le nombril du monde
« Le nouvel annuaire. Moi. Ma vie. Mes voisins. Mon quartier ». Slogan actuellement sur tous les murs du métro de Paris. Le visuel est explicite : une photo d’un ventre (homme ou femme) sur lequel est tatoué un plan de ville, avec le nombril au milieu. Le communiqué de presse précise : « l’objectif est de montrer que l’individu est au centre du nouvel annuaire. Celui-ci devient un outil qui l’aide à construire son propre monde dont il est le centre. Le nombril comme centre du plan de quartier symbolise la proximité, l’intimité et le lien (…) aider les gens à mieux s’intégrer et s’approprier le lieu dans lequel ils vivent»
Drôle d’époque ! Moi, moi, moi et… mon nombril ! L’individu triomphant, tatoué sur le ventre plat des publicités qui frisent l’obésité, quatre mètres sur trois. L’individu au centre de la vie du quartier, par définition épicentre de la collectivité, du lien social, de l’entraide. Pour quiconque a déjà vécu à Paris ces derniers temps, rien d’étonnant à cette allégorie des temps qui courent. La vie de quartier est en réalité souvent une vie de solitudes, faussement collective lors de « repas de quartiers » où on sort les petits plats, les nappes à carreaux, les chaises et les bouteilles, en oubliant l’hiver. L’été caniculaire de 2003 a rappelé à beaucoup que dans « mon quartier », parmi « mes voisins », certains étaient bien âgés, et surtout bien seuls.
Le nouvel annuaire peut-il devenir un trait d’union ? Ou bien ne restera-t-il qu’une danse du ventre, trop rempli pour les uns, et trop vide pour les autres…
Le nouvel annuaire peut-il être le nombril du monde ? De mon monde…
mais où passe le temps ??
à la bonne heure !
Le clocher de la Cathédrale s’est tu. Et pourtant nous ne sommes pas dans cet espace – temps entre le soir de la Cène et le tombeau ouvert : les cloches ne sont pas à Rome ! Elles sont bien là, mais se taisent.
Les cloches sont des personnes, on leur attribue un prénom (féminin, sauf le bourdon…), et il faut parfois les soigner. Leur support de bois, madriers forts et résistants, plient sous l’action du balancement de la fonte sacrée. Au bout d’un siècle, il faut les changer. Aussi, les ouvriers les ont bâillonnées.
Leur fierté est à l’arrêt. Plus de sons, plus de ritournelles, trois coups au quart d’heure, quatre fois trois à l’heure pile. Marteau frappée sur « Marie » la cloche des heures (1,5 tonnes…) en sourdine. Comme un silence sur la partition de la ville.
Et on ne sait plus quelle heure il est ! Dans le paysage sonore de l’urbain plateau, plus de marque du temps. Plus d’appel à la prière des anges, ni à 8 heures, ni à midi, ni à sept heures du soir, clin d’oreille au soleil qui s’en va. De mon bureau sous les arcades du clocher nord, plus de résonances. Je ne sais plus l’heure, et je me perds. Suis-je en retard ? Suis-je en avance ? Où est passé le temps ? « On ne voit plus le temps passer » disent certains. « Le temps fait beaucoup" disent d'autres. Sagesses populaires ressassées pour exprimer notre dégoût et angoisse de la vie déjà partie et dont on ne sait si elle reviendra. « Vienne la nuit, sonne l’heure, ni le temps passé, ni les amours reviennent… ». Sous le clocher de la Cathédrale coule l’heure. Revenez, cloches qui rythmez la vie, la prière et le temps : Pierre et Paul, Marie, Henriette, Caroline et Marguerite. Ainsi les cloches nous disent : à la bonne heure !
il fait dimanche...
Esprit, es-tu là ?
Dimanche matin. Fête de « Pentecôte ». Dimanche de juin surtout, le premier qui décide de prendre ses quartiers d’été. Raison suffisante pour pousser un peu plus ma bicyclette où le pain et le journal frais sautent sur le porte bagages, en revenant des halles. Je pousse donc jusqu’aux remparts, ce « balcon du sud-ouest », selon le poète. La place Beaulieu est vide… Vraiment vide ! Pas une voiture, pas un piéton, pas un chien qui ne promène son maître : rien ! Pour l’étranger à la ville, ce spectacle n’aurait rien d’un événement. Et pourtant, je vous dit qu’il est très rare de voir cette place vidée de tout artifice de la vie moderne. Je regarde l’ordonnancement des platanes. La rectitude austère des grilles du lycée Guez de Balzac. La verticalité du clocher de St Ausone, qui dépasse comme un iceberg des murs protecteurs de la ville. Le ruban gris de bitume qui s’en va à perte de vue, comme une piste de décollage. Des lignes, graves, dures, fortes, mais aussi la chaleur des arbres qui invitent à la folie. La lumière du matin rend ce lieu encore plus cru. On cherche en vain le « premier homme ». Il se cache. Il se tait. A-t-il peur ?
