Viens voir les comédiens...
… voir les musiciens, voir les magiciens qui arrivent. Ils ont déboulés en petites grappes, fendant la foule. Le spectacle commençaient déjà, s’interpellant les uns, les autres, devant les badauds qui badaient, entre la poire et le fromage au sens propre car il s’agissait d’un happening gastronomique populaire en pleine rue (la "fête du ventre", ça ne s'invente pas). Ca tombait bien, cette semaine nous avions vécu la journée mondiale du refus de la misère, et celle de lutte contre la faim. Bon.
Le prodigieux spectacle de la rue s’est mis en place, un drap, un faux projecteur, des visages blancs, des costumes années trente : on allait nous faire du cinéma. « Approchez ! approchez ! Mesdames et messieurs, dans un instant, ça va commencer ! ».
Puis vinrent « Drôle de drame », « Marius »…
« Sur l’écran noir de mes nuits blanches, moi je te fais du cinéma, sans pognon et sans caméra, Bardot peut partir en vacances, ma vedette c’est toujours toi » chantait le poète.
L’espace d’un instant, c’était Jouvet, Simon, Raimu, Pierre Fresnay.
L’espace d’un instant, c’était bon de voir les comédiens, les musiciens, les magiciens.
Ils arrivent.


Seventees revival
Tout ce qui est vintage a du bon : et la « crise » participe à ce grand mouvement de l’adoration nostalgique du bon vieux temps qui n’était pas si mauvais que ça.
Le cinéma vient même, en ce moment, à notre aide en enfonçant le clou dans un spectacle du monde que d’aucun aurait tort de siffler avant le début du match.
Sur les écrans, cette semaine, et la semaine prochaine, quelques vignettes des années 70 et surtout deux personnages apparemment contradictoires, mais pas tant. Coluche et Mesrine. Le clown et le voyou. Celui qui faisait mourir de rire, et celui qui faisait mourir tout court.
Dans un article de Frédéric Théobald dans « La Vie » (semaine du 16 octobre), ce confrère prend le risque de comparer l’incomparable. « Pourtant, à l’écran, ils ravivent un même pan du passé et semblent, à leur façon, agiter un même drapeau de la contestation et de la radicalité » écrit-il.
Comme je n’ai vu de « Mesrine, l’instinct de mort » que la bande annonce, donc très commerciale et très réductrice, je ne m’étendrai pas trop sur le sujet. Cela étant, une conversation récente avec une personne intelligente m’amenait à quasiment défendre avant l’heure un film taxé de voyeurisme, voire de mythe errant depuis sa mort le 2 novembre 1979. Ou assassinat, c’est selon. Mais déjà, en utilisant à dessein le mot « mort » ou « assassinat », il y a, nous le savons bien, un parti pris.
« Coluche, l’histoire d’un mec » (de Antoine de Caunes) en revanche est sur les écrans depuis mercredi. Là aussi, la mythification du personnage Coluche, que certains, dans la France des années 80, n’ont pas été déçu de voir disparaître sous un camion d’une route à lacets de Corse, tient parfois du délire collectif. Mythe d’un âge d’or où la contestation, selon les propos du clown lui-même, « était née du capital, engendrée du capital, donc le capital était plus important que la contestation car la contestation ne vit pas du capital alors que le capital vit de sa contestation ». Cet excellent sophisme, à la limite de l’absurde, illustrerait - si j’osais ! – la frénésie et la schizophrénie financière dans laquelle banquiers et traders nous ont entraînés.
Dans les deux films, aux reconstitutions minutieuses (rien ne manque : ni costumes, ni images d’archives de télé et radio, ni véhicules d’époque), la tentation est forte de rapprocher les deux périodes : aujourd’hui, et hier (c’est-à-dire Coluche et Mesrine). Crise du pétrole, obsession du pouvoir d’achat, fête à gogo et ivresse pour oublier, peurs ancestrales agitées par l’ennemi public n°1, bordel organisé dans une campagne électoral chiante par un clown que les grossiers trouvaient vulgaire.
