Comme un fleuve s'est mis à aimer son voyage
"Comme un fleuve s'est mis à aimer son voyage, un jour tu t'es trouvée dévêtue dans mes bras" (René Guy Cadou).
"La lumière de la Charente existe, sans pareil en France, même dans la Provence. Elle n'est pas traduisible en mots. Partout on ne sait quoi d'ineffable baigne la nature : l'homme aussi".
Jacques Chardonne (Le Bonheur de Barbezieux).
On the road to Champagne-Mouton
"L'ennui court moins vite que l'homme pressé"
(Sylvain Tesson, La Panthère des neiges)
Mouton : white & black session
(c) Fred Sabourin. 9 décembre 2019.
Entreroche, entre-roches...
- "ces murs témoins de votre jeunesse ont surement été des jours pleins d'allégresse. Le gauthier Louis" -
Sous le plateau karstique de Bussac-Entreroche-Antornac, aux portes d'Angoulême en allant vers l'Est, existent des carrières très anciennes, dont les premières traces d'extraction des pierres remonteraient au Moyen-Age, au XIIe siècle lors de la construction de l'église Saint-Cybard de Magnac/Touvre. Les terres de Magnac auraient été données en 852 à l'abbaye Saint-Cybard d'Angoulême, selon l'abbé Pierre Lescurat (1884-1935).
Dans ces carrières peu accessibles et dont les entrées sont bien cachées par la végétation, on trouve un certain nombre de graffitis remontant au XIXe et début XXe siècle, jusque dans les années 40 avec de nombreux témoignages du passage de conscrits venus là écrire sur la pierre le témoignage de leur amour, qui pour une "bergère", qui un prénom, qui des initiales... Nous reviendrons sur ces carrières et leur histoire après quelques recherches que nous espérons fructueuses.
"Cleyrat Paul classe 1935. actuellement à la 224eme batterie DCA. attend l'armistice avec impatience. Le 13-4-40". (dessin : un cœur traversé d'une flèche. Inscription G.R). / "Grégoire André. Classe 35".
"Cleyrat Paul canonnier au 62eme d'artillerie d'afrique. Tnis (Tunisie). Classe 1935. actuellement Brigadier au 404eme RACA. Le 13.3.40. à ma petite Bergère bien aimée. G.R. Cleyrat Paul". (dessin : un cœur enflammé. Inscription : "mon cœur").
Rural road trip (saison 1)
À la faveur d’une nouvelle activité depuis six mois, je suis amené à sillonner un pays rural, en opposition avec mon mode de vie et un habitat très urbain. Après avoir observé et rendu compte de la micro-société campagnarde dans quelques reportages de journaliste depuis plus d’une décennie, me voici embarqué, embedded comme on dit, dans un milieu socio-économiquement difficile, au cœur de « territoires » - comme on dit aussi – isolés, oubliés, quasi désertés par endroit. Des territoires ruraux où l’emploi se fait rare, les habitants se blotissant dans des hameaux où s’agrègent de plus en plus de recalés, déclassés, les oubliés de la mondialisation et de l’urbanisation des villes moyennes des départements moyens. Au pays des gilets jaunes en somme, où l’on croise encore des Peugeot 205 hors d’âge ; des Renault 19 qui furent il n’y a pas si longtemps customisées mettant la fièvre aux samedis soirs ; des Citroën C15 aussi nombreux que des 4x4 SUV dans les rues des métropoles un soir de match de Ligue 1 ; des scooters et même des mobylettes Motobécane.
C’est dans cette France-la, couvrant un territoire de 37.000 habitants réunis en deux communautés de communes – Cœur et Val de Charente – que se concentre désormais mon job : apporter de l’aide alimentaire aux plus démunis. Avec notre camion, en itinérance dans cinq communes, nous allons à leur rencontre - les bénévoles et moi - une semaine sur deux, installant pour une heure notre épicerie solidaire. Tel un petit cirque ambulant, nous venons, installons nos tables et tréteaux, caisses et balances, pour un supermarché aussi diversifié qu’éphémère. Une fois les « courses » accomplies, on plie bagage et on rentre au dépôt à Mouton, 200 âmes en comptant peut-être les poules et quelques cabots grognant au passage des rares piétons.
J’en ai désormais la conviction : c’est une chance que de se laisser gagner par la richesse des pauvres. Car – c’est peut-être une révélation pour beaucoup – les pauvres sont riches. Riches de résilience. Riches de générosité de cœur. Riches de dons d’eux-mêmes et de leur temps, qui peut s’étirer très en longueur dans cette campagne où le moindre déplacement peut s’apparenter à une expédition.
Pour apporter cette aide alimentaire à ceux qui, selon un Président de la République, coûtent un « pognon de dingue » (mais n’ont en poche qu’entre trois et cinq euros par jour pour vivre, étrange paradoxe…), nous sillonnons les routes de campagne. Les départementales à 80km/h, les chemins communaux à 70. Les routes blanches sur la carte Michelin, parfois jaunes. Etroits rubans de bitumes aux accotements plus ou moins « stabilisés », ces routes sont grignotées par la boue dès les premières pluies venues, et combien davantage ces jours-ci que le ciel nous tombe sur la tête. De part et d’autre, les ruisseaux, rivières et même le fleuve se signalent par leurs débordements dans les champs et les prés, enserrent les routes, roulent dans les fossés et sous les ponts alors qu’ils tiraient une langue desséchée par un été de feu sans fin, il y a deux mois à peine. Au détour de virages, au bout des lignes droites bordées d’arbres parfois séculaires, surgissent ces bourgs, hameaux, lieux-dits et même habitats isolés, au bout d’un chemin de terre d’eau et de boue, où meurent des niches à chiens bâtards et n’en finissent plus de pourrir des cadavres de fourgonnettes des années 70, ou d’époque fin René Coty, début Charles de Gaulle.