Par dessus les arbres, juste sous le ciel bleu du peintre, les feuilles bruissent doucement. Le vide n’est pas total : il y a un peu de vent. Alors je me souviens de la fête du jour, et j’interroge : Esprit, es-tu là ?
le jour d'après... (une chronique sur la vie d'aujourd'hui)
Abondance…
Vertement vêtue, elle est là, miroir d’un rêve, après avoir pleurée de pluie et le froid tout l’hiver. Le mois de mars l’a copieusement abreuvée. Avril a hésité, il l’a tellement désirée ! Mai la rend accessible.
Elle, dont le poète Pierre Boujut disait qu’elle n’est ni « civilisée, ni sauvage, mais heureuse ». Puis il ajoutait : « ceux qui s’y baignent le savent bien ».
La Charente, il faut la nommer, est abondante. Elle ne ressemble pas encore à la mélancolie ni au spleen de ses méandres paresseux du cœur de l’été, lorsqu’elle nous manquera, par trop forte chaleur. Elle ressemble pour l’instant à ces bohémiennes aux corsages entrouverts, aux seins lourds des femmes qui ont enfanté. Saintes-Maries du fleuve, dansez pour nous ! Actuellement, son débit n’est pas nomade. Elle va, d’un pas décidé. En la regardant, on voit bien qu’elle appelle. On hésite un peu, le pied d’abord, puis le mollet. Elle a la fraîcheur des premiers jours. Mais derrière les arbres, le soleil finit de nous persuader : on aura chaud en sortant !
Alors je plonge en entier dans l’onde de cette matrice où tout recommence. Charente. Une fille pour un fleuve. Féminin – masculin. Promesse d’une fécondité. Je promets quant à moi de profiter au mieux de cette généreuse personne, qui, de ses cheveux humides rend encore plus belle la sensualité de ses eaux abondantes.
Première Séance
Première Séance , chronique cinéma de Frédéric Sabourin tous les mercredis sur RCF Accords (Angoulême 96.8) à 7h55 et 18h25 (et Accords Poitiers 94.7 à 7h35 et 18h35)
Marie-Antoinette
de Sofia Coppola. Etats-Unis 2006. 2h02. Distributeur : Pathé. Avec : Kirsten Dunst (Marie-Antoinette) ; Jason Schwartzman (Louis 16) ; Asia Argento (la comtesse du Barry) ; Judy Davis (la comtesse de Noailles)…
Il se trouvera, hélas, de nombreux historiens rabat-joie pour confondre - encore ! - la réalité historique et la fiction romanesque au cinéma. Non, Marie-Antoinette de Sofia Coppola n’est pas un film d’histoire, ni un film sur l’histoire de la dernière reine du royaume de France. Pour ceux qui ont un esprit ouvert et qui considèrent qu’il est possible de « violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants » comme disait Alexandre Dumas, alors oui peut-être ils aimeront ce film délicieusement iconoclaste et irrévérencieux…
Car tel est le nouveau film de Sofia Coppola, qui clôt en quelque sorte un rite initiatique débuté en 2000 avec Virgin Suicides, puis poursuivi dans le jet lag de Tokyo avec Lost in Translation en 2004. A chaque fois, une destiné de femme, d’abord adolescente perdue dans un monde en pleine mutation sociale, puis dans un monde sentimental pour lequel elle n’était pas préparé, enfin dans un monde où le protocole et les coups bas sont de mise. Ca papote beaucoup à Versailles, après l’arrivée de cette archiduchesse d’Autriche, si jeune, si belle et… si fragile. Mais aussi libre. Libre de dire ce qu’elle pense de tout ce fatras qui frise souvent le ridicule. Libre de ne pas aimer celui qu’elle doit aimer pour sceller l’alliance franco-autrichienne (Louis Auguste), et d’aimer celui qu’elle ne doit pas aimer (le beau ténébreux prince de Suède, Fersen). Libre de rire, de faire la fête, masquée au bal à Paris, ou en pleine lumière d’un anniversaire où les croupiers ont bien fait de rester tard…
Kirsten Dunst, égérie de Sofia Coppola, sorte d’alter ego perdue dans cette cour versaillaise aux mœurs décidément bien étranges, est radieuse, diaphane, terriblement séduisante, en même temps qu’elle dégage le sentiment ontologique de l’interrogation d’être au monde.