Je me souviens, enfant, des images de ces deux personnages : à entendre les adultes parler de lui, j’avais l’impression que Mesrine allait débarquer dans la petite ville de province qui m’abritait alors, au cœur du Poitou, et allait flinguer tout le monde. Je me rassurais comme je pouvais, en constatant qu’à la maison, il y avait un fusil de chasse : on saurait se défendre. Et il n'avait jamais braqué d'école primaire.
Mais je me souviens aussi des rires grinçants que provoquaient le clown en salopette et tee-shirt jaune qui conspuait la publicité, et les « z’hommes politiques ». Il provoquait cette philosophade bien connue : « il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Hélas, pourrions-nous dire ! Dans un monde d’hypocrisie - valeur sans doute la mieux transmise malgré elle – si le mensonge était moins notre plus grand dénominateur commun, on rigolerait sans doute moins, mais on s’en porterait peut-être un peu mieux.
Jean-François Richet, à qui l’on doit ce « Mesrine, l’instinct de mort », dépeint son héros de la sorte : « un homme libre, un vrai rebelle. Mesrine, c’est quelqu’un qui dit non, qui dit : ‘ j’aime pas les riches et les forts… J’aime pas l’Etat’ ». C’est pourtant l’Etat qui l’a eu, après l’avoir bien fait cavaler.
Ce revival des années 70 finissantes et 80 pleines des promesses de nouveaux commencements est à voir sur écran.
Ah ! J’allais oublier ! Raymond Depardon sort le 29 octobre le troisième volet de ses documentaires sur le monde paysan : « la vie moderne ». A voir, vraiment. L’effondrement d’un monde, celui de nos racines pour la plupart, réduit à peau de chagrin dans des contrées lointaines si belles pour le tourisme estival. Des paysans approchés avec une infinie tendresse et un profond respect, noueux comme un pied de vigne. Dans le précédent volet, une vieille paysanne demandait à une autre (à propos de R. Depardon) : « pourquoi il me film ? » - Réponse : « parce que tu es là ».
Silence… ça tourne…
Première Séance
La Frontière de l’aube
de Philippe Garrel. France, Italie 2008. 105 mn. Distributeur : les Films du Losange. Avec : Louis Garrel ; Laura Smet ; Clémentine Poidatz…
Le film de Philippe Garrel a vidé la moitié d’une salle pendant le dernier festival de Cannes en un quart d’heure. N’allez pas croire que les festivaliers, public difficile s’il en est, aurait posé ce geste en réaction contre le film. Il s’agirait plutôt de chercher du côté de l’auteur, cinéaste maudit sur la croisette. Pour ceux qui ont eu l’audace de rester jusqu’à la fin, ils ont pu assister – tout comme nous – à un très bel objet de cinéma, tendance nouvelle vague. Ce film possède une âme, un charme poétique à la finesse qui n’a d’égal que le désir du réalisateur de ne pas avoir cherché, justement, à faire œuvre de poésie.
Sans doute un des plaisirs à voir La Frontière de l’aube tient-il à l’image, en noir et blanc, relevant les contours de Louis Garrel, Laura Smet et Clémentine Poidatz. Ils apparaissent comme sortant d’un rêve, où les apparitions de Carole (Laura Smet) sont bricolées à la manière d’un Cocteau.
C’est l’histoire d’amour entre une star de cinéma délaissée par son mari rapidement parti à Hollywood, et d’un photographe qui doit faire un reportage sur elle. Amants pendant quinze jours dans un hôtel, ils se quittent brusquement au retour du mari acteur. Sans nouvelles, Carole se noie dans l’alcool, au sens propre comme au figuré.
François, le photographe, refait sa vie avec Eve, jeune femme fragile, qui, tombant enceinte, souhaite garder l’enfant. François, un peu sceptique, accepte. Il se met alors à voir des hallucinations : Carole apparaît dans un miroir, et l’appelle à elle. Il doute alors de ses sentiments.
Film sublime aux accents romantiques, La Frontière de l’aube laisse le spectateur au bord du vide, prêt à sauter. Mais dans cette sensation onirique, comme le cinéma, reste « pour de faux », et on en ressort les yeux émerveillés par tant de grâce et de beauté sur pellicule.