Dans ces hameaux que l’on croit sans vie, si l’on prend le temps de s’y arrêter cinq minutes, c’est tout le contraire qui se produit. On entend l’aboiement des chiens, le chant du coq, le bruit strident et lointain d’une machine – scie, tronçonneuse, engins agricoles divers – et il ne se trouve personne pour s’en plaindre. Ici, dans ce nord Charente ni très beau ni trop laid, les bobos néo-ruraux n’ont pas planté leurs piquets : tout est « éloigné sans être pour autant trop loin », mais un peu quand même ; rien n’est « central » ; le téléphone mobile marche par intermittence ; la wi-fi est un vague souvenir qui fonctionne sur courant alternatif. Ici, on est « en bout de ligne », les gares fantômes sont désertes et seule la LGV saigne en deux le paysage de son vrombissement sourd, dans un air humide et frais agité par les pales des dizaines et dizaines d’éoliennes visibles partout à 360°. La nuit, elles clignotent comme des sapins de noël pour que l’on ne se perde pas, peut-être.
Au hasard de ces bourgs, hameaux, lieux-dits, des pancartes insolites, des maisons cossues surprenantes jusque dans leurs couleurs, des cabines téléphoniques transformées en boîtes à livres, des bancs publics désespérément inoccupés, près de boîtes aux lettres démesurées rapport au courrier qu’elles doivent contenir. Leur jaune cocu résume leur situation de fin de vie. Et des pancartes « à vendre ». Énormément de pancartes « à vendre ».
C’est de là que surgissent les gens, à pied, en voiture, à bicyclette ou en tracteur, et quand ils ne surgissent pas on les devine derrière les rideaux et les carreaux observant le passant qui prend des photos. Qui est-il ? Que veut-il ? D’où vient-il et où se rend-il ?
Après six mois d’observation et de notes éparses glanées dans mes carnets qui ne me quittent jamais ; après l’accumulation d’images rapportées lors de ces tournées ou trajets en utilitaire, j’ai décidé de commencer à raconter ça. Idéalement j’aurais aimé qu’une Florence Aubenas accompagnée d’un Raymond Depardon fassent le boulot. Ils le feraient d’ailleurs bien mieux que moi. Mais je n’ai pas leurs numéros, alors j’ai décidé de m’y coltiner.
Avec grand appétit.
F.S.
Chambre froide
C'est un coin de l'Ariège - vers Aston, départ de la marche à la centrale électrique de Laparan, barrage de Riète - tel que dans nos souvenirs... Très humide, froid, au sol détrempé comme une éponge et au réveil-matin à l'image des journées : rustique et froid. 4° à l'intérieur de la cabane de Quioulès à 7h30 du matin : dormir dans une chambre froide ça raffermit les chairs... Mais pour qui aime l'aventure et la sobriété, c'est l'endroit idéal. Nous n'avions pas convoqué Sylvain Tesson et sa Panthère des neiges, mais la nature sauvage à l'état brut était tout de même omniprésente... Mis à part un skieur égaré, personne ; pas l'ombre d'un animal identifiable à part quelques choucas. Mais les animaux en question ne nous ont-ils pas vu, eux ? Les prévisions météorologiques avaient annoncé un temps épouvantable, raison de plus pour aller vérifier.
Odeur des pluies de mon enfance
Automne
Odeur des pluies de mon enfance,
Derniers soleils de la saison !
À sept ans, comme il faisait bon,
Après d'ennuyeuses vacances
Se retrouver dans sa maison !
La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées
Sentait l'encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été.
Ô temps charmants des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau.
René Guy Cadou (recueil "Les amis d'enfance").
Automne en Ossau
Automne, saison dorée en vallée d'Ossau autour de Laruns ("Laruntz", en Béarnais). Remontée de l'Arriutort (le "ruisseau tordu") jusqu'à la cabane du même nom (1000 mètres en 2 heures). Puis débouché au col de Taillandière sous le Montagnon d'Iseye et son lac en forme de . La pluie et le vent ne douche pas complètement nos ardeurs et nous descendons - sous le soleil retrouvé accompagné d'un bel arc-en-ciel - jusqu'à la cabane de Laiterine (1680m) qui nous accueillera pour la nuit, ventée et pluvieuse par intermittence.
Le lendemain matin c'est à la verticale de la cabane de la Cujalat (300 mètres en contrebas) que nous grimpons en sous-bois puis sur une pente herbeuse qui fait bien transpirer, poussés par un méchant petit vent de sud - sud-est agrémenté de quelques pluies. Le débouché sur le Cirque de Besse se nomme le Pène d'Hourque, et la vue est bien belle. Abrité du vent et de la pluie par ce flanc de montagne ossaloise, la descente s'effectue dans le cirque vers le col d'Abet puis celui de Lusque, serpentant en sous-bois jusqu'au Plateau de Lusque avant d'entamer la dernière descente vers Goust, ensoleillé quand nous y arrivâmes. L'ancienne route balisée rouge et jaune (grand tour de l'Ossau) conduit ensuite aux Eaux-Chaudes où nous mettons sac à terre, trempant nos lèvres dans un café chaud bienvenu.
Un crapahute à l'ancienne, à pieds quasiment de bout en bout, virée virile de franche camaraderie, de pâté à l'ail de chez Coudouy et de fromage de brebis Pujalet...