La musique surtout, « The Cure », « Air », « New Order » et autres trouvailles cotonneuses et ouatées diffusent allègrement le sentiment de flotter, au milieu d’images d’un Versailles splendide mais qui donne envie de vivre ailleurs. Sofia Coppola est passée maîtresse dans l’art de composer un bouquet floral en faisant virevolter les robes à crinolines dans un pré d’herbe fraîche et de fleurs épanouies du mois de juin. Elle nous touche, Sofia, car sous les ors de la cour flotte le corps et le cœur d’adolescentes devenues trop tôt des femmes, en se posant toujours la question du pourquoi… Marie-Antoinette est des nôtres.
le jour d'après... (la chronique)
le bruit de la semaine
J’habite une maison au croisement de deux rues pavées du vieil Angoulême. Quartier cathédrale, mais c’est aussi le quartier des collèges et des lycées. Environ 2500 élèves empruntent chaque jour les étroites rues d’Epernon et Fénelon pour se rendre sur les lieux de leur éducation. Chaque matin, vers 7h45, je sors chercher mon journal dans la boîte aux lettres derrière le mur qui me sépare (protège ?) de ces deux rues. Je n’entends donc que le bruit, je n’ai pas l’image. Mais j’aime ce bruit, ces cris, ces murmures, ces invectives, apostrophes, insultes aussi parfois. Je sens aussi l’odeur de leurs cigarettes grillées nerveusement dès 8h du matin : les « ados » sont souvent le prolongement de ceux que nous avons été…
En fermant les yeux, je sais au bruit particulier quel jour nous sommes, car chacun a une rumeur différente :
Lundi et mardi : c’est calme, chacun monte les rues avec le poids de la semaine à venir, et la fatigue d’un week-end trop chargé. Ils parlent peu, ou tout bas, semblent inquiet. Le collier de l’écolier pèse lourd les lundis et mardis matins.
Mercredi : agité, tendance orageuse. On sent dès le matin que la journée sera plus courte. Deux heures pour les plus chanceux. Midi pour les autres. Mercredi, ce sera le jour où l’après midi se passera au conservatoire pour de la musique, du théâtre ou de la danse, au club sportif, dans une salle de cinéma. Ou bien à rêver en ville, à refaire le monde dans un café autour d’un panaché. Peut-être dans la discrétion à peine déguisée d’un banc du Jardin Vert, pour échanger des serments d’un premier amour lycéen. Mercredi, folle journée !
Jeudi : là c’est du sérieux. On sent au bruit que font les jeunes que c’est LA journée la plus importante de la semaine. Celle des contrôles ou des résultats. Jeudi c’est le jour où le début de la semaine n’est plus qu’un lointain souvenir (on se demande s’il a réellement existé !), mais l’approche du week-end est à portée de main. Jeudi, il y a espoir : on tient le bon bout !
Vendredi : c’est la furie ! Vendredi égal : début du week-end. Projets, départs, prévisions de la fête du samedi soir. Vendredi ça chauffe, vers 17h, on a plus de temps, on traîne sur le rempart, les garçons font des tours de scooter pour impressionner les filles, et les filles font celles qui n’ont rien vu, mais elles jouent le jeu, flattées.
Samedi : à 8 heures, la cloche de la cathédrale est la seule à faire du bruit dans le quartier. Vêtu d’un short et d’un maillot, je sors en trottinant pour mon footing du samedi. Personne ne remonte la rue. Je suis seul à descendre et mes baskets font « clap clap » sur les pavés. C’est un moment privilégié. Celui où tout ce qui était impossible devient possible, poussé par le souvenir de la rumeur des jeunes qui font le plus beau bruit du monde : celui de la vie.
une chronique sur la vie d'aujourd'hui...