Dommage que le jury cannois n’y ait vu, lui, que de la poudre aux yeux, obsédé par autre chose, sans doute.
Cette chronique cinéma qui n'engage que son auteur est audible chaque semaine, le mercredi 12h55, sur RCF Angoulême 96.8 (podcastable) ; et le jeudi sur RCF Rouen 90.2 à 11h30 & 12h55.
Vide bourse
Nous avons bien pris acte que c’est la crise, la récession, la dégringolade financière, le temps des patates est de retour (pour certains il ne fait que continuer), la fin de partie pour tous ceux dont le métier était de jouer avec l’argent, le tiens, le mien, le nôtre pour être plus précis. Qu’on se rassure, beaucoup de ces joueurs sont à l’abri des embiernes - comme on dit dans la capitale des Gaules - grâce à des matelas de fric confortables, et durement amassés depuis des lustres.
Mais d’autres ont déjà trouvé une reconversion, tel ce peintre aux pastels, qui, après discussion, accepta le cliché volé. Il faut bien vivre, me disais-je, et si les anciens banquiers accrocs de la finance pouvaient laisser filer au grand jour la fibre artistique qui sommeille en eux, le monde s’en porterait peut-être un peu mieux. Mais je vois déjà poindre en vous, lecteur à la sagacité bien affûtée, un sourire de compassion : quelle candeur ! Un monde d’artistes ! Un rêve éveillé, un cauchemar pour d’autres…
« Pas de souci », selon l’expression très en vogue et terriblement rasoir (égratignée, parmi d’autres, par Philippe Delerm dans Ma grand-mère avait les même. Les dessous affriolants des petites phrases chez Point). « Pas d’souci », la rue suivante vient m’arracher à mes rêveries de saltimbanque. Nous sommes bien dans un monde où règnent l’argent, les financiers et les banquiers. Et mieux vaut avoir ses mains près de ses poches, de peur que des sous n’en tombent et se perdent. La preuve par l’image.
quatre saisons, douze photos (n°2)
Deuxième photo de cette série sur le déroulement du temps et des saisons sur un même lieu. Automne, suite, un mois après le commencement début septembre. (ici)

Le crime est notre affaire
Le nouveau film de Pascal Thomas sera sur les écrans de France et de Navarre mercredi prochain. Il s'agit d'une adaptation d'un roman d'Agatha Christie, la deuxième pour ce réalisateur, après Mon petit doigt m'a dit en 2005 ; nous y reviendrons.
Ce jeudi, il était invité dans nos studios, avec André Dussolier et Catherine Frot. Moment délicieux, on en salivait d'avance.
Et combien l'heure passa vite !

la photo des noces
(fable cynique et iconoclaste à l’usage des malpolis)
Dans un mariage, on peut s’emmerder ferme. Je ne parle pas de la mairie ou de l’église, qui mettent les convictions des récipiendaires à rude épreuve. Les uns considèrent le passage sous les ors de la République comme une formalité sans valeur, seul compte le sacré d’une église romane du XIè siècle avec le vieil oncle prêtre. Pour d’autres, c’est l’inverse, et les convictions chèrement acquises se diluent dans un simulacre de cérémonie lisse et sans saveur. Comme une vieille toile cirée qu’on a eu peine à retaper avec une éponge hors d’âge.
Ensuite vient le vin d’honneur. C’est encore le moment le plus amusant. On se rince le gosier à grand coup de champagne frais, et, au fur et à mesure de l’avancement du pince-fesses, tiède. Ce qui revient à dire qu’on se fait de plus en plus suer à mesure que se rapproche le moment tant redouté : le dîner « assis – placé » (comme aux courses de chevaux). Dans un instant nous y reviendrons. On se gave de petits fours, et il faut reconnaître aux traiteurs des trésors d’ingéniosité : ces temps-ci, les « verrines » au guacamol sont très « tendance ».
