Drôle de guerre (chronique de confinement #1)
Bon, chacun (ou presque) l’aura compris : nous sommes partis pour durer un sacré moment dans cette période où chacun est invité à rester chez lui, confiné comme on dit. Et ça n’est pas une mince affaire : d’ordinaire on cherche toujours du temps pour être chez soi à faire toute la liste des trucs qu’on se promet toujours de faire sans jamais pouvoir y parvenir, et maintenant qu’on offre à certains la possibilité de passer à l'acte, ça coince. Évidemment, je pense fortement à ceux qui doivent faire du « télétravail » avec leurs enfants en bas âge dans la maison – voire dans la même pièce – celui ou celle qui a décidé que c’était possible, c’est sûr, il n’a pas d’enfant !
Nous sommes en guerre donc. C’est le Président qui l’a dit. Ça fait bizarre quand même, d’entendre ça. Mes grands-parents, qui l’ont connue eux, la guerre, la vraie, parlait souvent de la « drôle de guerre », pour signifier ce que fut leur vie non seulement dans les mois qui ont précédé juin 1940, mais les quatre années qui s'en suivirent. J’ai toujours trouvé étrange cette expression, je ne savais pas si je devais en sourire ou en pleurer. Ils parlaient de cette période paradoxalement comme plutôt heureuse – ils étaient jeunes mariés – ils faisaient du « cyclotourisme » comme ils disaient, le système D fonctionnait à plein régime… bref, ils s’accommodaient, s’adaptaient. Ça n’empêchait pas la peur – comme celle qui les a saisis un jour de bombardement en 1944 où, me disait ma grand-mère, « on a tellement détalé que j’en ai perdu une chaussure », et à l’époque des tickets de rationnement le détail n’en était pas un…
Bon, dans tout ça, il nous faut essayer de garder le moral – à défaut du sourire, qui s’efface peu à peu des visages croisés à distance règlementaire – alors pour savoir comment faire quand on est « confiné », je suis allé demander à un spécialiste du confinement comment il faisait dans les jours ordinaires, c'est-à-dire sa vie "normale". Et vous savez quoi ? Il est muet comme une carpe ! Si on ne peut même plus compter sur les animaux pour nous sauver la mise alors…
Drôle de guerre !
De Gaulle : l’homme seul, entre Yvonne et Charles
Concentré entre mai et juin 1940, De Gaulle, de Gabriel Le Bomin, évite le piège de la grande reconstitution-fresque historique pour se concentrer sur le moment où l’homme de 50 ans a rendez-vous avec l’Histoire, un destin, et sa famille. Étonnant.
Imagine-t-on le général De Gaulle embrasser sa femme – Yvonne – lui caresser la cuisse, ou poser une main affectueuse et virile sur la nuque de son fils Philippe ? On connait cette photo – une des rares intime – où Charles de Gaulle, endimanché et enfoncé dans un transat sur une plage comme s’il allait au bureau, tient dans ses bras sa fille Anne, trisomique, décédée à 20 ans et qui compta tant pour lui. Une autre le montrant avec Yvonne sur une plage d’Irlande après avoir quitté le pouvoir, dans une ambiance de fin de règne. Pour le reste : rien, ou si peu. L’icône absolue de l’Histoire de France du XXe siècle se prête-t-elle à la fiction ? Jean-Pierre Meleville le représentait de dos dans L’Armée des ombres en 1969. Bernard Stora en 2005 avait offert la possibilité à Bernard Farcy d’incarner le Grand Charles, moitié documentaire, moitié feuilleton. Imagine-t-on davantage le général De Gaulle en proie aux doutes et aux atermoiements familiaux liés au conflit entre le destin de la France, le sien propre et celui de sa femme et ses enfants ? C’est en tout cas le pari fait par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur de Nos patriotes en 2017, qui s’est lancé avec ce De Gaulle dans une aventure un peu hors norme il faut le reconnaître mais sans pour autant sombrer dans l’obsession de la fresque historico-politique de 30 ans de vie publique du général. Le film tient tout entier dans les deux mois qui précèdent l’appel du 18 juin, dans cette France abattue jetée début juin 40 sur les routes de France avec valises et matelas sur le dos, charrettes et autos croulant sous les bijoux de famille que beaucoup tentaient de sauver, au péril de leur vie. Face à un gouvernement dirigé par Paul Reynaud qui change d’avis comme de chemise (excellent Olivier Gourmet), De Gaulle, qui n’en fait qu’à sa tête nouvellement coiffée d’un képi de général de brigade, s’envole pour Londres où un autre têtu va lui ouvrir les portes de la BBC, un certain Winston Churchill (campé par Tim Hudson).
