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Le jour. D'après fred sabourin
Articles récents

Trompettes de la renommée

16 Janvier 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito

 

 

Je vivais à l'écart de la place publique,

Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique...

Refusant d'acquitter la rançon de la gloire,

Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.

Les gens de bon conseil ont su me faire comprendre

Qu'à l'homme de la rue j'avais des comptes à rendre

Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,

Je devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Manquant à la pudeur la plus élémentaire,

Dois-je, pour les besoins de la cause publicitaire,

Divulguer avec qui, et dans quelle position

Je plonge dans le stupre et la fornication ?

Si je publie des noms, combien de Pénélopes

Passeront illico pour de fieffées salopes,

Combien de bons amis me regarderont de travers,

Combien je recevrai de coups de revolver !

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

A toute exhibition, ma nature est rétive,

Souffrant d'une modestie quasiment maladive,

Je ne fais voir mes organes procréateurs

A personne, excepté mes femmes et mes docteurs.

Dois-je, pour défrayer la chronique des scandales,

Battre le tambour avec mes parties génitales,

Dois-je les arborer plus ostensiblement,

Comme un enfant de chœur porte un saint sacrement ?

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Une femme du monde, et qui souvent me laisse

Faire mes quatre voluptés dans ses quartiers d' noblesse,

M'a sournoisement passé, sur son divan de soie,

Des parasites du plus bas étage qui soit...

Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,

Ai-je le droit de ternir l'honneur de cette dame

En criant sur les toits, et sur l'air des lampions :

" Madame la marquise m'a foutu des morpions ! " ?

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente

Avec le Père Duval, la calotte chantante,

Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumène,

Il me laisse dire merde, je lui laisse dire amen,

En accord avec lui, dois-je écrire dans la presse

Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d' ma maîtresse,

Chantant la mélopée d'une voix qui susurre,

Tandis qu'elle lui cherchait des poux dans la tonsure ?

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Avec qui, ventrebleu ! faut-il que je couche

Pour faire parler un peu la déesse aux cent bouches ?

Faut-il qu'une femme célèbre, une étoile, une star,

Vienne prendre entre mes bras la place de ma guitare ?

Pour exciter le peuple et les folliculaires,

Qui est-ce qui veut me prêter sa croupe populaire,

Qui est-ce qui veut me laisser faire, in naturalibus,

Un p'tit peu d'alpinisme sur son mont de Vénus ?

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Sonneraient-elles plus fort, ces divines trompettes,

Si, comme tout un chacun, j'étais un peu tapette,

Si je me déhanchais comme une demoiselle

Et prenais tout à coup des allures de gazelle ?

Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles

De jouer le jeu d' l'amour en inversant les rôles,

Qu'ça confère à ma gloire une once de plus-value,

Le crime pédérastique, aujourd'hui, ne paie plus.

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

Après ce tour d'horizon des mille et une recettes

Qui vous valent à coup sûr les honneurs des gazettes,

J'aime mieux m'en tenir à ma première façon

Et me gratter le ventre en chantant des chansons.

Si le public en veut, je les sors dare-dare,

S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare.

Refusant d'acquitter la rançon de la gloire,

Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir.

 

Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées !

 

 

Georges Brassens

 

 

(chanson d'actualité)

 

 

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Mieux vautour que jamais

6 Janvier 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne

 

  SAB 9520 R

 

 

Passer le deuxième jour de l’année avec des charognards, je vous l’accorde, c’est pas banal. En même temps, ça augure ce qui, réalistement, marquera sans doute encore l’actualité de cette nouvelle année, celle du changement (une de plus !). Et non, il ne s’agissait pas de passer du temps avec des politiques ni des journalistes en manque d’actualité à se mettre sous la dent – en l’occurrence sous le bec. 


 

SAB 9542 R


 

En attendant, nous voici sur le Pene de Béon. Je n’ai pas fait exprès d’appeler ce rocher, cette falaise, ainsi : c’est son nom. Ici nichent une centaine de couples de vautours fauves. On y accède par deux sortes de cols quasiment symétriques qui portent le nom de « Port, » celui d’Aste et celui de Béon. En débouchant de celui d’Aste, au sud de la falaise, et après avoir croisé la présence d’un jeune vautour perché sur un arbre au dessus du chemin, il faut longer les granges retapées par les habitants de la vallée d’Ossau, et grimper sec plein nord dans la rocaille et les genévriers. Poussé par le vent de sud, nous atteignons rapidement une sorte de crête sommitale sur laquelle le moindre faux pas serait fatal : une centaine de mètres d’à-pic (voir deux fois plus par endroit) attendrait le malchanceux ou l’imprudent. De là, la vue est pourtant imprenable : toute la vallée s’offre au visiteur d’un jour, de Gan (sortie sud de Pau), en passant par Arudy, jusqu’au Pic du Midi d’Ossau émergeant plus au sud, dernière sentinelle avant l’Espagne. Le Gourzy, le Pic de Ger, le Montagnon d’Iseye, le Lauriolle, Ibech…


 

SAB 9562 R

 

 

Mais rapidement, nous sentons que nous ne serons pas venus que pour ça. A la faveur de ce vent de sud, vent venu d’Espagne, vent chaud donc, cet effet de Foehn permet aux vautours fauves de profiter de courants thermiques ascendants. Probablement aussi dérangés par ma présence solitaire – même une cinquantaine de mètre en contrebas – les charognards ont entamé un spectaculaire ballet dans le ciel gris – blanc de ce deuxième jour de l’année, alors que je voyais s’écraser plus loin les averses sur le crâne de « Jean-Pierre. » Rasant la crête sommitale où je me trouvais, j’entendais le souffle d’air provoqué par leurs ailes déployées au maximum (jusqu’à deux mètres d’envergures) percevant même leurs petits cris sourds. Avec un 18-105 mm, je n’ai pu faire qu’une maigre récolte, mais là n’était pas, finalement, le plus important. Le plus important fut de partager ce moment inouïe où ces fauves – qui ne mangent que de la viande morte faut-il le rappeler, y compris si c’est du cheval ! – perturbés probablement dans leur habituelle quiétude, cherchait à filer ailleurs. La ronde qu’ils effectuaient dans le ciel des Pyrénées ossaloises cet après-midi là me fit frissonner et pas de froid. Cette invincible armada, dans le tournoiement d’escadrilles dont la couleur se confondait avec le sol, invitait le spectateur d’un jour à communier avec eux.


