Antoinette dans les Cévennes : qui fait l’âne fait la bête
Film de Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte… Envie de randonner sur le chemin de Stevenson dans les Cévennes avec un âne ? Attendez un peu avant de vous lancer.
Vaudeville néo-rural : Antoinette Lapouge (Laure Calamy), institutrice amoureuse du père d’une de ses élèves (Vladimir, interprété avec retenue par Benjamin Lavernhe), fait chanter par ses élèves à la fête de fin d’année Amoureuse, de Véronique Sanson. Stupéfaction dans la cour… Mais douche froide lorsque son amoureux lui annonce que finalement, la petite semaine qu’ils devaient passer ensemble ne se fera pas, Éléonore, sa femme (Olivia Côte) ne part finalement pas à l’Île de Ré mais a choisi pour toute la famille une traversée des Cévennes avec un âne. Qu’à cela ne tienne, Antoinette réserve à la dernière minute le même séjour et débarque à Monastier-sur-Gazeille au bord du GR70 dans la Haute-Loire, avec ses talons compensés et sa valise rose à roulettes… Après un premier dîner inquisiteur où elle apprend qu’elle est la seule à faire la traversée avec un âne (elle va rapidement comprendre pourquoi), la voilà partie dès le lendemain avec Patrick, l’âne qui lui est réservé, pour une « psy qu’âne analyse » avec les pieds, où la tête et le cœur vont tourner à plein régime, en même temps que les gags clownesques.
Antoinette et Modestine-Patrick : même combat. En 1879, l’Écossais Robert-Louis Stevenson se lance lui aussi sur les chemins des Cévennes avec une ânesse, Modestine, suite à ce qu’on nommerait aujourd’hui un chagrin d’amour. Il en tira Voyage avec un âne dans les Cévennes, devenu une sorte d’objet culte du marcheur dans ce superbe coin de France. Et dissuasif de marcher avec un tel animal, au passage… Antoinette va découvrir que ce qu’elle poursuit n’est pas plus important que ce qu’elle cherche, au fond : son unification après des années d’errance.
Dans le vaudeville, la femme trompée est souvent la clé d’un tournant irréparable : c’est Éléonore, femme de Vladimir, qui dans un formidable plan-séquence donne le dénouement de cette histoire entre les deux amants. Problème (en est-ce un ?), on n’est à ce moment-là de l’histoire qu’au beau milieu du film… Une fois éloignée de son mari l’encombrante maîtresse qui croyait bien faire, comme Caroline Vignal va-t-elle éviter les bâillements de ses spectateurs ?
En s’intéressant à l’intérieure d’Antoinette plutôt qu’à ses aspects extérieurs, pourtant burlesque, bien aidée par les deux ânes qui participent au tournage (un agressif, l’autre plus doux pour les moments « câlins »). Sans aller jusqu’à dire qu’elle signe un chef-d’œuvre, Caroline Vignal rend le propos plaisant jusqu’au bout de l’heure et demi d’un film qui remplit son rôle en cette rentrée cinématographique si particulière après six mois de disette. Beaucoup de choses y sont soignées, jusqu’aux seconds rôles qui valent largement des premiers dans des films moins bien ficelés. Antoinette dans les Cévennes, ça marche, et c’est le cas de le dire.
Sur les écrans depuis le 16 septembre.
Ça se lit aussi ici.
La lumière de la Charente existe
"La lumière de la Charente existe, sans pareille en France, même dans la Provence. Elle n'est pas traduisible en mots. Partout, on ne sait quoi d'ineffable baigne la nature ; l'homme aussi. (...) La lumière de la Charente est limitée à un petit espace. Un peu plus loin c'est un autre ciel et d'autres mœurs".
Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. (1938)
- Bayers -
- Verteuil-sur-Charente -
Photos (c) Fred Sabourin.