Ce dernier a été moult fois incarné à l’écran, entre cigares et whisky, mais très peu De Gaulle. Lambert Wilson s’attaque au mythe, et réussi la prouesse de quasiment y parvenir, la voix en moins, et c’est parfois ce qui manque. L’avouera-t-on ? "On a été déçu, mais en bien", comme disent nos cousins suisses. Peut-être parce que Lambert Wilson ne se prend pas pour Dieu le père – en l’occurrence le général. Cette retenue - trop, parfois, comme s’il hésitait se rendant compte du vertige provoqué par la tâche ? - en rencontre une autre. Celle d’Isabelle Carré, campant Yvonne De Gaulle avec juste ce qu’il faut de sensualité et de gravité dans les rides d’un front discrètement plissé, pour nous faire oublier la vraie Yvonne, celle qu’on voyait sur une photo servir une louche de soupe à son général de mari, le soir après le boulot.
Le trait d’union, c’est Anne. Les différentes jeunes actrices qui la campent – vraies trisomiques – sauront-elles un jour l’importance du rôle qu’elles ont joué ? Sans aucun doute elles le savaient déjà. Dans la vie du grand Charles et d’Yvonne, en tout cas, on sait combien cette petite fille fragile a compté. C’est en la promenant et lui tenant la main que, paraît-il, lui venaient les idées. Celles de Gabriel Le Bomin et de sa scénariste, Valérie Ranson Enguiale, en réalisant ce De Gaulle montrent qu’on peut désormais s’attaquer à la légende avec un scénario bien ficelé, en choisissant surtout un acteur qui demeure droit dans ses bottes, sans s’étourdir en se prenant pour Dieu…
F.S.
Verteuil-sur-Charente : une perle charentaise un jour d'hiver printanier
"Qu'est-ce que j'aime dans le passé ? Sa tristesse, son silence, et surtout sa fixité. Ce qui bouge me gêne". (Maurice Barrès, Cahiers).
Baronnie de La Rochefoucauld depuis le XVe siècle, Verteuil-sur-Charente est célèbre pour son château, forteresse médiévale, remaniée au XVIIe siècle. Le mémorialiste François VI de La Rochefoucauld s'y retira et y vécu jusqu'à sa mort. On peut aussi voir à Verteuil l'ancien couvent des Cordeliers (aujourd'hui hôtellerie haut de gamme), et tout ce qui fait le charme des vieilles pierres charentaises au bord du fleuve, qui plait tant aux visiteurs britanniques (entre autres, naturellement).
Salut Yakari !
Le Festival de la BD est fini (snif !) et l'expo "Folklorique enfance, Fantastique enfance" (avec une belle présence de Yakari notamment) est démontée : hélas ! que ne dure-t-elle jusqu'aux vacances d'hiver pour les petits Charentais qui n'ont pas pu la voir pendant le festival... Heureusement, le petit héros sioux respectueux de la nature et qui possède le don de parler aux animaux est plus malin : il s'affiche encore ici ou là sur les vitrines de la ville d'Angoulême, avec son sourire malicieux et ses yeux rieurs. Comme pour nous inviter à lever la tête dans le fatras de nos vies énervées et adopter les belles valeurs de courage, d'amitié et d'entraide dont il fait preuve à longueur des 40 albums de Derib et Jobin. Merci Yakari !
F.S.
Hiver, n'êtes-vous qu'un vilain ?
- Son-Sonnette -
Comme dit une enfant que je connais bien, quand on écoute un poème de Charles d'Orléans : "hiver, vous n'êtes qu'un gentil"... Beauté divine et mélancolie douce de ces paysages tristes où les arbres lancent leurs grands bras nus vers le ciel, comme des signaux de détresse pour appeler la belle saison. Tristesse apparente seulement... Les eaux des ruisseaux sont gonflées à bloc ; les rivières débordent d'un jus glacé vert de gris ou marron, saturant le gosier des racines qui les bordent. Les champs et sous bois jonchés de branches, spongieux comme des éponges, semblent repus et peinent à boire le trop plein des pluies tombées la veille. Le chant discret de ce ruissellement murmure une chanson, et, contre toute attente, donne vie à cette nature qui fait semblant d'être morte.
"Hiver, vous n'êtes qu'un vilain,
Été est plaisant et gentil,
En témoin de Mai et d'Avril
Qui l'accompagnent soir et matin.
Été revêt champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs
Par l’ordonnance de Nature.
Mais vous, Hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil ;
On vous doit bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain :
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain".
(Charles d'Orléans)
Tout l'univers de la bande dessinée converge vers Angoulême #FIBD2020
Exposition "Folklorique enfance, fantastique enfance", Quartier jeunesse du 30 janvier au 2 février.
"Chemin de traverse", Catherine Meurisse au Musée du Papier du 30 janvier au 1er mars.
Le 47e FIBD (Festival international de la Bande dessinée d'Angoulême) à retrouver aussi ici.
(en ) Marche avec les loups
Le réalisateur haut-alpin signe un troisième film, le second sur une passion dévorante, comme l'animal lui-même : le loup. Il essaie de coller au train d'un jeune subadulte afin de percer le mystère de ses pérégrinations géographiques aléatoires. En vain ?
Réalisateur de la Vallée des loups en 2016 (200.000 spectateurs et de nombreuses projections suivies d’un débat, preuve que le film avait trouvé son public), Jean-Michel Bertrand a remis ça avec Marche avec les loups, qui tente de suivre sur près de 300 km un jeune loup venant de quitter la meute pour créer son propre territoire, à la recherche d’une jeune femelle et fonder à son tour une meute. Plus de deux ans de tournage, d’affûts, de fausses pistes, d’attente les pieds dans la neige ou sous le cagnard du plein été pour le résumer en un mot : passionné par ses chères vallées des Hautes-Alpes (le Champsaur et Valgaudemar dans le massif des Écrins), et hypnotisé par le loup, personnage à part entière autour duquel tourne tout le film, à mi-chemin entre documentaire et traque romanesque. Mais cette fois-ci, le propos se fait nettement plus militant que dans la Vallée des loups. Jean-Michel Bertrand s’interroge sur la « cohabitation » entre hommes et loups, plus largement entre le sauvage et le domestique. « Avec la peur du loup, la peur du sauvage ressurgit », explique avec forces belles images l’inlassable lycanthrope, poussant sa curiosité sur les mœurs de l’animal jusqu’à franchir le Rubicon et traverser Grenoble pour s’en aller vers le nord, les grands massifs forestiers du Jura où il a l’intuition que le jeune loup qui vient de quitter la meute alpine s’y trouve.
Des intuitions, Jean-Michel Bertrand n’en manque pas. Cependant, il butte sur un os (de loup ?) : une fois franchit un des cols permettant de s’extraire de la vallée encaissée où il a posé ses caméras qui se déclenche à l’approche du moindre mouvement, il perd la trace du loup, se perd en hypothèses sur le chemin qu’il a éventuellement pris. Ce faisant, il perd un peu ses spectateurs aussi, ce qu’il n’avait pas fait dans le précédent film. La faute probablement aux subterfuges que J-M Bertrand utilise pour nous faire croire à une unité de narration, mais qui ne sont en fait que des astuces du montage pour nous emmener vers le nord. La faute aussi à un militantisme un peu trop appuyé, s’obligeant à expliquer les réactions que suscite la présence du loup chez les éleveurs, les difficultés – réelles cela dit – de la cohabitation entre l’homme et les milieux sauvages. Dommage, ces quelques incartades masquent presque les points forts de cette Marche avec les loups, notamment les mystères de la progression géographique de l’espèce, sur lesquels buttent les meilleurs spécialistes.
N’en demeure pas moins un florilège de belles images, où l’on voit aussi le réalisateur se tromper, échouer à la manière d’un pied-Nickelé mais c’est ça aussi qui le rend sympathique et permet l’identification. Il brosse des prise de vues à couper le souffle venues du sol ou avec un drone ; une voix off chantante et rocailleuse qui accompagne, malgré tout, les spectateurs. Jusque dans une cabane typique du Jura où Jean-Michel Bertrand passe l’hiver, et enfin au dénouement en forme de happy end qui pourrait faire oublier que s’il a vraiment perdu la trace du loup, il a comme lot de consolation trouvé celle des lynx, se demandant s’ils peuvent cohabiter. Ou comment masquer la perte de ce qui était à nos yeux plutôt une bonne nouvelle – le retour du loup en France – par une autre : il y a aussi des lynx. De quoi agrémenter les longues soirées d’hiver en rêvant – ou pas – au moment où l’on pourra dire, tout « conte » fait : loup, y es-tu ?
F.S.
Marche avec les loups, de Jean-Michel Bertrand. Sortie le 15 janvier 2020.
Marche avec les loups (c) Gebeka Films
Le Consentement, de Vanessa Springora : le livre d’une vie
Vanessa Springora a mis plus de dix ans pour parvenir à écrire le récit de l’emprise qu’a exercé sur elle le sulfureux écrivain Gabriel Matzneff, quand elle n’avait que 14 ans. Elle voulait dit-elle « prendre le chasseur à son propre piège, et l’enfermer dans un livre », dit-elle. C’est réussi.
« Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies ». Après 34 pages introductives d’où l’on ressort fébrile et mélancolique - récit d’une enfance où, au lieu d’être un « rempart », son père n’est qu’un « courant d’air » - Vanessa Springora campe le décor de ses cinq ans, moment où ses parents se séparent à la suite d’une n-ième dispute. Moins de dix ans plus tard, traînée dans un dîné mondain par sa mère, attachée de presse dans le milieu de l’édition, elle croise le regard de son « ogre », comme elle le nommera plus tard. Il a 40 ans de plus qu’elle. Gabriel Matzneff, écrivain sulfureux qui ne cache pas, à longueur de pages, son goût pour les adolescentes et les petits garçons qu’il aime déflorer et « dévorer », bénéficie encore à cette époque (1986) de la complaisance du milieu germanopratain médiatique et éditorial. « C’était une autre époque » se défendent – mal – ceux qui aujourd’hui regardent le bout de leurs chaussures en espérant qu’on ne vienne pas leur chercher des noises pour complicité ou non assistance à adolescentes en danger.
Dans un style incisif où pointe une douleur non feinte tout autant que discrète, Vanessa Springora déroule le fil d’un récit glaçant en six chapitres : l’enfant ; la proie ; l’emprise ; la déprise ; l’empreinte ; écrire.
Écrire… c’est ce qu’il fait, lui, dès le lendemain de leur première rencontre. « Passionnément », frénétiquement – jusqu’à deux fois par jour – il tisse sa toile. Elle est rapidement fasciné par cet homme dont elle sent, pendant le dîner, son regard lui « caresser la joue (…) La présence de cet homme est cosmique ». Quelques jour après, ils ont rendez-vous et elle se retrouve sans vraiment comprendre chez lui, dans une minuscule garçonnière sous les toits près du Jardin du Luxembourg, qu’il hante à la recherche de jeunes filles en fleur, comme il hante aussi la piscine Deligny pour les même raisons. « Un seul endroit permet de se tenir à deux dans cette pièce, le lit ».
Ni les signaux de sa mère – qui l’alerte sur ses penchants pédophiles, connus de tous – ni de quelques proches, pas plus que son propre corps ne la ramèneront à la raison. Elle va vivre une « passion » dévorante avec « G » comme elle le nomme, jusqu’à ce qu’elle tombe par hasard sur un de ses petits carnets noirs en moleskine où elle lit la confirmation de ce qu’elle redoutait par ailleurs : elle n’est pas la seule « petite amoureuse ». Il y en a d’autres. Il y en a plein. A celles-ci s’ajoutent ses « petits garçons » de Manille, où il se rend une fois par an, en quête de « culs frais ».
« A quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. De tout cela j’ai conscience, malgré mes quatorze ans, je ne suis pas complètement dénuée de sens commun. De cette anormalité, j’ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité ».
Récit bouleversant, libérateur et cathartique, où l’auteur fait entendre ses émotions de l’adolescente qu’elle fut, de la femme et mère qu’elle est devenue, Le Consentement fait l’effet d’une bombe dans le (petit) milieu littéraire parisien qui n’avait pas encore connu son épisode #Metoo. À coup sûr il marquera son époque, autant qu’il marque son auteur et ses lecteurs.
F.S.
Le Consentement, de Vanessa Springora. Grasset. (206 p.).