Le cocktail a néanmoins, disions-nous, quelques avantages : les bavardages y sont polis, gracieux, emprunts d’une sincérité à faire se cabrer un cheval de bois pour donner des coups de pieds. Tout le monde est beau, bien habillé, les hommes rasés de près (ou légèrement barbus, pour un négligé bc-bg très étudié), les jeunes femmes à moitié nues sous des robes transparentes, et, conséquence du champagne, de plus en plus avinées donc pour certains des proies faciles. Les beaux-parents rayonnent (même s’ils ne sont pas beaux). Les parents jubilent. On recrée l’histoire, souvent la leur, le mariage n’étant – visuellement du moins – qu’une réédition de celui célébré trente ans plus tôt.
Puis vient le moment tant redouté du dîné « assis – placé » (ndlr). Si on a de la chance, pas la peine d’épiloguer. Mais souvent, on se retrouve assis en face d’une cousine incasable et donc pas casée (on comprendra très vite que ce n’est pas uniquement à cause du physique). Ou en face d’un ami d’enfance informaticien dans le Jura. Et entre deux couples : l’un danois, rencontré lors d’un Erasmus improbable en Biélorussie ou à Barcelone. Pas de chance, ceux-ci ne parlent qu’anglais avec un fort accent du Danemark, et ne comprennent rien aux mœurs francophones. De l’autre côté, un couple de jeunes mariés avec leur premier enfant de deux mois et demi, donc ils passeront le repas alternativement absents (au début) pour aller voir « si tout se va bien ». Puis bientôt les deux (pendant dix minutes). Puis tout le reste du repas. Ils sont inquiets, la route a été longue, le petit a des rougeurs sous les fesses et pleure beaucoup. Je passe sur les discours des « amis / es », avec l’inusable (et pourtant archi usé) diaporama de la love story, des couches culottes au séjour au ski « où ils se sont dit oui devant tous leurs amis », en passant par l’enterrement de vie de garçon et de jeune fille. Enfin, là, les photos sont soigneusement sélectionnées, parce que sinon c'est le drame…
Un vrai mariage ne serait pas un vrai mariage sans le discours du père de la mariée. Ah ! Quel grand moment de littérature ! Un délice oratoire ! Parfois, il faut quand même admettre que certains s’en sortent pas si mal, à grand renfort de mise en scène (lumière tamisée, lunette sur le bout du nez, emphase dans la gestuelle et/ou le phrasé). Mais souvent, c’est une catastrophe émotive, émosionifiante, banalisante, reléguant le gendre au rang de gentil voleur qui sera toujours le bienvenu, à condition qu’il n’oublie jamais qu’avant de franchir la porte, il y a le paillasson. Sous un tonnerre d’applaudissements et un torrent de larmes, le tout s’achève sous les feux follets de la pièce montée, aux curieux petits personnages juchés en haut, prêt à choir.
Puis vient la valse, à trois temps si on écoute bien, mais, sous le contre rythme de marteau piqueur du marié raide comme un piquet – qui a souvent daigné prendre deux ou trois leçons avec sa future, sous la menace d’un divorce par anticipation – évolue rapidement en valse à mille temps. Massacre de Rostropovitch, ou Strauss, naufrage du cygne dans le beau Danube bleu. Trente secondes pas plus en solo, et les invités (souvent plus expérimentés mais la chose devient rare) viennent cacher de leurs duos le couple de mariés chancelant et au bord du précipice. Déjà.
Ensuite, après deux valses, trois rocks à papa et « Just a gigolo », les vieux sont priés d’aller se rasseoir pour finir leurs discussions sur le prix de l’immobilier dans le sud de la France et la difficulté à trouver des étudiants fiables pour la location du studio dans le 6è à Paris, et les « jeunes » se trémoussent sur de la housse, techno des années 80 – 90, bien vite rejoint par les « entre deux jeunes », quadras finissant au regain d’adulescence (non, il n’y a pas de faute d’orthographe…).
Les vieux tontons sont bourrés. Les jeunes leur trouvent d’immenses qualités de conversation, et surtout de bons cigares. Paul et Virginie s’en vont dans un buisson, la cravate en berne, une bretelle de robe déjà par terre. Et tout le reste, qu’on ne verra pas, finira dans la piscine pour un « bain de minuit » à quatre heures du matin, lorsque le DJ passera « Méditerranéenne » d’Hervé Villard, juste après « Cherchez le garçon » de Taxi Girl.