L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)
« Dis papa, pourquoi tu as aimé ça être militaire ? À cause de cette caserne ? ». Pas facile d’expliquer à une enfant de 9 ans pourquoi un tel lieu – une ancienne caserne landaise reconvertit en cité administrative – suscite autant d’attrait, 24 ans plus tard, allant jusqu’à provoquer un détour de 48 km sur la route du retour des vacances... C’est d’autant plus étrange que l’accueil se faisait à l’époque où elle tournait à plein régime par un bâtiment nommé « Solférino » : le « gnouf » de la dite caserne. Pour les férus d’histoire, Solférino est le nom d’une bataille de la campagne d’Italie, le 24 juin 1859, en Lombardie. C’est aussi le nom d’une petite commune des Landes, à quelques kilomètres de là. Dans la caserne Bosquet, « Solférino » était le nom des geôles où les punis de la semaine allaient essayer de dormir quelques heures, roulés dans une couverture en laine kaki, avant d’être réveillés bien avant l’aube pour effectuer les fameux « TIG », travaux d’intérêts généraux. Bienvenue à bord, jeunes bleues-bites ! Vous saviez où vous mèneraient vos égarements en cas d’écarts de conduite…
La commune où se trouvent un père et sa fille ce jour nuageux mais chaud d’août est préfecture du département des Landes : Mont-de-Marsan. Une préfecture un peu isolée au milieu des bois, une petite cité aux allures de sous-préfecture, à peine desservie par le chemin de fer sur une voie unique et non électrifiée. Deux autoroutes passent au large, suffisamment pour faire hésiter le touriste à faire le crochet, réduisant les tentations de venir s’y perdre. Aucun véritable attrait patrimonial ou architectural en particulier, à moins de considérer que des arènes de tauromachie en soient. Des routes nationales s’en échappent en étoile, en direction de Dax, Agen, Pau et Bordeaux, fendant l’air chaud et humide entre les grands pins et les champs de maïs, à perte de vue. Mais revenons en arrière.
Un matin d’octobre 1996, plusieurs centaines de conscrits – c’était leur nom – ont convergé de la gare vers la caserne Bosquet, distante de deux bons kilomètres, pour y effectuer ce qu’on appelait encore leurs obligations militaires. C’était juste avant que Jacques Chirac ne signa la fin de la conscription, jugée inégalitaire, un brin dépassée et que les plus nantis fils à papa esquivaient joyeusement. Certains appelés y allaient cependant parfois avec entrain (rares mais il s’en trouvait). L’essentiel des conscrits ce jour-là affichait la mine timorée de ceux qui s’y résignent faute de mieux : quand faut y aller, faut y aller, et vivement la fin, bordel.
Vingt-quatre heures après le début, la scène est bien réelle et aurait été digne d’une chanson de Brel. Qu’on imagine une longue file d’attente de futurs paras en slips (vive l’armée française !), survêtements pliés sous le bras, la boule à zéro, attendant leur tour pour se faire injecter des doses de vaccins dans un couloir d’infirmerie au carrelage blanc comme un asile, éclairés de néons étincelants et sentant l’eau de javel. Au bout du couloir, un médecin-chef, à lui seul remède à n’importe quelle maladie tropicale ou équatoriale que ces appelés du contingent pourraient attraper dans d'exotiques contrées où les parachutistes coloniaux qu’ils allaient devenir étaient censés se rendre, un jour. Le capitaine médecin, flanqué de deux infirmiers, piquaient à tour de bras : fièvre jaune, typhoïde, tétanos et autres joyeusetés en guise de cocktail de bienvenue. Parmi les blancs becs, certains roulaient déjà des mécaniques, forts en gueule ; mais la plupart tentaient de regarder ailleurs en la bouclant. L’un d’entre eux tenait pourtant conversation civilisée avec un autre de ses semblables au sujet de livres. Oui, vous avez bien lu : de livres. Ça valait le coup de tendre l’oreille : il y avait donc ici un ou plusieurs extra-terrestres qui lisaient des livres ! Le contingent d’octobre, classiquement celui des étudiants, avait en effet mauvaise réputation : c’était celui des « intellos », propices à la contestation des ordres établis, propre à tenir tête, à dénoncer les ordres cons bref : des suspects qu'il convenait de maintenir dans le rang. Il s’approcha du gars dont il ignorait encore le nom et qui parlait de livres. Il disait « en emporter un partout quand il ne pouvait en emporter aucun autre », et qui, selon lui, pouvait être lu et relu sans lassitude. C’était L’Anthologie de la poésie française, par Georges Pompidou. Un trésor de la langue française en 450 pages serrées format livre de poche du normalien-banquier-Premier ministre-Président de la République. Prenant part à la conversation, il déclara avoir emporté pour sa part Céline, Voyage au bout de la nuit, dont il ne dépassa pas 50 pages, vu le programme annoncé. Dans cette infirmerie militaro-médicale, entre les pesées et prises de mesures, les piqûres les faisaient ressortir « bons pour le service » (mais de qui ?).