Botero…
Il en va du parfum des roses comme de certaines personnes : on les désire pendant tout l’hiver, et, lorsqu’elles arrivent, on a envie de les garder le plus longtemps possible. Les rosiers de mon jardin ont éclos, et cette naissance est accueilli comme une fin de gestation. La vue et l’odorat sont en fête. Au milieux des différentes variétés, l’une d’entre elles est la reine des reines : on l’appelle la « Botero ». La Botero est la reine des roses, car sa robe est d’un pourpre sombre, presque mystique, et son parfum approche de la perfection, la part des anges... C’est la rose des déclarations d’amour, la rose des anniversaires, la rose des mariages, la rose éternelle, et la rose du Panthéon de la rue Soufflot… Chaque matin apporte son lot d’éclosion par rapport à la veille : de nouvelles têtes naissent, d’autres dépérissent : il faudra bientôt les couper. Un bonheur simple pour nos yeux parfois blasés, pressés, trop occupés à voir l’accessoire, sans ce soucier de ce qui faisait déjà frémir Ronsard.
Depuis février, moment de la taille, ce rosier a été soigné, pansé, préparé avec application. Le sol a été désherbé, préparé lui aussi, pour que rien n’entrave la progression de la fleur et de son parfum. On peut même leur parler, leur dire que l’hiver est fini, qu’elle peuvent enfin donner le meilleur d’elles mêmes, après avoir donné un peu du nôtre.
Et là, dans l’agitation fébrile de ces journées de mai, où, comme le veut la tradition, chacun fait ce qui lui plait, la Botero peut enfin naître, et nous aussi, par la sensualité de nos cinq sens.
Il en va de la « Botero » comme des hommes et des femmes : si on leur donne beaucoup d’affection, leur parfum dégagé nous le rend bien. Il est amour.
mariage et cinéma
Un long dimanche de fiançailles…
(article écrit pour un journal de mariage, samedi 29 avril 2006, Didier et Aurélie Richard, à Alençon)
C’est finalement sur les écrans d’Alençon que se déroulait cet après midi la projection du nouveau film tant attendu, avec en tête d’affiche Aurélie Poulain et Didier Bredoteau. Après avoir longtemps collectionné Les Poupées Russes, le jeune et fringant Didier craignait par dessus tout de replonger dans un Dîner de cons, où il lui aurait fallu faire ses preuves, lui, L’Incorrigible, le Professionnel, le Magnifique . Mais comme dans Autant en emporte le vent, la belle a su faire plier la bête, et Scarlett aura droit, enfin, à son Clark Gable.
Mais attention : les meilleurs routards et autres petits futés du mariage vous diront qu’On connaît la chanson, et qui dit mariage dit : finit Les 400 coups, adieu La Femme d’à côté, terminé Sexe, mensonges et vidéo…
Les plus grands critiques du cinéma, sortant le nez de leurs fichus cahiers, étaient présents dans la salle : des Tontons Flingueurs venus de Lyon, la ville du foot qui gagne mais ne parle pas italien. Des Barbouzes et autres Flic ou voyou venus tout droit de la Charente pour ne rien rater de la Grande Bouffe et pour Sauver le Soldat Richard de la noyade sur une plage du débarquement. Heureusement, le célèbre mariage était ratifié haut la main par le meilleur Léon Morin, prêtre de Grenelle, quartier de Paris où, dit-on, pratiquent de Drôles de paroissiens versaillais triés sur le volet. Il y avait comme Un air de famille pour ce film promis aux récompenses internationales, et Les Choristes s’en sont donnés à cœur joie. Faudrait quand même pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : certains sortaient tout droit de Farinelli !
Mais rappelons un peu le scénario de ce Long dimanche de fiançailles : la jeune Aurélie Poulain laissait aller ses pas à côté de ce Promeneur du Champs de Mars, lui confiant un jour que leur belle Histoire d’Ô pourrait se concrétiser par un mariage. Il n’en fallait pas plus au jeune Didier Bredoteau (ou Bretodeau) pour fuir devant ses responsabilités. Il lui demanda un délais, de l’ordre de 55 jours de Pékin pour tenter de se laisser Désiré. Il ne voulait pas de Fil à la patte, du moins pas tout de suite. Comme Aurélie constatait qu’A l’Ouest, rien de nouveau, elle tenta sa chance dans une Auberge espagnole. Et Viva Zapata s’écria-t-elle en arrivant au pays des patatas frittas aztèques. Pendant ce temps-là, le jeune Didier jouait un mauvais remake de Zazie dans le métro. Même son meilleur ami de trente ans, Jean-Philippe, profitait de l’occasion pour lui passer devant, ainsi que Vincent, François, Paul et les autres. Tous, Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Craignant que la proximité d’Alençon avec Lisieux ne transforme Aurélie en Thérèse et ne lui donne de trop pieuses pensées, Didier se décidait enfin à laisser de côté La Dolce vita, et c’est A bout de souffle qu’il saisit La Fille sur le pont qui lui susurrait dans le creux de l’oreille : Parle avec elle.
On ne vous racontera pas la fin du film, mais on peut seulement dire qu’on a apprécié ce Long dimanche de fiançailles, qui prouve encore une fois que le Cœur des hommes peut finir par flancher, et il était important que les convives enfin rassemblés prennent place dans ce Festin de Babette. Aurélie Poulain, telle une reine d’Egypte, pourra enfin s’endormir en paix chaque soir que Dieu leur donnera, à côté de son Guépard.
Elle n’aura plus besoin de dire Vivement dimanche !
Pour les « Carnets du cinéma » : Fred Sabourin.
une chronique sur la vie d'aujourd'hui... (ça s'appelle "le jour d'après")
y a plus d’saisons !
Scène de la vie ordinaire : mardi matin, une file d’attente dans une banque. Pour une fois que je ne me sers pas de la machine uniforme à distribuer des billets, j’ai bien fait de vouloir rencontrer un être humain au guichet. Derrière moi, une conversation s’engage entre deux personnes « du troisième âge ». J’aurais eu tort de m’en priver :
- Ah tiens, bonjour ! (un silence gêné) Fait pas chaud hein ?
- oui, et encore hier il faisait plus froid, il y avait du vent ! Là ce matin c’est mieux.
- enfin quand même, moins 1 degrés ce matin…
- ah ! c’est avril, c’est chaque année pareil. Y a pu d’saisons ! Dans l’temps, c’était mieux, plus tranché. A Pâques, on avait rangé dans les armoires les pulls et les manteaux ! On allait faire ses Pâques en tenue d’été, les petites filles en robe et les garçons en bermudas… C’était jolie !
- c’était mieux avant…
Je n’entendrai pas la suite de la conversation : elle est coupée par la banquière, qui, d’un large sourire et d’un regard vert profond prend le chèque que je lui tend.
Moi, je ne sais pas si « c’était mieux avant ». En tout cas, là, maintenant, le printemps me plait… Je n’ai ni bermuda ni robe d’été, mais je sent que cette année, je vais apprécier Pâques.
Alléluia !
le jour d'après (une chronique sur la vie d'aujourd'hui)
Profitant d’une fin d’après midi de dimanche je suis allé vérifier que le fleuve avait bien rejoint son lit. La pluie printanière a fait place à un peu de soleil, invité surprise de la douceur de mars. De la colline où je suis grimpé – le lieu s’appelle « le Peu St Jean », tout un programme ! – j’admire la Charente, ce « fleuve heureux » pour reprendre la formule d’un poète local. En descendant, coupant par le champ fraîchement ensemencé, après avoir traversé la petite route cantonale qui relie Vindelle à Rouhenac, je poursuis mes pérégrinations dans un sillon. Les bottes bruissent de la boue qui colle aux semelles. L’air est bon. La terre sent le réveil. On a envie de fredonner la chanson de Jane Birking : « la gadoue »…
Et puis c’est comme un éclair qui fendrait le ciel en deux : des cris stridents qui font immédiatement lever les yeux en l’air, et dresser les oreilles comme un chien de chasse. Ce sont elles, en forme de « V » presque parfait : les oies sauvages survolent ce paysage, annonciatrices d’un bonheur saisonnier. Bien sûr, et j’allais ajouter hélas, je pense à la « grippe aviaire » et au danger qu’elles sont sensées représenter cette année. Mais je ne peux m’empêcher de chasser cette vilaine idée de mon esprit, quand, le cou cassé en deux, je les regarde passer à la verticale du lieu où j’ai stoppé mes pas gluant dans la boue. Soudain, trois d’entre elles obliquent à 90° et semblent faire demi tour ! Auraient-elles compris que pour certains, elles sont indésirables ? Pendant un court moment je me dis qu’elles vont se poser là, pour faire une halte bien méritée après tous ces kilomètres. Les autres continuent de s’éloigner. Le spectacle est ordinaire, sans doute banale… Mais il m’enchante, comme leur cri qui désormais trouve au loin un écho aussi inattendu que merveilleux : un coucou appelle le retour des migrateurs. Les oies s’éloignent, je ne les entends plus. Sur la route, une automobile s’est arrêté, le conducteur est sorti pour voir passer le cortège.
J’en oublie que mes bottes s’enfonçaient dans la boue charentaise, un effort est nécessaire pour repartir. Le « V » des oies sauvages est celui de la victoire. Les pieds sur terre, et la tête dans le ciel…