Finalement, le seul truc qui restera dans un mariage, c’est la photo des noces. Tout le monde est là. Tout le monde sourit. Tout le monde semble content. Sauf une.
Et c’est celle-là qu’on remarque le plus.
"Une noce chez le photographe" (1879). Pascal - Adolphe - Jean DAGNAN-BOUVERET
musée des beaux arts, Lyon
mobilis in mobilier
Unique en son genre, le « Lieu Unique » est construit à Nantes sur les ruines encore beurrées de l’usine « Lefèvre Utile », LU pour les amnésiques.
Là, dans un décor fantasque et parfois incongru, l’homme a ré-apprivoisé le lieu du labeur, lieu du beurre, lieu des miettes, bref l’usine où l’ouvrier trimait au turbin en attendant le bal du samedi soir. A cette époque – un âge d’or pour certain, dans cette « nostalgisation » de notre société regrettante et regrettée – les hommes étaient payés à la semaine, buvaient la moitié avant d’arriver chez eux, ne partaient pas ou peu en vacances.
Désormais, le « Lieu Unique » résonne d’expositions, de concerts, de conversations au bar où des jeunes branchés boivent le monde en refaisant des coups, où les plus anciens viennent s’encanailler de cette fraîcheur juvénile, où les quadras aiment y tenir leur meilleur rôle, celui de bo-bo. Les trentenaires, désabusés qu’ils sont, traquent tout ce beau monde en prenant des clichés.
Même le mobilier semble unique, et, pourtant, il a un je-ne-sais-quoi de déjà vu.
Chez soi peut-être ?
Unique, c’est sûr !
rentrée des classes, sortie de cours
Entre les murs
de Laurent Cantet. France, 2008. 128 mn ; 350 copies. Distributeur : Haut et Court. Avec : François Bégaudeau et les élèves du collège Françoise Dolto (Paris 20è).
Impossible de résumer Entre les murs à une histoire de « pétasses ». Les pétasses du collège Dolto, Paris 20è valent-elles celles du lycée Mozart dans le 16è ? Probablement pas, et ce n’est pas la moindre des différences avec La Belle personne de Christophe Honoré sur les écrans à une semaine d’intervalle dont le sujet tourne déjà, faut-il le rappeler, autour de l’adolescence scolaire et ses petits (gros) tracas.
Laurent Cantet, nous avait déjà époustouflé avec une peinture sociale très contemporaine, Ressources Humaines, microcosme d’une entreprise aux prises avec un plan social. Partant du livre témoignage d’un enseignant, François Bégaudeau, il filme au plus près, intime, le huis clos serré et forcé d’un collège, les scènes clés de la vie d’une classe de 4è tout au long de l’année. On pourra faire toutes les lectures possibles de cette tranche de vie. La seule interprétation véritable, peut-être, est celle de Bégaudeau lui même, auteur et acteur de son propre rôle. Nuance et force pour ce prof comédien, véritable taupe de son propre collège. Le tout est plaisant à regarder, même si la tension est toujours forte.
Souvent, il s’agit en effet moins d’essayer de transmettre un savoir (en l’occurrence ici d’enseigner le français et ses subtiles nuances) que de « gérer » les rapports humains entre un groupe (les élèves) et un individu seul face à lui (l’enseignant). Mais ce n’est pas encore assez. A travers ce groupe d’élèves tout à fait dans la norme (insolence, paresse, incompréhension, difficultés scolaires, sociales, familiales, adolescence chamboulée…), ce sont également des individus seuls face à eux mêmes et à l’adulte en devenir que Bégaudeau doit se battre en permanence. On ne peut pas dire qu’il ne ménage pas ses efforts, et apparaît parfois comme l’homme de la situation, notamment dans cette scène où il justifie l’apprentissage de l’imparfait du subjonctif. Le sens de la répartie le tire d’un mauvais pas. Mais celui-ci est souvent dépassé – par trop de solitude ? - allant jusqu’à devenir le "prof copain", tentant vainement de faire comprendre à ces petits jeunes sympathiques mais souvent terriblement immatures les rouages subtils de la démocratie entre un groupe de jeunes, et l’adulte.
Quelle comparaison avec La Belle personne de Ch. Honoré ? Apparemment aucune : là où Honoré adapte librement La Princesse de Clèves (qui devait maîtriser, elle, l’imparfait du subjonctif), montrant les déboires sentimentaux d’adolescents nantis et déjà presque adultes dans une classe de 1ère dans le 16è arrondissement de Paris, Cantet adapte la réalité et ses symptômes. Non sans parti pris au passage, et les partisans d’une culture dite de gauche seront contents. Ils sont condamnés au vieillissement précoce ceci dit, car la question posée par Cantet n’est pas celle du procès du « mamouth », mais celle du langage. Comme dire les choses avec le plus de justesse, sans caricature ni récupération, ni incompréhension, pour éviter d’envenimer les rapports humains déjà tendus au dessus du grill de quelques chaises et d’un tableau noir ?
Et c’est là toute la subtilité de ce fameux mot « pétasse », employé à tort ou à raison par Bégaudeau le prof face à deux élèves. Si elles ne le sont pas, au fond, elles l’étaient sur la forme dans un conseil de classe aux allures surréalistes, où chacun, autorités, parents, profs et élèves, est en réalité dépassé par la situation. Car personne à ce moment là ne trouve le bon langage pour endiguer l’hémorragie. Et faire taire les deux déléguées qui se conduisent comme des pé…
Trop de sang contenu finira par s’écouler, involontairement, un peu plus tard, dans le huis clos retrouvé de la classe, où va se jouer l’avant dernier acte du drame.
Le dernier, nous le laisserons pour ce conseil de discipline, où, si c’est bien le procès d’un élève dont il est question, c’est tout le système qui se condamne lui même. Ou plus justement des individus dans le système.
Il fallait que ces pétasses fussent recadrées à temps pour qu’on évite l’échec. Ou : comment la République de Platon vient clouer au sol les élèves, et, non des moindres, l’enseignant lui même.
Une élève, ultime tentative de faire vivre un langage qui décidément fait beaucoup parler de lui dans Entre les murs, vient fermer le banc à l’approche des vacances scolaires. A la question : « qu’avez-vous appris cette année à l’école ? », l’élève rend compte de sa douloureuse interrogation : « je ne comprends pas ce qu’on fait… dans tous les cours ».
On quitte là le domaine du français dans le texte pour entrer dans celui de la philo et des sentiments. Ce qui pourrait le rapprocher, c’est un point de vue, de La Belle personne de Ch. Honoré.
Mais ce n'est qu'un point de vue.
Louis Garrel & Léa Seydoux dans "La Belle personne" de Christophe Honnoré
Casse-toi, pauv'...
Dans le métro lyonnais. Quatre jeunes sont assis. Adolescents pleine fleur. A vue d’œil, ils peuvent être en 3è. Pas plus. Ils chahutent gentiment, comme on le fait à cet âge. Ils se cherchent, font semblant de se battre, essaie d’agacer l’autre avec des petits coups portés par le plat de la main. L’un d’eux dit soudainement : « je vais te taseriser ». Du nom du fameux pistolet à décharge électrique censé neutraliser les ennemis de la République.
Je me dis que l’objet est rapidement tombé dans leur vocabulaire, dans le domaine public. Ils sont forts ces ados !
Mais il y a mieux – ou pire, c’est selon – quelques secondes après. L’autre jeune répond : « touche-moi pas, tu me salis ». Puis jaillit sans répit : « alors casse-toi, pauv’con ! ». Et ils partent dans un grand éclat de rire.
Voici donc la génération Sarko. Il y a eu la génération Mitterrand (j’en suis) ; la génération Jean-Paul Deux.
Désormais, l’exemple venant d’en haut, il y a la génération du franc-parler.
Merci, Monsieur le Président. Merci.
Bon heureusement il y a le regard bleu hypnotisant de cette jeune fille, détail d’un tableau étonnant qui sera dévoilé… prochainement.