Le temps leur paru cependant trop court : 24 ans plus tard, ce conscrit anonyme ne le fut pas longtemps, il est devenu un ami, un camarade, un frère. Grâce à lui, sa vie fut probablement différente de ce qu’elle aurait pu être alors. Car à l’issue de ces quelques mois de campagne – qu’il serait trop long ici et maintenant de détailler – le lecteur de Pompidou lui fit découvrir sa montagne favorite à quelques kilomètres de « Bosquet » : la vallée d’Ossau en Pyrénées, dont il n’est jamais vraiment redescendu. Il est des lubies qui prennent parfois leur source dans les hasards de l’existence. Celle-ci en est l’enfant, devenu adulte (24 ans donc) qu’il était temps de présenter au prolongement de sa propre existence, questionnant de ses grands yeux bleus ces vieilles coutumes viriles si étranges.
Il en va ainsi de l’amitié : elle naît du hasard et des coïncidences, sans qu’on ne l’ait ni voulue ni calculée.
Tranquillement assis à l’ombre des grands platanes qu’il avait connu et ramassé les feuilles, automne 96 ; le derrière dans l’herbe rase entourant la médiathèque montoise tout de verre et d’acier qui trône à présent dans l’ancienne cour de la caserne – dont subsistent la plupart des bâtiments et les fameux platanes bordant les anciennes allées qui résonnent encore de leurs chants de « l’ordre serré » ; ils ont parlé de ce temps lointain qui ne reviendra plus, mais demeure vivant par ce qu’il y fit et vécu. De ce qu’il en a conservé, aussi. Car demeurait la question du début : « pourquoi tu as tant aimé être ici ? », insistait-elle auprès de son père, en mastiquant un sandwich rôti de porc-mayonnaise-cornichons.
« Parce que je m’y suis fait un Ami, ma petite, que tu connais d’ailleurs », répondit-il. « Et que cette amitié n’a pas de prix ». Voilà la leçon du jour, jeune padawan. Retiens-là, et fais de même, si tu peux.
"Il faut à l'amitié beaucoup de temps ; elle a besoin d'être incorporée et sans doute nouée dans l'enfance. Elle m'a détaché de l'humanité et de son avenir. Mais peu m'importent aussi les folies de l'humanité. Je pense qu'elle produira toujours de ces êtres rares auxquels on peut s'attacher, et cela suffit".
(Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. 1934).
Gargilesse-Dampierre : quelques grammes de romantisme et impressionnisme en Berry - Creuse
- Gargilesse-Dampierre ; peintures de la crypte XIIIe - XVIe s. -
Niché à la confluence de deux rivières qui prennent leur temps, la Gargilesse et la Dampierre, Gargilesse-Dampierre accroche à son paletot le privilège de faire partie des 400 "Plus beaux villages de France". Ce titre n'est pas usurpé.
Sur le chemin de Saint-Jacques-ce-Compostelle, la commune abrite un château XIIe - XVIIe siècle (hélas fermé actuellement cause Covid...) ; des ruelles en pentes aux maisons accrochées à leurs flancs ; et surtout l'église Saint-Laurent-Notre-Dame et sa crypte ornée de peintures du XIIIe et XVIe siècle remarquables.
En 1857, accompagné d'Alexandre Manceau, George Sand découvre Gargilesse-Dampierre. Un mois plus tard, elle acquit une petite maison dans le cœur du bourg, qu'elle nommera "Algira". Dans son sillage, elle entraîna des peintres impressionnistes, à juste titre impressionnés par le site, ainsi que celui de Crozant à quelques kilomètres plus au sud, accroché aux méandres de la Creuse. Dès le début des années 1820, Jules Dupré, Georges de Lafage-Laujol y plantèrent leurs chevalets. Suivront (entre autres) Armand Guillaumin, Paul Madeline, Léon Detroy, Ernest Hareux, Gustave-Eugène Castan, Alfred Smith, le surréaliste Francis Picabia ; mais aussi Claude Monet (à Fresselines, à l'invitation de l'écrivain et poète Maurice Rollinat) y vinrent grâce au train qui reliait ce coin du Berry voisin de la Creuse en 7 heures depuis les gares d'Austerlitz ou d'Orsay.