Et voler, planer, libre, enfin…

 

 

SAB 9563 R

 

 

 

 

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  (c) F.S. Janvier 2014.

 

 


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Casse tête chinois

11 Décembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma, #Presse book

 

casse-tete-chinois 3

 

 
Film français de Cédric Klapisch. 1h50. Avec : Romain Duris ; Audrey Tautou ; Cécile de France, Kelly Reilly...


C’est l’histoire de Xavier (Romain Duris), un homme qui court dans sa vie depuis 20 ans. Tout a commencé à Paris puis Barcelone, dans L’Auberge espagnole. Puis le temps s’est accéléré tout en ralentissant sa capacité de décision, dans la vie du trentenaire Xavier, dans Les Poupées russes, à Paris et Saint-Petersbourg. Enfin, on retrouve le même Xavier, jeune quadra aux prises avec ses amis, ses amours, ses emmerdes, enfin bref quoi la vie d’un homme en instance de séparation et soumis à l’ambigüe question de « qui va garder les enfants ? » Qui, et surtout où ? Car c’est à New-York que Cédric Klapisch emmène toute sa bande, Wendy (Kelly Reilly), l’ex mère de leurs deux enfants ayant la bonne idée de vouloir refaire sa vie avec un américain, chez lui, dans un somptueux appartement dominant Central Park. Là bas, comme rien n’est simple avec Xavier (le film s’appelle Casse tête chinois rappelons-le), il retrouvera Isabelle (Cécile de France) sa copine lesbienne cool qu’il connaît depuis son année Erasmus à Barcelone, fera un enfant avec elle par insémination artificielle, devra retrouver du travail, obtenir la nationalité américaine en épousant une chinoise, et, accessoirement, accueillir sa première ex, Martine (Audrey Tautou) venue passer les vacances de Pâques dans la grande pomme avec ses deux enfants (elle est aussi séparé de leur père). Enfin, last but not least, Xavier doit rendre le manuscrit d’un roman qui ressemble étrangement à sa vie de jeune quadra qui aurait, sur le papier, raté sa vie, à la recherche perpétuelle du bonheur, un sujet « chiant, » au dire de son éditeur avec qui il communique via Skype, un Dominique Besnehard au mieux de sa forme.  Si vous avez suivi jusqu’ici ce Casse tête chinois alors restez encore un peu, ça vaut le coup.


Étudiant à la recherche du joyeux bordel qui était bien rangé dans sa vie de jeune adulte ; trentenaire indécis quant à l’idée de s’engager avec une fille ; jeune quadragénaire affrontant les affres du sens donné à sa vie depuis 20 ans, Xavier ressemble à beaucoup de jeunes gens de sa génération, cette fameuse génération née au début des années 70 et qui a 40 ans, justement. Cela étant, en transposant son sujet et toute sa bande à New-York, gravitant dans des milieux socioprofessionnels visiblement favorisés (romancier pour Xavier, Wall Street pour Isabelle, le lobbying des filières bio pour Martine), Cédric Klapisch évite d’avoir traité le même sujet en France. Casse tête chinois aurait été en effet très différent, et on aurait assisté au pathétique naufrage d’un quadra bedonnant, probablement au chômage ou en contrats précaires, empêtré dans un divorce coûteux et obligé de monter dans une grue pour infléchir la décision d’un juge aux affaires familiales sur la garde alternée des enfants, lesquels seraient d’affreux et tyranniques geek accros au téléphone mobile et réseaux sociaux, et il serait endetté à cause d’emprunts à rembourser, bref, pas très glamour. En cela, il faut reconnaître que malgré la crise existentielle de Xavier, Casse tête chinois de Cédric Klapisch parvient quand même à nous faire sourire, un peu.
Malgré une sacré baisse de rythme passée l’heure de film – le départ puis l’arrivée à New York sont bien menés, mais Klapisch et ses personnages peinent à trouver le tempo dans une ville pourtant surexcitée – malgré cette baisse de rythme donc, Casse tête chinois demeure un (assez) bon moment de cinéma. Essentiellement parce que les comédiens semblent encore s’amuser à jouer la destinée d’une génération qui se reconnaîtra forcément à un moment ou un autre du film. New York y contribue d’ailleurs grandement, Klapisch ayant la capacité de donner un rôle à part entière à la ville, comme il l’avait très bien fait avec Barcelone dans L’Auberge espagnole.
Les meilleures choses ont-elles une fin ? Klapisch jure que oui, et qu’il n’y aura pas dans dix ans de Xavier à 50 ans aux prises non plus avec ses ex mais ses enfants devenus à leur tour de jeunes adultes. Cela étant, à voir Romain Duris (Xavier) jouer avec autant de plaisir le papa assumé et assumant (malgré tout le merdier dans lequel il se fourre avec une sorte de délectation pathologique), on aimerait le voir confronté avec le début de la vieillesse, ses problèmes de prostate, la mort de proches peut-être aussi, l’envol de ses enfants hors du nid. Bref, la vie quoi. Celle qui continue, vaille que vaille, comme un Casse tête chinois.


F.S
 

 

Casse tête chinois 1

                                         - "les ex, c'est sexe, c'est sexy" -

 

 

 

Casse-tête-chinois 2

 

 

photos (c) Ce qui me meut.

 

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Encore une "minute," Monsieur le bourreau !

14 Novembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #cadrage débordement

 

 

 

Le journal Minute fait sa pub (il doit en avoir bien besoin), le pays est à feu et à sang, les commentateurs commentent, les éditorialistes éditorialisent, les députés s’insurgent à droite comme à gauche, et même au centre – qui sait ? Le racisme est de retour, la parole s’est libérée, au secours ! Les tabous ont sautés, les complexes sont décomplexés. Et voilà que les préfets envoient des notes confidentielles au ministère de l’Intérieur, notes tellement confidentielles en effet qu’elles se retrouvent dans le Figaro grâce à des fuites savamment orchestrées. Les mêmes notes traduisaient - mais qui s’en souvient désormais ? – une « situation insurrectionnelle » lors du précédent quinquennat de qui vous savez, notamment au moment très énervé de la réforme de la carte judiciaire, où les magistrats étaient vent debout mais têtes nues (je veux dire sans bonnet d’une quelconque couleur) et la France, déjà au bord du gouffre. « Ça va mal finir, » pronostiquait même François Léotard dans un petit livre paru chez Grasset et tombé dans l’oubli, lui aussi.


Tout aussi abjectes soient les sorties minables à l’encontre de Mme Christiane Taubira, les professionnels de la politique – entendez par là ceux que vous et moi élisons, peut-être – ont beau jeu de pousser des cris d’orfraies de vierges effarouchées qui se demandent comment tout cela va rentrer. Et Jean-Marc Ayrault de s’émouvoir : « c’est une attaque au cœur de la République. » Les députés lui emboîtent le pas, tous autant qu’ils sont. C’est oublier un peu vite que ces derniers n’ont pas les cuisses propres pour venir donner des leçons de morale et de bon goût à la presse, qui, dans le cas de Minute, n’en n’a probablement pas. Un petit florilège des dernières paroles de bon goût des derniers mois :


Le 9 octobre, c’est le caquetage de poule du député Philippe Le Ray (Morbihan) lors de l’intervention à l’Assemblée de Véronique Massonneau (député écologiste de la Vienne). Condamnation unanime, honte à lui, hystérie collective, sexisme etc. Il en a pris pour son grade pour cette sortie pas drôle et en dessous de la ceinture, au niveau des fesses dont il porte si bien le nom.

En juillet, c’était le marmonnage de Gilles Boudouleix, député maire de Cholet, qui avait dit tout bas face à des gens du voyage qui lui faisaient le salut nazi (ce qui est déjà d’un goût douteux, n’est-ce pas ?) « qu’Hitler n’en avait peut-être pas tué assez pendant la guerre. » Tollé général, condamnation unanime, députés et ministres vent debout, hystérie collective et médiatique. Les vacances d’été et le soleil d'août sont venu effacer tout cela, on est passé à autre chose, comme d'habitude.


Loin de nous l’idée de relativiser la gravité de tous ces propos, nuls, archi nuls et entraînant encore un peu plus le pays dans une spirale mortifère dont on ne voit toujours pas l’issue. Mais il suffit pourtant d’assister à une seule séance du Palais Bourbon pour s’apercevoir du niveau très bas des coups et mots échangés par ceux qui nous représentent. Certes, « c’était encore pire avant, » et citons une nouvelle fois les échanges nauséabonds d’insultes en tous genres de la fameuse IIIe République, allant même jusqu’aux duels ! Nous n’oublierons pas quant à nous, une séance à laquelle nous avons assisté en décembre 2010, où, quand Roselyne Bachelot prit la parole, un député (mais lequel, vu le bordel ambiant digne d’une classe de 4   c’était impossible de la savoir ?) avait gueulé : « ah ! voilà Lady Gaga ! » Nous ne sommes certes pas au niveau des bananes et des guenons, mais les femmes – elles ne sont que 52 pour 497 députés hommes ! – peuvent témoigner de leur calvaire quotidien. On se souvient des sifflets lorsque Cécile Duflot était apparu en robe à fleur, c’était au début du quinquennat  « irréprochable » de Monsieur Hollande, « Moi, Président de la République. » D’ailleurs ces députés et ministres qui fustigent le « retour du racisme en France » peuvent-ils regarder la « couleur » de cette Assemblée dite nationale ? Où sont les blacks ? Ou sont les beurs ? Les « minorités visibles, » comme ils disent, sont… invisibles justement. Manuel Valls lui-même n’avait-il pas dit lors d’une visite d’Evry (la ville dont il était le maire) : «Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos.» Nous étions en juin 2009 il est vrai. Une éternité. Il y a donc bien longtemps que les complexes ont sautés chez ces hommes blancs aux costumes sombres et cheveux gris : les députés.


Allez, plus que 48 heures et le cirque médiatico-hystérique sera passé à autre chose. Ça tombe bien, vendredi soir, il y a du foot. L’équipe de France joue sa qualification pour le Brésil contre l’Ukraine. L’équipe de France dites-vous ? Non mais vous avez vu la couleur de ces bleus ? Diantre ! C’est un coup à glisser sur une peau de banane en enfilant son bonnet rouge… Et pourtant ce sont à peu près les mêmes qui ont mis toute une France (ou presque) dans les rues un certain soir de juillet 1998. Comment disait-on alors ? Ah oui, c’est ça : « Black, blanc, beur. »

La route est encore longue…

 

PS : Et sinon, pour les Unes dégueulasses, insultantes et dégradantes de Charlie Hebdo, on fait quoi ? 

 

 

FS


 

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Journaliste, c’est un métier

6 Novembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito, #Presse book

 

 

 

L’enlèvement et l’exécution quelques dizaines de minutes plus tard de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, reporter de RFI, à Kidal dans le nord Mali, a semé le trouble parmi la profession. Ces deux reporters chevronnés, passionnés par l’Afrique, n’ont certes pas été spécialement encouragés par les militaires de l’opération Serval de se rendre à cet endroit-là, et j’en entends déjà qui ricannent dans la barbe de leur médiocrité « qu’ils n’avaient donc pas à y aller. » Mais leur métier est d’informer, sans relâche, avec professionnalisme et la liberté nécessaire à la propagation de ces informations, fut-ce-t-elles pêchées dans des zones de non droit, justement.

La dureté et la lâcheté avec laquelle ils ont été abattus de sang froid, sauvagement, comme des bêtes, est ignoble et interroge tous les journalistes. J’ai bien dit tous les journalistes, y compris ceux qui, au quotidien – et j’en suis – ne prennent pas les mêmes risques pour rapporter des informations aux auditeurs, lecteurs, téléspectateurs, internautes etc. Je vois mal, personnellement, un président de Conseil général, ou un maire d’une commune quelconque de Loir-et-Cher, pas plus qu’un responsable associatif ou un chargé de communication lambda, énervé par une question posée, me prendre à part et me conduire dans une arrière salle où je prendrai deux ou trois balles dans la peau. Les risques que nous prenons, si on peut parler ainsi, sont essentiellement… routiers : il y a par ici beaucoup de gibier qui traverse les routes départementales... 

 Puisqu’il m’arrive dans ce blog de dire « je, » alors permettez-moi de dire que si sur la forme, je ne fais pas le même métier que les reporters de RFI (ou d’autres médias du même tonneau) qui vont mettre les pieds et le reste du corps là où j’hésiterai à y glisser une phalange, sur le fond, nous faisons le même boulot : informer, poser des questions, rendre compte. Et cela librement, parce qu’informer, oui monsieur, c’est une liberté, n’en déplaise aux pisses vinaigres, pour rester poli.


Journaliste, vous l’aurez compris, c’est un métier. Que ce soit à Kidal au nord du Mali, à Alep en Syrie, dans un bled paumé d’Argentine ou un trou de Loir-et-Cher (et Dieu sait qu’il peut y en avoir !), « c’est un sale boulot qu’on peut faire proprement, » comme disait dans son bouquin sur l’affaire de Tarnac David Dufresne*. C’est un boulot tout court. Un truc qui prend du temps. Parfois beaucoup. Qui rémunère peu et souvent au lance pierre. Que pas mal d'entre nous accomplissent avec des contrats merdiques et sans trop se plaindre svp parce que sinon, « il y en a d’autres qui poussent derrière. » C’est un métier que beaucoup – j’en fais partie – accomplissent avec un réel plaisir évident même si les perspectives d’avenir sont floues.

Alors quand on vient nous bassiner avec le journalisme dit « participatif, » les citoyens-journalistes qui sortent leur smartphone pour faire des images, se prendre pour Tintin reporter, téléphoner aux grandes radios pour passer en direct dans les « talk » ou poster n’importe quoi sur des blogs à la con en se prétendant journalistes, excusez-moi, mais ça me fait rire. Jaune. Et c’est souvent bête, à pleurer.

 

Ghislaine Dupont et Claude Verlon, lorsque dimanche matin dans la douceur de mon lit le journal de 8 heures de France Culture m’a appris votre mort, je le dis, je le clame haut et fort : ça m’a secoué, sincèrement. Et j’ai eu du mal à convaincre ceux que j’ai croisé ce jour-là que c’était quelque chose de terriblement important, ce qui venait de se passer.

Le corporatisme et la solidarité de notre métier n’est pas toujours compris à sa juste valeur, je crois. Comme dans tous les corps de métiers, il y a aussi parmi nous pas mal de couillons qui déshonorent la profession. Souvent, les gens nous disent d’un ton badin, « ah, vous, les journalistes… ! » avec cette pointe d’ironie et de dégoût, comme s’ils vomissaient leur cassoulet de la veille.


Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sans faire de vous des saints ou des martyrs que vous n’étiez pas et que vous ne vouliez sûrement pas être, j’ai mal à mon stylo de vous savoir exécutés de la sorte, en faisant votre boulot, tout simplement.

Faire son boulot…

Juste ça.

 

* Tarnac, magasin général, chez Clamann-Levy.

 

F.S

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Avant l’hiver

5 Novembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne

 

 

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                                 - Entre Cujalat et Laiterine - 


Pourquoi diable l’automne est-elle la saison préférée de beaucoup de promeneurs, nez en l’air, nez au vent, quand viennent à nous les premiers frimas matinaux et les jours courts ? J’en ai une vague idée : si nous aimons l’automne, c’est paradoxalement pour la chaleur qu’elle dégage. Chaleur presque humaine d’une nature en plein endormissement, en lente mais sûre préparation de son hibernation. Tout y concourt : couleurs chatoyantes de tout ce qui porte branches et feuilles. Lumières changeantes qui, lorsqu’elles se font rasantes à partir du milieu de l’après midi, habillent de rêves et de nostalgie toute forme terrestre. Promesse d’une boisson chaude au coin d’un bon feu de cheminée, le retour venu. L’odeur des marrons grillés, des soupes à la citrouille ou au potimarron. L’odeur de champignons et de moisissures des sous-bois aussi. Le silence revenu dans une montagne vide – ou presque – désormais. Quelle ne fut pas notre surprise de constater que quelques bovins ruminaient encore à 1300 mètres près de la cabane de la Cujalat, en Ossau, sise au dessus des gorges du Bitet. Et encore au dessus, près de la cabane de la Laiterine (1640 m), des chevaux (qui n’ont rien de sauvage…) se chauffant le cuir au soleil d’une journée automnale peu banale. A quelques mètres de leurs sabots, la neige tombée la veille saupoudrait encore de son fin manteau les roches environnantes, comme une poussière d’ange jetée là négligemment, et scintillant sous le beau blond. Le col d’Iseye (1840 mètres), entre Aspe et Ossau, avait invité un petit vent frais qui se chargea de nous rappeler la saison, et la date : 31 octobre. Un temps pas trop de « Toussaint » donc, bien moins qu’au printemps en tout cas, avant que le surlendemain, « le jour des morts » recouvre le plateau d’Anouilhas d’un gris perle triste mais dégageant une atmosphère particulière à ce grand plateau désert. Esprit, étais-tu là ?

J’aime ce moment où la montagne semble s’endormir mais laisse encore la possibilité à ceux qui la fréquentent d’arpenter ses flancs avant que le morne blanc ne recouvre tout pour environ six mois. Rien d’un « adieu » dans ces flâneries d’automne. Plutôt un « au revoir. » Mieux, une promesse : à bientôt.

 

 

 

SAB 9194 R

                                        - Près de la Laiterine -

 

 

 

SAB 9209 R

                                            - Déjeuner sur l'herbe au col d'Iseye -

 

 

 

SAB 9177 R

                                               - "Arrivat a una cujalat" -

 

 

 

SAB 9213 R

 

 

 

 

SAB 9228 R

                                                - Jean-Pierre montre ses dents -

 

 

 

SAB 9234 R

                                             - Plateau d'Anouilhas : Esprit, es-tu là ? -

 

 

 

SAB 9217 R

                                                     - Adichas ! -

 

 

 

(c) Fred Sabourin, 31 octobre - 2 novembre 2013. Vallée d'Ossau, France (64).

 

 


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La Vie d’Adèle

15 Octobre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma

 

  La Vie d'Adele

 

 

Film français d’Abdellatif Kechiche. 2h55. Avec : Léa Seydoux ; Adèle Exarchopoulos…Palme d'or Festival de Cannes 2013.

 

Adèle, dans sa vie, marche sans cesse au bord de ses propres failles, de ses fêlures, elle semble perpétuellement sur une ligne de crête et au fond du gouffre. A la fin de La Vie d’Adèle, ce qui demeure ressemble à l’absence, alors que la présence d’Adèle Exarchopoulos crève les yeux et l’écran pendant près de trois heures. Pas un plan où elle ne soit pas, Adèle. On ne fait pas seulement que la suivre : on est avec elle. Et pourtant… elle semble si souvent ailleurs, hors d’elle, sans aile oserait-on dire parfois.

 

La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, méritait-elle la Palme d’or à Cannes en mai dernier ? Peut-être, nous n’en sommes pas intimement persuadés. Evacuons d’emblée les sujets qui fâchent ceux qui ne verront ce film qu’au premier niveau de lecture, et ils seront probablement nombreux ! Le sujet – la naissance, vie, et mort d’un amour entre deux femmes – filmé dans tous les recoins des possibilités, avait tout pour coller à une actualité brûlante d’un hiver aussi froid qu’il fut agité et chiant, opposant les questions de sauvegarde de la civilisation pour des uns, de revendications de droits et d’égalité des autres. Le film est long – trop à notre goût – et il serait temps d’offrir une paire de ciseaux à Abdellatif Kechiche, qui n’en est pas à son premier essai. Comme il serait bien aussi que ce talentueux réalisateur filme de temps en temps autrement qu’en gros plans (très) serrés, tout en le remerciant d’avoir dans un court moment filmé les feuilles d’un platane baignées d’un automnal soleil, nous laissant respirer, un peu. Tu nous étouffes, Abdel, mais c’est sans doute pour mieux nous montrer le grain des peaux jusqu’à nous faire sentir leurs odeurs. Ainsi, le spectateur, qu’il soit consentant ou non, devient un des protagonistes du film.

 

Deux femmes, l'amour


La Vie d’Adèle est en deux chapitres. Le premier montre la naissance et la consommation d’un amour lesbien, à travers le regard d’une jeune adolescente en 1ère littéraire d’un lycée du nord de la France. Adèle – c’est donc son prénom – semble déjà hésiter, alors qu’elle ne devrait pas. Vie banale d’une lycéenne normale – presque trop – dans des cours de lettres où on lit La Vie de Marianne, de Marivaux (une lubie chez Kéchiche, rappelez-vous L’Esquive où les jeunes jouaient Le Jeux de l’amour et du hasard) avec une attention et un silence que beaucoup de profs – ils iront voir le film car ils lisent Télérama et écoutent France Inter – jalouseront certainement. Elle se sent différente, Adèle, sans vraiment savoir pourquoi, et pousse le bouchon jusqu’à essayer garçon et fille, pour voir si ce qu’elle ressent est bien ce qu’elle craint. Oui, Adèle, tu aimes les filles, ou plutôt la fille, cette Emma aux cheveux bleus, étudiante aux Beaux-Arts, au visage et au sourire déjà adulte, tout le contraire de toi. Au bord de la caricature, on verra par la suite l’environnement de l’une et de l’autre, une famille recomposée « moderne » pour Emma ; une famille à la pensée étroite du côté d’Adèle. Ses parents n’envisagent visiblement pas une seconde que leur fille puisse embrasser celle-là même qu’elle a invitée à dîner chez ses eux ce soir-là. Embrasser, et le reste… On l’a dit et répété : les scènes sexuelles, non simulées ni doublées, sont très très sensuelles et pour tout dire magnifiques, bien qu’elles posent au spectateur la première question à l’issue de cette première partie : Kéchiche aurait-il fait le même film avec des hommes qui se sodomisent ou se fellationnent une dizaine de minutes durant avec des han ! et des ha !  de jouissance ? Aurait-il eu la Palme d’or ? Se presserait-on aux portes des cinémas pour le voir ? Il est à craindre que non.

 

L'amour mate, à mort


C’est bien le second chapitre qui est le plus intéressant, le plus fort, le plus vif tout en étant le plus atroce. Emma, découvre qu’Adèle la trompe occasionnellement avec un homme (comble de l’ignominie) et lui ment. A ce moment crucial, une scène très belle en même temps que désespérée, on sent que le couple pourrait être n’importe qui d’autre : hétéro, homo, peut importe. Le résultat est le même : la blessure est profonde, irrémédiable, consommée, impardonnable. La confiance est brisée. La suite n’est qu’une lente descente vers l’abîme de la solitude subie, des regrets, du deuil, du cri du corps en manque de l’autre, et de l’absence, toujours l’absence, encore l’absence. En plus de celle d’Emma, Adèle doit supporter la sienne. Et nous avec.

Dans un ultime sursaut, une dernière tentative de sauver le navire du naufrage des sentiments, vient le moment couperet – qu’on ne dévoilera pas – que Kéchiche situe lors d’un vernissage des œuvres d’Emma. Adèle quitte la galerie, bientôt poursuivie par un garçon mais qui se trompe de côté de rue en voulant la rattraper (la symbolique est grossière mais ça marche quand même), et elle quitte la scène en disparaissant dans la rue, dans sa jolie robe bleue. 


Elle nous laisse seuls aussi, Adèle, avec cette cruelle question : que devient-on, quand l’amour est mort ?

 

 

F.S

 


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La vie sans toi

27 Septembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Lettres à ...

 

 

 

Ma fille, mon enfant, j’ai longtemps vécu sans toi et je me demande aujourd’hui ce que serait ma vie si on t’enlevait à moi. Je serais perdu si tu n’étais plus là, avec tes grands yeux bleus qui me scrutent, tour à tour m’interrogent, m’interpellent, m’implorent, me demandent ce que je ne sais pas toujours t’apporter. Parfois, le mystère insondable des silences qui se partagent entre ton regard et le mien me transperce : mais que peux-tu donc bien penser, du haut de tes deux ans ? Je m’émerveille chaque jour de tes progrès, de cette autonomie que tu gagnes quotidiennement, à travers laquelle j’aperçois l’indépendance qui sera la tienne le jour où tu nous quitteras pour tailler ta route. Je la redoute autant que je la souhaite.


J’ai si longtemps vécu sans toi, que je n’aurais même pas pu t’inventer, et pourtant secrètement je t’ai toujours attendue, espérée. J’avais pris d’autres chemins, tu semblais impossible, et puis il y a deux ans par une belle journée d’automne semblable à celle d’aujourd’hui tu es arrivée. Au début tu as été dure. Tes cris brisaient mon sommeil à m’en rendre fou. D’ailleurs ça m’a rendu fou. Descendu au plus bas, imaginant parfois l’impensable, nous avons fini par nouer le contact. Et d’âge en âge celui-ci se consolide, s’affirme, se construit petit à petit comme on chemine pas à pas dans la montagne, ces montagnes pyrénéennes auxquelles je suis si fière de te présenter, et que tu reconnais déjà à travers les photos. Je guette le jour où, devenu vieux et les genoux grinçant de douleurs, tu seras devant et tu me diras : « alors, t’arrives ? »
 

 

J’ai vécu si longtemps sans toi. Et tu es là, je regarde ton sommeil à la fois si lourd et si léger. Où es-tu à cette heure-ci ? Dans quel pays de solitude ou peuplé de monstres imaginaires ? Refais-tu le film de ta journée à la crèche, avec ces autres enfants dont tu ne dis pour l’instant rien, ton langage se mettant doucement en place. D’histoires sans parole tu passes peu à peu au cinéma parlant, mais le mime demeure encore le meilleur moyen de communication entre nous. Il n’est pas besoin de mots pour dire ce qui nous relie. J’entends ta respiration, paisible ou saccadée. Tu es si loin et je suis si proche à ce moment-là. Sens-tu ma présence dans le silence de cette petite chambre où tu te reposes ? J’en deviendrais chamane pour protéger ton sommeil des cauchemars qui parfois te réveillent en sursaut, ton cri déchirant alors la nuit, et ma main posée sur ton front pour te dire que je suis là, que tu n’as rien à craindre, que le loup n’est pas forcément celui auquel on pense et qu’ils peuvent même parfois être gentils…
 

 

Hier tu as eu deux ans. Deux ans déjà, et deux ans enfin, devrai-je dire. Deux ans seulement diront d’autres. Il y a quelques semaines, entrant dans un magasin de jouets d’une rue commerçante de la ville où nous vivons, et devant lequel nous passons si souvent, je suis tombé sur une boîte à musique. Un truc kitch comme on dit à mon âge, un truc avec une danseuse à tutu qui jaillit sur ressort en même temps que la musique quand on ouvre la boîte. C’est rose et il y a un cœur sur le petit tiroir qui s’ouvre en dessous. Ça dégouline de guimauve, tout ce que je déteste. En voyant cette boîte dans le magasin, en l’essayant avec l’autorisation de la commerçante, j’ai pensé à ton regard le jour où tu découvrirais cet objet inconnu. Je t’imaginais, curieuse, en entendant le « clic, clic, clic, » de la clé remontant le ressort qui permettrait à la musique métallique de s’extraire de la boîte magique. J’ai acheté la boîte à musique, et, assis sur le lit, je l’ai ouverte devant toi. Je n’ai pas été déçu. Ton émerveillement devant cet objet nouveau, la prunelle de tes yeux et ton sourire d’enfant surpris et heureux me transpercera longtemps. Aussi longtemps que ma mémoire voudra bien me laisser ce tableau, cette image, ce sourire de toi.


Toi que j’ai attendue si longtemps, ma fille, mon enfant.

 

 

F.S

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« On n’est pas chez les Rothschild »

20 Septembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #émerveillement

 

 


C’était le cri du cœur de ma chère grand-mère, une sorte d’équivalent du « on n’est pas les cousins du roi. » Pour autant, parfois, on s’y croirait. La transgression étant, de notre point de vue, source de jouissance terrestre immense et aux recoins cachés, ne nous privons pas.

 

 

En 2008-2009, j’ai suivi, avec un confrère et néanmoins ami (il se reconnaîtra) un atelier œnologique à Lyon. Un truc très bien, pas élitiste façon « presqu’île, » ni un rendez-vous d’étudiants poivrots d’école de commerce pour fils-à-papa. Un truc où on a appris beaucoup de choses, à commencer par se faire simplement plaisir avec du vin, selon le vieux précepte qui consiste à acheter un tire-bouchon, et s’en servir… A l’issue de ces rendez-vous mensuels de découvertes, mon pote et moi, on rêvait sur des vieux flacons dont certains ont pris le chemin de nos caves respectives, achetés aux enchères sur un site Internet bien connu. Pour 25 ou 30 boules, on a pu ouvrir des bouteilles qui avaient à peu près notre âge. Evidemment, le résultat n’a pas toujours été à la hauteur de nos espérances, mais on ne se ruinait pas pour autant.
Quand j’ai quitté, à regrets, la colline de Fourvière et la radio où je causais le matin très tôt, ce copain, je devrais dire ami, m’a offert la bouteille que vous voyez en photo là, ici, sur ce blog.
J’étais très heureux de ce présent, sincèrement je n’en avais jamais eu dans les mains et la perspective d’ouvrir ça un jour me réjouissait. Il fallait juste être patient, et trouver une occasion. Comme la fameuse quarantaine approchait à grand pas, je me suis dit que c’était ça, l’occasion. Et ce jour est arrivé. C’était hier.

 

 

Un autre copain (pas vu depuis longtemps mais retrouvé par la magie du réseau FB !) m’a rappelé que cette bouteille de Mouton-Rothschild 1973 était historique, et paradoxale. Historique, car 1973 est l’année où cette propriété a accédé au très sélect et précieux classement des 1ers grands crus de Médoc, classement datant d’avril 1855, deuxième fois seulement où il fut modifié (avec Château Cantemerle en septembre 1855).  Il passait de 2e cru à 1er cru. Un must, et quand on connaît le poids de la tradition et de la réputation dans cette région viticole, sorte de Vatican du vin dans le monde, on imagine aisément ce que cela représente. Un peu comme de déplacer les menhirs de Carnac avec une pince à sucre.
Historique ai-je dit, mais aussi… paradoxal. 1973 est en effet une année très, très moyenne en bordelais. Mouton-Rothschild accédait cette année-là à l’Olympe, mais avec les pieds mouillés. C’est dire si j’avançais à petits pas. Une bouteille de secours était même prévu, « au cas où, » comme on dit. Côté solide, j’avais prévu quelque chose de simple, qui ne bouleverse pas trop le palais. En la matière, je considère (mais c’est très personnel) que seul le canard accompagné de pommes de terre poêlées et quelques haricots verts permet d’apprécier à peu près tous les bordeaux, et particulièrement les Médoc. L’intérêt de ces vins-là – et là-dessus je pense faire la quasi-unanimité – est de sentir les tanins. Donc il ne faut pas quelque chose de trop typé. Un magret ferait parfaitement l’affaire.
J’ai ouvert religieusement cette bouteille. Comme souvent avec les très vieux vins, le bouchon n’a pas tenu la route : trop vieux, trop imbibé, il cassa en son milieu. L’opération devenait délicate mais par chance, peu de morceaux tombèrent dans la bouteille. Voici le résultat de ce que je pense de cette dégustation.

 

La robe était légèrement fanée, mais la lumière n’était déjà plus celle du jour, donc… Je pense néanmoins qu’il commençait à décliner. Le rubis dominait quand même, mais il était peu profond. Au nez, j’ai été agréablement surpris : il dégageait encore un beau fruit confit, pruneaux, avec des remontées de sous bois moisis agréables. Feuilles mortes, humus, petits matins d’automne : c’était bien un Médoc (ouf !). En bouche, une longueur encore acceptable, même si on sentait qu’il avait bien perdu de sa superbe, qu’il n’a d’ailleurs peut-être jamais eu vraiment à cause de cette médiocre récolte de 1973 (cette année-là, on ne pouvait visiblement pas tout faire !). Comme souvent – et c’est tout l’intérêt de la dégustation – il s’est « ouvert » au fur et à mesure de la soirée. La longueur en bouche n’a cependant jamais excédé les 8-10 secondes (hélas) mais le nez est resté constant.
La nature ayant horreur du vide, pas une mais deux bouteilles de vins de garde iront désormais rejoindre ma cave, dans un lieu tenu secret et fermé à clé, dont je ne dévoilerai même pas l’emplacement sous la torture… Un Saint-Emilion grand cru 2009 et un Saint-Estèphe 2010. Deux belles années ma foi, « qui pourront attendre 10 ans sans problème, » au dire du caviste qui les a vendu à la personne qui me les a offerte. Je le crois sur parole. Surtout pour 2009, année remarquable quoi que surévaluée et aux spéculations outrancières.
Rendez-vous donc dans 10 ans, pour la cinquantaine. D’ici là, rassurez-vous, pas mal d’autre plaisir de dégustation sont au programme… (pas plus tard que dimanche avec un Pomerol 73, et oui, c’est l’année ou jamais !).

 

 

F.S

 

Grâce soit rendue à Michel P., qui n’est pas cousin du roi, mais c’est tout comme…

 

 

  SAB 9104 R

 

 

 

 

SAB 9103 R

                                          - "On s'était dit rendez-vous, dans 10 ans..."

 

 

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Un homme d’honneur

30 Août 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement

 

  PUTSCH-ALGER-AVRIL-1961

 



C’est à l’heure où nous écrivons ces lignes qu’on porte en terre, après un passage à la primatiale Saint-Jean de Lyon, Hélie Denoix de Saint Marc.
 

 

Cet officier de la Légion étrangère, né en 1922 à Bordeaux, aura, selon ses propres mots, « vécu pas mal d’épreuves. » Stupéfié par la débâcle de 1940, il entre naturellement en Résistance comme agent de liaison du réseau Jade-Amicol. Arrêté en juillet 1943, il est déporté à Buchenwald, puis à Langenstein. Il survit par miracle, et les Américains le ramassent dans un mouroir inconscient lorsqu’ils libèrent le camp en avril 1945.
Il entre à Saint-Cyr, et choisi en décembre 1947, la Légion étrangère. Il est envoyé en Indochine avec le 3e Régiment étranger d’infanterie. Un lien fort se tisse avec le pays et les Indochinois. Comme beaucoup d’autres, il reçoit l’ordre d’abandonner son poste, créant chez lui une fracture qui ne guérira jamais. Il l’appellera « sa blessure jaune. » Il n’oubliera jamais que la France avait « promis de ne jamais abandonner ce peuple. »
Il embarque ensuite pour l’Algérie, recruté par la général Challe. Fin 1954, il débarque à Oran, puis dans les Aurès, et il sera au service du général Massu, au plus fort du conflit. Il participe à la bataille d’Alger entre janvier et septembre 1957. « La plus amère des épreuves, » dira-t-il ensuite. En avril 1961, à la tête du 1er Régiment étranger de parachutistes, il prend partie pour le général Challe et participe au putsch des généraux. L’affaire échoue et plutôt que d’entrer dans la clandestinité, il se constitue prisonnier. Au procès qu’il subit en juin 1961 devant le haut tribunal militaire, il assume et prend la défense des harkis, menacés du même sort que les Indochinois abandonnés 8 ans plus tôt.
Il est condamné à 10 ans de réclusion criminelle. Il sera libéré fin 1965, gracié en 1966, amnistié en 1968. Il sera réhabilité dans ses droits civils et militaires en 1978. Il demeurera silencieux et s’effacera de la vie publique, jusqu’à ce que son petit neveu Laurent Beccaria ne l’interroge pour son mémoire de Sciences-po. Une biographie paraîtra en 1989, puis ses mémoires en 1995. Il est fait grand-croix de la Légion d’honneur en novembre 2011. Il avait dit à ce sujet : « La Légion d’honneur, on me l’a donnée, on me l’a reprise, on me l’a rendue… »
Un homme blessé mais à la très grande dignité, pour lui « tout se tient, il n’y a pas d’actes isolés. »
Un homme d’honneur surtout, qui devait souffrir en silence de vivre à une époque où ses valeurs, ses engagements, ses combats étant la plupart du temps perçus comme décalés, réactionnaires, risibles, naïfs. Pas seulement par une sous-culture de gauche d’ailleurs, comme on le dit de manière un peu légère. Mais aussi par une sous-culture mercantile, financière, de la distraction et de l’amusement généralisés.

 

 

J’ai la chance – car c’en est une – d’avoir provisoirement en ma possession un carnet de notes d’un officier de marine. Un homme décédé il y a bientôt 5 ans, pour lequel je voue une admiration sans borne. Ce vice-amiral avait un parcours semblable à celui de Saint Marc. En particulier l’attachement sans limite à la parole donnée, à l’honneur, la fidélité à ses idéaux, à la France, à la mission reçue et exécutée avec loyauté. Dans ce carnet, cet officier qui participa aussi à la Guerre d’Algérie (avec la demi-brigade de fusiliers marins) avait recopié de sa main un extrait du procès d’Hélie de Saint Marc devant le haut tribunal militaire. Le voici.
Je n’ai personnellement aucun commentaire à y ajouter. Tout est dit. On n’est pas obligé d’apprécier le style, si on n’aime pas on ferme le blog et on s’en va. Mais je crois qu’il y a de grandes leçons contenues dans cette déclaration qui pourraient encore servir à beaucoup aujourd’hui…

 

 

 

La déclaration devant ses juges du Chef de Bataillon de Saint-Marc. 
 

 

« Ce que j’ai à dire est simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, encore la guerre d’Algérie.
En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avons reçu une mission simple, une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice sociale, l’égalité politique.
On nous a fait faire tous les métiers parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains.
Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission.
Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes.
Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
 

 

Et puis un jour, on nous a expliqué que notre mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connait.
Et, un soir pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger.
 

 

Alors nous avons pleuré.
 

 

L’angoisse a fait place dans nos cœurs au désespoir. Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de l’évacuation de la haute région, des villageois accrochés à nos camions qui, à bout de force, tombaient en pleurant dans la poussière de la route.
 

 

Nous nous souvenions de Dien-Bien-Phu, de l’entrée du Viet-Minh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens, en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants ont été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre des bateaux français. Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites à cette terre d’Afrique.
Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous, et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse.
Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous les villages et les mechtas d’Algérie : « l’Armée nous protège. L’Armée restera. »
Nous pensions à notre honneur perdu.
 

 

Alors le général Challe est arrivé. Le grand chef que nous aimons et admirons et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire. Le général Challe m’a vu. Il m’a rappelé la situation militaire. Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presqu’entièrement acquise, qu’il était venu pour cela.
Il m’a dit que nous devions rester fidèles à nos promesses, que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur.
 

 

Alors j’ai suivi le général Challe.
 

 

Et aujourd’hui je suis devant vous pour répondre de mes actes et ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres.
Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier.
On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer.
Oh ! Je sais, Monsieur le Président, il y a l’obéissance, il y a la discipline.
Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vrai pour la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon jadis comme élèves officiers, ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr.
Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément qu’au sol de nos provinces natales.
 

 

Monsieur le Président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans je me bats. Depuis quinze ans j’ai vu mourir pour la France des Légionnaires étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé.
C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes Légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril à 13h30 devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.
 

 

Terminé, