprennent rien à ce qui se passe, pourquoi on ne peut plus sortir, etc. Ceux qui souffrent de l’isolement et de la solitude forcée, que la folie guette. Le désespoir des dépressifs chroniques va probablement s’accentuer dans les jours et semaines à venir. La mort rôde. Elle ne devrait plus tarder dans notre région. Le climat se réchauffe, et il est anxiogène.
Promesses de l’aube aussi car si l’Homme a désormais déserté petits et grands chemins, sous-bois, alpages d’altitude et bords de mer, les animaux et les oiseaux s’en donnent, eux, à cœur joie ! Si ce constat ne venait pas s’ajouter au pathétique de la situation, nous pourrions nous en réjouir et en sourire, mais… Nos relations se trouvent entravées par cette saloperie de virus, alors que la nature est belle à fendre le cœur et se félicite presque de notre quasi disparition – momentanée on l’espère – lui permettant de vivre une inattendue résurrection, bien avant Pâques.
Cet après-midi, alternant la lecture d’un Malraux et de Tesson (j’aime les grands écarts), les tourterelles roucoulaient tranquillement, les pattes posées sur les antennes de télévision, qui ne servent plus qu’à ça. En collant mes mains et portant une petite fente entre les pouces à la bouche, j’imite leur chant depuis qu’un copain m’apprit ce truc il y a une bonne trentaine d’années. Comme un appeau portatif qu’on aurait toujours avec soi. Ma fille adore, cette technique me permet d’imiter les tourterelles, et les chouettes à la tombée de la nuit. Délaissant un temps ma lecture, j’ai alors engagé un petit dialogue avec cette tourterelle sans doute intriguée par la scène, avant qu’elle ne fuit vers d’autres antennes. Non, je ne me prends pas encore pour Saint-François d’Assise…
Pendant notre confinement forcé, les animaux reprennent possession de la nature – la transition écologique en 48h finalement c’est possible – et il faudra se méfier, le jour où nous retournerons dans les bois, les champs et les montagnes, que loups, ours et autres « prédateurs » (tels que nous les nommions avant le 17 mars dernier…) ne nous présentent pas, à nous aussi, la facture qu’on leur fait payer depuis si longtemps.
Les promesses de l’aube n’en seront que plus belles, le jour où, autorisés à retrouver les grands espaces, nous pourrons enfin nous réjouir de nuits à la belle étoile et de sa splendeur, nous crevant les yeux des beautés du petit matin. Aube, nous te faisons cette promesse de revenir te voir, et sentir ton haleine fraîche me sortir du sommeil forcé d'une nuit dans lequel le monde est désormais plongé.
Drôle de guerre…
Je t’écris cette lettre… (drôle de guerre)
À ma fille
C’est le week-end. Demain, c’est dimanche. Nous aurions dû, normalement, nous voir et être ensemble. Mais cette maudite crise épidémique du Covid-19 coronavirus nous empêche, cette fois-ci, de nous retrouver. Vendredi soir, j’aurai dû – et j’aurai pu puisque pour l’instant rien ne nous en empêche - prendre ma voiture et parcourir les 100 km qui me séparent du lieu de rendez-vous, avec ta maman qui elle aussi aurait fait la moitié du chemin. Nous serions rentrés heureux et joyeux de nos retrouvailles, comme à l’accoutumée. En temps normal, tu m’aurais demandé « qu’est-ce qu’on va faire ce week-end ? » et je t’aurais probablement répondu, vu la météo, « nous irons pêcher samedi après-midi ». J’aurais entendu ton exclamation de joie, car tu aimes beaucoup la pêche et moi aussi, ces après-midis au bord de l’eau, près du pont, à « taquiner le goujon ». Nous serions peut-être rentrés bredouilles, mais avec ta chance nous aurions sûrement accroché une ablette à notre hameçon, et vécu sans aucun doute quelques aventures, ou démêlé le fil de ta canne (ou la mienne !) pris dans des branches… J’aurais un peu pesté, mais pas trop : la pêche doit rester une école de patience, de mouvements comptés, et de silence.
Nous avons décidé de sursoir à ce week-end. L’inquiétude, face à cette crise sans précédent pour chacun d’entre nous, la peur te gagnent aussi, naturellement. Comme beaucoup d’enfants de ton âge, tu as parfaitement intégré que tu pouvais être porteuse de ce satané virus, ne pas en souffrir toi-même, mais le refiler à quelqu’un. C’est dur, à ton âge, de porter cette enclume au dessus du crâne. Quand j’avais ton âge, au début des années 80, c’était le péril d’une possible 3e guerre mondiale qui nous planait au dessus de la tête, et les images des journaux télévisés me hantaient parfois la nuit, où je voyais des manœuvres de chars soviétiques aux portes de l’Europe, des missiles braqués vers l’ouest – c’est-à-dire vers chez nous – des morts par centaines en Iran-Irak, Afghanistan, des coups de mentons et démonstrations de biceps entre les États-Unis et l’URSS, comme on disait à l’époque. J’avais peur, vraiment, mais finalement celle-ci restait à distance. Désormais elle est non seulement ici, mais son venin mortifère s’insinue dans nos veines, dans nos haleines, dans nos souffles de vie qui peuvent devenir pour les plus fragiles des souffles de mort.
Il conviendra, le moment venu, de réfléchir à tout cela, de « récapituler la situation » comme on dit, de philosopher sur tout ce que cela peut bien vouloir dire, et davantage encore ce que nous devrions changer ensuite dans nos comportements humains. Le moment n’est pas venu, nous vivons d’abord les évènements jour après jour. Demain ? On verra…
Aujourd’hui, tu me manques. Je m’inquiète pour toi même si je sais que tes conditions de vie sont bonnes et que maman fait tout ce qu’il faut pour toi. Je regrette d’être si loin pour ne pas pouvoir plus facilement faire l’échange, mais pour l’instant c’est probablement mieux ainsi. Pour éviter de m’effondrer, je songe que je pourrais être à la guerre, loin, au front, ou en opération, comme ces militaires de la caserne d’Infanterie de marine près de chez moi, dont j’entends parfois les chants des escadrons résonner jusqu’à ma rue, quand le vent les porte. Moi qui regrette parfois de ne pas avoir fait carrière chez les « paras », me voilà servi. Mais je suis comme tout le monde : confiné, cloué au sol, et je ne sais pas si je pourrais te voir le prochain week-end, ou s’il faudra attendre encore. Bien sûr d’autres vivent des séparations plus longues à la fois dans le temps et les kilomètres. Mais pour tenir, je me dis que je suis moi aussi au combat – puisqu’on nous parle de guerre - et que nous nous reverrons quand la paix sera revenue. Avec la liberté qui l’accompagne…
Hier je t’ai posté, comme chaque semaine, une lettre. J’ai appris le soir même que La Poste ne travaillerait pas samedi, ce qui retarde davantage le moment où tu la recevras. Cela m’attriste mais là aussi il faut faire preuve d’adaptation. J’imagine ta joie quand tu en découvriras son contenu. Si j’avais dû y mettre tout l’amour que j’ai pour toi, un colis de plusieurs centaines de kilos n’aurait pas suffit. Il faudrait un convoi exceptionnel pour te l’acheminer.
Je t’embrasse fort comme je t’aime, mais de loin, car ce satané virus nous attaque là où nous sommes à la fois les plus faibles, et les plus forts : l’amour et l’affection que nous avons les uns pour les autres, malgré tout.
Drôle de guerre. Putain de guerre !
A bientôt je l'espère.
Ton papa
Poètes, écrivains : des livres et nous ! (drôle de guerre)
Quatrième jour de confinement, c’est dur pour tout le monde et pour certains plus dur que d’autres on l’a bien compris. Entre ceux qui doivent continuer d’aller bosser coûte que coûte ; les parents confinés dans quelques mètres carrés avec leurs jeunes enfants qui pètent les plombs ; transformés en enseignants, femme de ménage et cuisiniers tout en « télétravaillant » ; les personnes isolées qui souffrent de la solitude davantage que d’habitude et ceux qui cherchent à s’occuper des « sans » (abris, sans travail, sans argent etc.), il reste peu de temps finalement pour glander, comme semble le faire une certaine classe bien « confinée » dans les résidences secondaires à la campagne.
Ce matin, le sage Sylvain Tesson était invité de l’interview de France Inter. Il a une certaine expérience, à la fois de « l’épilepsie du mouvement » comme il le dit parfois - il a arpenté le monde à pied, à cheval, à bicyclette avant d’être stoppé dans son élan suite à une chute d’un toit au cours de l’été 2014) – mais aussi du « confinement ». Certains ont peut-être lu avec délices Dans les forêts de Sibérie récit de six mois de réclusion volontaire dans une cabane au fond des bois et au bord du lac Baïkal, avec une bonne provision de bouquins et… de vodka. Plus récemment, il a raconté dans La Panthère des neiges comment il était resté à l’affût pendant des jours entiers avec le photographe Vincent Munier à la recherche d’une panthère aussi invisible qu’introuvable, sauf de manière très soudaine et fugace.
Tesson. On l’aime, ou il agace. Nous, on l’aime. Il apporte un éclairage intéressant au début de cette période qui s’ouvre, et dont chacun est persuadé désormais qu’elle durera plus de quinze jours. Mélange de réclusion involontaire - à géométrie variable quand même - de confinement quasi monastique - en plus confortable, c’est-à-dire avec le wifi dans toutes les cellules – bref une période où personne ne sait encore comment il va en ressortir. « La seule manière de ne pas succomber dans l’effondrement général, et le seul sur lequel on peut intervenir, c’est l’effondrement de soi-même. Ce que j’ai découvert c’est que la seule chose qu’on puisse faire c’est de ne pas engager une lutte contre le temps ; la guerre arithmétique contre les secondes qui passent, si on fait cela on est écrasé », dit-il. Il poursuit : « Il ne faut pas lutter contre le passage du temps, mais l’accompagner. Nous avons la possibilité aujourd’hui de transformer nos vies sous pression, nos vies hâtives, qui nous soumettaient en permanence à des injections de dire ce qu’on pense, de courir, il nous est offert l’exact contraire. Nous le subissons, mais si nous ne tâchons pas d’en faire quelque chose, c’est la double peine ».
On ne saurait mieux dire. Ici, c’est-à-dire de ce côté-ci du clavier, on continue de bosser, avec inquiétude même, afin d’organiser au mieux une distribution alimentaire pour les personnes en situation de (grande) précarité du nord-Charente où nous nous trouvons. C’est une angoisse de chaque instant, pour organiser au mieux l’itinérance chamboulée de l’aide alimentaire la semaine prochaine, mais maintenue quand même ! Ça n’empêche pas l’esprit de tourner, quand le soir approche, et que je regarde ces bibliothèques qui ornent quasiment chaque mur de ma maison. « Des livres, et nous », semblent dire ces rayonnages chargés à blocs de bouquins lus, pas lus, à moitié lus, en projet d’être relus… Cela faisait un moment que je jouais à la liste des dix livres que j’emporterais sur une île déserte au cas où, et je ne parvenais jamais à choisir, dans l’urgence, ce que j’emporterai vraiment dans ma valise si j’avais 24h pour la boucler et fuir dans une cabane au fond des Pyrénées (chacun son obsession géographique… Tesson, c’est la Sibérie).
Vingt-trois. J’en ai sorti vingt-trois des rayonnages – et encore, je ne suis pas passé devant celui des Pléiades j’en ajouterai deux, Verlaine et Baudelaire, ni devant les historiens, là je prendrai au moins Duby, Le Goff et Leroy Ladurie… Ce qui pourrait porter la liste à 30 bouquins « indispensables » à lire ou relire pendant ce temps de retraite forcé.
« Jamais sans mon livre » dis-je parfois quand je dois franchir le seuil de ma porte même pour quelques heures. Jamais sans les écrivains, romanciers, philosophes, poètes, essayistes, écrivains voyageurs… La liste est là, en photo sur le parquet de la cuisine. Ensemble, nous plongerons dans ces pages aimées, dans ces mots choisis pour panser nos plaies, nos maux d’être isolés les uns des autres – nous qui parlions il y a quinze jours encore de conquête de Mars et d’homme augmenté comme disait Tesson ce matin – nous nous délecterons de ces récits de voyages, ou écrits appelant à l’introspection, au retour sur soi, à l’ouverture solidaire aux autres, ces amis, ces enfants, ces voisins qui sont le quotidien de nos pauvres vies.
Et on commence avec un de mes préférés : René Guy Cadou, mort à trente ans laissant une œuvre conséquente malgré la fulgurance de sa vie…
Drôle de guerre...
Plain-chant
Reverrai-je la mer au bord des fûts tranquilles
L’arène bleue où juin roule dans les grillons
Parmi les herbes tapageuses
Depuis vingt ans mes bras coulent de mes épaules
La crue de mes poignets fait déborder mon cœur
Je veux aller plus loin que l’horizon d’ébène
Tresser des incendies par-dessus les moissons
Et fleuve me mêler au rut des carènes
Je suis seul
Mais tout seul je puis me délivrer
Élever dans mes mains mon front comme un bûcher
Écarter de ma bouche le rideau de la soif
Vivant je suis grand ce soir que tous les morts
Et puis la route est belle
Les toits portent très haut leur fardeau d’hirondelles
Un essaim de ciel clair s’effiloche au plafond
Je pars
Mon sang léger tinte dans ma poitrine
Vingt ans à mes côtés ombre que tu chemines
A la fin je suis las
Et je voudrais dormir
« Marche encore dans le vent et dans ton repentir
Dans les flots de silex et ta conscience aride
Homme
Je te reconnaîtrai bien derrière tes rides »
A quoi bon implorer
J’ai repris la besace
Bu mon visage noir tout au fond de la tasse
Et seul vers le midi j’arpente les rayons
René Guy Cadou, Morte-saison (1940)
La meilleure amie du jardinier confiné (drôle de guerre)
Alors d’abord je demande aux lecteurs qui n’auraient pas de jardin – même minuscule – de bien vouloir m’excuser. Être confiné dans une ville moyenne, avec un jardin (petit ou grand) n’est pas tout à fait la même chose que de s’entasser à quatre dans un 70 m² parisien ou d’une quelconque métropole, ou même seul dans un studio de 20m² avec vue sur l’asphalte en banlieue. Mais pour ceux qui ont encore ce maigre plaisir de pouvoir aller « au jardin », depuis hier ils auront remarqué que les villes et villages ne sont pas si « silencieux » qu’on veut bien le dire…
Car ça ronronne à tout va ! Si on entend presque plus les bagnoles, une autre a pris provisoirement le relais. La reine de ces deux premiers jours de confinement, c’est elle, que vous aviez abandonnée depuis l’automne dans un coin de la cave ou du garage ; celle dont il aura fallu des trésors d’ingéniosité et de sueur pour la faire démarrer (dans le cas d’une thermique), ou remettre la main sur l’enrouleur de la rallonge pour les électriques. « Chérie ? Tu l’as mis où l’enrouleur ? - Ben… chais pas, c’est toi qui l’a rangé à la fin des vacances de la Toussaint ! ». Vous l’aurez compris, je veux parler de la tondeuse.
Les premiers rayons du soleil printaniers – d’une insolente provocation après les quinze jours de pluie des vacances scolaires – ont fait pousser fissa l’herbe des jardins, qui en avaient déjà mis un coup mi-février lors du passage des grues, une « pelouse » tellement arrosée par endroit qu’elle n’était pas loin de nous chatouiller les aisselles… Il a suffit qu’un des habitants du quartier se saisisse de l’engin et de ses décibels (96 en moyenne), pour que tout le monde suive en chœur, dans une communion de folie jardinière. Certains ne se sont pas arrêtés-là et ce sont les taille-haies ou autres tronçonneuses qui ont joué leur partition, dans un joyeux boucan d’ordinaire un peu irritant il faut bien le reconnaître. Mais, dans le contexte actuel, ce bruit de voisinage nous rappelle avec délice que nous ne sommes pas seuls dans cette galère.
Car ces tondeuses qui déchirent depuis deux après-midi le silence pensant (pour les uns) ou bienfaisant (pour les autres) de la vie en ville, nous rappellent au besoin que si « l’enfer, c’est les autres », le paradis, finalement, aussi…
Drôle de guerre !
F.S.
Drôle de guerre (chronique de confinement #1)
Bon, chacun (ou presque) l’aura compris : nous sommes partis pour durer un sacré moment dans cette période où chacun est invité à rester chez lui, confiné comme on dit. Et ça n’est pas une mince affaire : d’ordinaire on cherche toujours du temps pour être chez soi à faire toute la liste des trucs qu’on se promet toujours de faire sans jamais pouvoir y parvenir, et maintenant qu’on offre à certains la possibilité de passer à l'acte, ça coince. Évidemment, je pense fortement à ceux qui doivent faire du « télétravail » avec leurs enfants en bas âge dans la maison – voire dans la même pièce – celui ou celle qui a décidé que c’était possible, c’est sûr, il n’a pas d’enfant !
Nous sommes en guerre donc. C’est le Président qui l’a dit. Ça fait bizarre quand même, d’entendre ça. Mes grands-parents, qui l’ont connue eux, la guerre, la vraie, parlait souvent de la « drôle de guerre », pour signifier ce que fut leur vie non seulement dans les mois qui ont précédé juin 1940, mais les quatre années qui s'en suivirent. J’ai toujours trouvé étrange cette expression, je ne savais pas si je devais en sourire ou en pleurer. Ils parlaient de cette période paradoxalement comme plutôt heureuse – ils étaient jeunes mariés – ils faisaient du « cyclotourisme » comme ils disaient, le système D fonctionnait à plein régime… bref, ils s’accommodaient, s’adaptaient. Ça n’empêchait pas la peur – comme celle qui les a saisis un jour de bombardement en 1944 où, me disait ma grand-mère, « on a tellement détalé que j’en ai perdu une chaussure », et à l’époque des tickets de rationnement le détail n’en était pas un…
Bon, dans tout ça, il nous faut essayer de garder le moral – à défaut du sourire, qui s’efface peu à peu des visages croisés à distance règlementaire – alors pour savoir comment faire quand on est « confiné », je suis allé demander à un spécialiste du confinement comment il faisait dans les jours ordinaires, c'est-à-dire sa vie "normale". Et vous savez quoi ? Il est muet comme une carpe ! Si on ne peut même plus compter sur les animaux pour nous sauver la mise alors…
Drôle de guerre !
De Gaulle : l’homme seul, entre Yvonne et Charles
Concentré entre mai et juin 1940, De Gaulle, de Gabriel Le Bomin, évite le piège de la grande reconstitution-fresque historique pour se concentrer sur le moment où l’homme de 50 ans a rendez-vous avec l’Histoire, un destin, et sa famille. Étonnant.
Imagine-t-on le général De Gaulle embrasser sa femme – Yvonne – lui caresser la cuisse, ou poser une main affectueuse et virile sur la nuque de son fils Philippe ? On connait cette photo – une des rares intime – où Charles de Gaulle, endimanché et enfoncé dans un transat sur une plage comme s’il allait au bureau, tient dans ses bras sa fille Anne, trisomique, décédée à 20 ans et qui compta tant pour lui. Une autre le montrant avec Yvonne sur une plage d’Irlande après avoir quitté le pouvoir, dans une ambiance de fin de règne. Pour le reste : rien, ou si peu. L’icône absolue de l’Histoire de France du XXe siècle se prête-t-elle à la fiction ? Jean-Pierre Meleville le représentait de dos dans L’Armée des ombres en 1969. Bernard Stora en 2005 avait offert la possibilité à Bernard Farcy d’incarner le Grand Charles, moitié documentaire, moitié feuilleton. Imagine-t-on davantage le général De Gaulle en proie aux doutes et aux atermoiements familiaux liés au conflit entre le destin de la France, le sien propre et celui de sa femme et ses enfants ? C’est en tout cas le pari fait par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur de Nos patriotes en 2017, qui s’est lancé avec ce De Gaulle dans une aventure un peu hors norme il faut le reconnaître mais sans pour autant sombrer dans l’obsession de la fresque historico-politique de 30 ans de vie publique du général. Le film tient tout entier dans les deux mois qui précèdent l’appel du 18 juin, dans cette France abattue jetée début juin 40 sur les routes de France avec valises et matelas sur le dos, charrettes et autos croulant sous les bijoux de famille que beaucoup tentaient de sauver, au péril de leur vie. Face à un gouvernement dirigé par Paul Reynaud qui change d’avis comme de chemise (excellent Olivier Gourmet), De Gaulle, qui n’en fait qu’à sa tête nouvellement coiffée d’un képi de général de brigade, s’envole pour Londres où un autre têtu va lui ouvrir les portes de la BBC, un certain Winston Churchill (campé par Tim Hudson).
Ce dernier a été moult fois incarné à l’écran, entre cigares et whisky, mais très peu De Gaulle. Lambert Wilson s’attaque au mythe, et réussi la prouesse de quasiment y parvenir, la voix en moins, et c’est parfois ce qui manque. L’avouera-t-on ? "On a été déçu, mais en bien", comme disent nos cousins suisses. Peut-être parce que Lambert Wilson ne se prend pas pour Dieu le père – en l’occurrence le général. Cette retenue - trop, parfois, comme s’il hésitait se rendant compte du vertige provoqué par la tâche ? - en rencontre une autre. Celle d’Isabelle Carré, campant Yvonne De Gaulle avec juste ce qu’il faut de sensualité et de gravité dans les rides d’un front discrètement plissé, pour nous faire oublier la vraie Yvonne, celle qu’on voyait sur une photo servir une louche de soupe à son général de mari, le soir après le boulot.
Le trait d’union, c’est Anne. Les différentes jeunes actrices qui la campent – vraies trisomiques – sauront-elles un jour l’importance du rôle qu’elles ont joué ? Sans aucun doute elles le savaient déjà. Dans la vie du grand Charles et d’Yvonne, en tout cas, on sait combien cette petite fille fragile a compté. C’est en la promenant et lui tenant la main que, paraît-il, lui venaient les idées. Celles de Gabriel Le Bomin et de sa scénariste, Valérie Ranson Enguiale, en réalisant ce De Gaulle montrent qu’on peut désormais s’attaquer à la légende avec un scénario bien ficelé, en choisissant surtout un acteur qui demeure droit dans ses bottes, sans s’étourdir en se prenant pour Dieu…
F.S.
Verteuil-sur-Charente : une perle charentaise un jour d'hiver printanier
"Qu'est-ce que j'aime dans le passé ? Sa tristesse, son silence, et surtout sa fixité. Ce qui bouge me gêne". (Maurice Barrès, Cahiers).
Baronnie de La Rochefoucauld depuis le XVe siècle, Verteuil-sur-Charente est célèbre pour son château, forteresse médiévale, remaniée au XVIIe siècle. Le mémorialiste François VI de La Rochefoucauld s'y retira et y vécu jusqu'à sa mort. On peut aussi voir à Verteuil l'ancien couvent des Cordeliers (aujourd'hui hôtellerie haut de gamme), et tout ce qui fait le charme des vieilles pierres charentaises au bord du fleuve, qui plait tant aux visiteurs britanniques (entre autres, naturellement).
Salut Yakari !
Le Festival de la BD est fini (snif !) et l'expo "Folklorique enfance, Fantastique enfance" (avec une belle présence de Yakari notamment) est démontée : hélas ! que ne dure-t-elle jusqu'aux vacances d'hiver pour les petits Charentais qui n'ont pas pu la voir pendant le festival... Heureusement, le petit héros sioux respectueux de la nature et qui possède le don de parler aux animaux est plus malin : il s'affiche encore ici ou là sur les vitrines de la ville d'Angoulême, avec son sourire malicieux et ses yeux rieurs. Comme pour nous inviter à lever la tête dans le fatras de nos vies énervées et adopter les belles valeurs de courage, d'amitié et d'entraide dont il fait preuve à longueur des 40 albums de Derib et Jobin. Merci Yakari !
F.S.
Hiver, n'êtes-vous qu'un vilain ?
- Son-Sonnette -
Comme dit une enfant que je connais bien, quand on écoute un poème de Charles d'Orléans : "hiver, vous n'êtes qu'un gentil"... Beauté divine et mélancolie douce de ces paysages tristes où les arbres lancent leurs grands bras nus vers le ciel, comme des signaux de détresse pour appeler la belle saison. Tristesse apparente seulement... Les eaux des ruisseaux sont gonflées à bloc ; les rivières débordent d'un jus glacé vert de gris ou marron, saturant le gosier des racines qui les bordent. Les champs et sous bois jonchés de branches, spongieux comme des éponges, semblent repus et peinent à boire le trop plein des pluies tombées la veille. Le chant discret de ce ruissellement murmure une chanson, et, contre toute attente, donne vie à cette nature qui fait semblant d'être morte.
"Hiver, vous n'êtes qu'un vilain,
Été est plaisant et gentil,
En témoin de Mai et d'Avril
Qui l'accompagnent soir et matin.
Été revêt champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs
Par l’ordonnance de Nature.
Mais vous, Hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil ;
On vous doit bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain :
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain".
(Charles d'Orléans)