Les rives des deux Creuses (Grande et Petite Creuse), de la Sédelle et de la Gargilesse, vont inspirer ces peintres et donner son nom à l'école de Crozant. On peut visiter le Centre d'interprétation des peintres de la vallée de la Creuse - Hôtel Lépinat, situé dans l'ancienne auberge tenue par "la mère Lépinat", aubergiste des peintres (à Crozant), qui se mettait en quatre pour que ces messieurs soient aux petits soins. À Fresselines, les ateliers et galeries d'art et de l'Espace Monet-Rollinat complètent la visite de ce charmant bourg creusois.
Un chouette coin de France, à l'écart des modes - s'en plaindra-t-on ? non, pas vraiment - des flux et des hordes touristiques en pantacourts et sandales quechua ; un petit coin de paradis pour les vivants qui ont les yeux, les oreilles et le nez grands ouverts aux sensations, aux impressions, au calme et au silence d'une nature sauvage envoûtante au possible...
- Crozant depuis le rocher des Fileuses ; église St-Laurent-Notre-Dame de Gargilesse ; cimetière de Gargilesse -
Été 85 : j'irai danser sur ta tombe...
Les histoires d’amour finissent mal, en générale… François Ozon adapte un roman de l’écrivain anglais Aidan Chambers, La Danse du coucou (Dance on my Grave), paru en France en 1983, qu’il vaut mieux traduire par « danse sur ma tombe ». Un roman qui, dit-il, l’avait fortement marqué.
C’est l’été, en 1985. Alors que Taxi Girl cherche le garçon depuis un an, Alex (Félix Lefebvre) se cherche lui-même sans se trouver vraiment. Sa rencontre fortuite avec David (Benjamin Voisin) à la suite du chavirage d’un petit dériveur où il a trouvé refuge sans se méfier de l’orage qui monte, au large du Tréport, va tout emporter. Après l’avoir remorqué, David emmène Alex prendre un bon bain chaud et des vêtements secs chez sa mère (Valéria Bruni Tedeschi). Instantanément, il chavire pour le jeune Alex. Durant 6 semaines, jusqu’à l’issue fatale dévoilée dès l’ouverture du film par Alex lui-même, menotté au poignet d’un gendarme dans le couloir d’un tribunal, les deux garçons sont vivre une forte attraction, une histoire passionnelle, jusqu’au désastre.
François Ozon caresse avec douceur dans une lumière de bord de mer où rien des symboles des années 80 ne manque – mention spéciale pour la bande-son qui ravira les quadras-quinquas - les corps et tempéraments de ces deux jeunes adultes à peine sorti de l’adolescence. L’effet est saisissant dès les premiers plans, grâce à une image traitée façon pellicule, donnant du grain (à moudre) au spectateur dont certains peuvent voir dans Été 85 un teen-movie dont il emprunterait, paraît-il, les codes. Rien n’est moins sûr.
Père récemment décédé et mère juive un poil envahissante pour l’un (David) ; père certes présent mais complètement à côté de la plaque et mère inquiète du devenir de son petit qu’elle ne voit pas grandir pour l’autre (Alex), le film emprunte aussi les chemins de traverse de la post-adolescence où la fureur de vivre prend sa source dans un passé familial sur lequel les deux jeunes semblent surfer, mais qui les rattrape au détour de quelques scènes finement pensées. De là surgira la promesse : si l’un de nous deux venait à mourir le premier, le survivant promet d’aller… danser sur sa tombe.
Si l’on songea, avant d’aller voir le film, aux ambiguïtés filmées par André Téchniné avec Quand on a 17 ans, (2016, avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila), ou aux Roseaux sauvages en 1994 (avec Gaël Morel, Stéphane Rideau, Élodie Bouchez), une fois au cœur d’Été 85 rien de semblable finalement. La première partie est véritablement lumineuse, joyeuse, « et en même temps » tragique puisque le drame nous était annoncé dès le début. Ozon a néanmoins le bon goût de ménager le suspense jusqu’au bout, à l’issue d’une seconde partie qui perd un peu en intensité après l’absence de David (Benjamin Voisin), qu’on espère revoir bien vite !
Demeure longtemps après le générique de fin l’intense questionnement de cette jeunesse folle d’elle-même, amoureuse de vivre à en mourir, prête à tout pour essayer, si possible, de prendre son envol en donnant tout, jusqu’à la vie. Sans penser que la pesanteur, elle aussi, peut rejoindre la grâce et clouer au sol ces albatros d’une insolente jeunesse…
Été 85, de François Ozon. 1h40. Avec : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty. Sortie le 14 juillet 2020.
Au delà des lignes
C'était un peu comme de retrouver un être cher après une (trop) longue absence : espérées, attendues, désirées, ces retrouvailles avec les Pyrénées étaient aussi un peu craintes. Sept mois depuis la dernière sortie, au même endroit – une coïncidence - après la nuit dans un frigo nommé cabane de Quioulès en novembre dernier (4° au réveil à 7h)… Cette Ariège méconnue - la montagne dite d'Aston, du nom d’un village légèrement situé aux marges de la RN20 qui file plein sud direction l’Andorre en traversant des contrées exotiques (1) - était le parfait théâtre d’une opération dégourdissement des jambes, le temps d'une escapade à quatre hardis et fières pyrénéistes. Aston, c’est aussi le nom du torrent qui dévale de cette montagne émergeant tel un mur et qui paraît, comme souvent dans les Pyrénées, infranchissable.
Il faut aller au bout du bout de la route, qui serpente le long du torrent d’Aston donc, dévalant d’une retenue d’eau (barrage de Riète) près de laquelle se trouve la centrale de Laparan, qui récolte les eaux de l’étang du même nom, plus haut vers le sud-est. Il faut monter dru dans un sous-bois de hêtres, de chênes - plus rares - et de quelques résineux. Au sortir de cet étage montagnard, une passerelle enjambe le torrent, on passe sous une conduite forcée puis on remonte vers l’ouest près du torrent de la Sabine : on entre alors dans l’étage subalpin. La cabane de Quioulès est toujours là, elle semble moins frigorifique qu’en novembre dernier ; mais ça n’est pas encore là le terminus. Tout juste le temps d’une légère collation, c’est vers la cabane de la Sabine que nous pas nous dirigent, dans un paysage odorant de pins, genévriers, rhododendrons, et toute une magie de fleurs de saison (lys, orchidées etc.) qu’il fut plaisant de contempler.
Cette cabane est toute petite, divisée en deux parties, et dont le toit, végétalisé, la fait se fondre littéralement dans le paysage. La partie la plus « grande » est composée de deux bat-flancs sommaires où l’on peut coucher sur chacun à deux, peut-être trois en se serrant bien et si les gabarits le permettent. Une cheminée et quelques « placards » suspendus, deux bancs fixés dans les murs complètent son sobre confort. C’est bien assez pour le repos des pyrénéistes... Malheureusement – si l’on peut dire – trois gaillards équipés de cannes à pêche sont arrivés avant nous, et il nous faudra compter sur l’étroite annexe, plus basse et nettement plus sommaire. Nos hôtes – ils sont Ariégeois et du coin – nous montrerons que la solidarité montagnarde n’est pas encore tout à fait un vain mot : ils se serreront pour laisser l’un des membres de notre équipage dormir dans la grande partie avec eux, nous permettant de passer une nuit pas trop dégueulasse.
Il faut s’élever encore davantage de la Sabine (1981 mètres) dans une forte pente herbeuse et caillouteuse par moment pour atteindre une sorte de col sans nom, et finir tranquillement jusqu’au sommet du Pic de la Sabine, seulement 2561 mètres mais dominant son entourage tout en défiant le Pic de Thoumasset (2700 mètres), seul « seigneur » du lieu. Du sommet, le panorama, sans être le plus époustouflant des Pyrénées, n’en demeure pas moins surprenant : comme souvent en Ariège, les charmes de cette montagne âpre, rude, très pentue et souvent couverte d’épines, ne se laissent admirer qu’aux prix de longs efforts, de passages dans des paysages où l’on ne serait pas surpris de voir surgir l’ours, entre autres…
Après une nuit réparatrice à la cabane de la Sabine, où il ne fait même pas froid, quasiment sans humidité du matin, nos pas nous dirigent entre rhododendrons et ruisseau frais, sur un replat spongieux où paresse le ruisseau de Soulanet (qui descend de l’étang du même nom), pour attraper une sorte de petit col rond comme la commissure de l’épaule et du cou. Là, c’est un autre ruisseau – la Coume de Seignac – qui indique le sens de la descente, parfois parmi une végétation luxuriante où nous croisons encore fleurs de lys, orchidées et les gentianes des Pyrénées, pas encore en fleur mais ce sera pour bientôt. Les rhodos nous griffent les jambes, comme si ils voulaient nous rappeler que la montagne, ça fouette le sang. À l’orée de la cabane de Bela (environ 1800 m) nous apercevons celle de Quioulès, en contrebas déjà. Dans deux heures et demie nous serons près de la centrale de Laparan et déjà s’achèvera cette virée virile au creux d’une montagne sensuelle, mais pas sans suite.
(1) Tarascon-sur-Ariège, Ussat-les-Bains, Les Cabannes, Albiès, Luzenac, Ax-les-Thermes, Mérens-les-Vals, l'Hospitalet-près-l'Andorre...
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Ruisseau de la Sabine - #Quioulès - #Aston - #Ariège
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Photos (c) F.S. Nikon D300. Focale 10-24 mm.
Dans le panneau (3e partie)
Indochine
« Elle apportait du thé, il buvait de la chicorée au lait. Une chose horrible, disait-elle.
Il était sergent dans l’armée de terre, dans une aile discrète du Renseignement français.
Elle habitant Saïgon près du fleuve. On la tutoyait. Il la vouvoyait.
Un matin elle trouva un message enlacé autour de la tige d’un hibiscus rouge.
Ma chicorée est certainement horrible, mais votre thé est insipide. Apprenez-moi à l’aimer.
Ce qu’elle fit ».
Bernard Giraudeau, Les Hommes à terre.
Angoulême : Herbes folles déconfinées (drôle de guerre, fin)
Elles nous ont tenues compagnie, les herbes devenues folles, pendant le confinement. On les a vu pousser derrière nos fenêtres, quand le mot d'ordre était « restez chez vous ! », à l'époque où il fallait raser les murs pour aller acheter une baguette de pain. Boulevard de la République à Angoulême, les pentes et le terre-plein central se sont couverts de ces grandes herbes, laissant libre court à leur croissance (verte !). Elles ont même été, courant avril, tachetées ça et là par de gentils coquelicots (mesdames).
Oui mais voilà : la nature, qui avait repris ses droits - comme on disait pendant cette "drôle de guerre" - est désormais sommée de rentrer dans l'ordre. Les jardiniers de la ville, dès potron-minet, ont cette semaine coupé net les instincts sauvages de cette flore sympathique mais un brin envahissante, à force. Comme le dit ma concierge : « quand c'est vert, tout le monde trouve ça beau, mais quand ça grille et que ça devient du foin... ». C'est comme au cinéma, il faut toujours que quelqu'un crie : « coupez ! ».
Drôle de guerre, série d'articles improvisés au gré des rencontres et choses vues, vécues pendant le confinement prend fin avec celui-ci. Peut-être une parution un jour prochain qui sait, si un éditeur daigne trouver ça intéressant et publiable. Par les temps qui courent (ou pas d'ailleurs) sait-on jamais...
(à lire aussi dans La Charentaise libérée, blog libre et indépendant d'un ex-journaliste qui ne l'est pas moins, série d'articles qui ne trouvent pas leur place ailleurs).
Retour aux sources (rural road trip)
"C'est en allant vers la mer qu'un fleuve reste fidèle à sa source" (attribué à Jean Jaurès).
C'est donc ici que tout commence. À 360 km en amont de Rochefort et de l'océan Atlantique, à Chéronnac exactement. Ce bourg de Haute-Vienne à quelques enjambées de la Charente affiche 290 mètres à l'altimètre. C'est peu, mais suffisant pour envoyer un mince filet d'eau de source vers le nord, puis l'ouest, puis le sud, puis de nouveau l'ouest, paressant ici ou là si bien qu'on le croit volontiers "benaise", comme on dit dans son pays. Ce mince filet d'eau de source se conjugue au féminin. Elle est comme un long cheveu qui serpente, prend son temps : le fameux "quart d'heure charentais". L'écrivain et poète Pierre Boujut, dans la revue La Tour de feu, disait d'elle qu'elle n'était pas "un fleuve civilisé, ni un fleuve sauvage", mais "un fleuve heureux : ceux qui s'y baignent le savent bien". La Charente - puisque c'est d'elle dont il s'agit - prend sa source à Chéronnac, au milieu des herbes et d'un bourbier spongieux, elle sourd d'un jardin clos privé. Qu'on traverse la route, et elle prend des airs de petit torrent sur quelques mètres, brisant le silence de ce paisible bourg d'un murmure d'eau vive. Elle a déjà son petit caractère. Ça ne durera pas longtemps : le barrage de Lavaud, quelques kilomètres en aval, va ralentir sa course et la gonfler d'aise, retenant ses eaux dans un lac aux charmes discrets mais puissants, où il est plaisant de flâner à pied, et de s'y baigner, aussi.
François Ier disait d'elle - douterions-nous de la parole du roi ? - que ce fleuve, le cinquième de France par sa longueur, était "le plus beau ruisseau du royaume de France". On ne le contredira point, lui qui fut pourtant élevé dès l'âge de quatre ans au bord de la Loire, à Amboise... Il n'avait pas encore lu Chardonne, mais ne voulait pas froisser les paysans charentais, qui "sont tous des seigneurs".
"La Charente descend toujours vers le soleil. La Charente ne porte plus de canons sur son dos. La Charente lentement a trouvé sa paix," dit encore Pierre Boujout. Avec son air paisible et peu pressée, elle fut longtemps le théâtre d'affrontements et de scènes violentes : qu'on songe à la révolte contre les "gabelous" (qui prélevaient l'impôt sur le sel, la gabelle) dont certains finir au fond du fleuve avec des poids attachés au cou. Ou au sang des combattants protestants - catholiques au XVIe siècle, entre Jarnac et Cognac.
La dernière fois - et la seule et unique fois - où j'étais venu goûter à la source de ce fleuve chéri, ce fut probablement au printemps 1984, où, après avoir tanné ma mère pour m'y emmener, elle céda au caprice du fleuve un après-midi de samedi, comme en pèlerinage. Mon instituteur de cours moyen 2e année cette année-là, zélé et passionné géographe, après nous avoir fait étudier (c'était au programme, est-ce que ça l'est toujours ?) les quatre principaux fleuves de France, leurs sources, leurs longueurs, leurs singularités etc. avait ajouté avec gourmandise "le 5e fleuve de France". On avait de la chance : il coulait sous nos fenêtres, et sa source était proche, dans un endroit accessible. Nous étions invités à aller y traîner nos guêtres. En vérité peu le firent je crois. J'en fus. J'en garde le souvenir ému d'une rencontre à la fois inoubliable et d'une étonnante banalité : rien de noble en apparence dans ce filet d'eau courante s'échappant d'un carré d'herbe spongieux, glissant le long d'un grillage comme un évadé d'une chanson des Frères Jacques... Quelques kilomètres plus loin, ce filet d'eau devenu adulte baigne pourtant les cités Taillefer et Valois, avant d'accompagner l'Hermione vers sa destinée : l'Amérique !
"Ensuite, aller vers le chemin qui marche et jamais ne se retourne, la grande couleuvre Charente, la lente migration du songe ; attendre les nuages, leur silence de pluie ; prendre le pouls des saisons où la mort peut se glisser sans faire signe" (Daniel Reynaud, Profil songeur de la Charente, été 1995).
Photos (c) F. Sabourin. Mai 2020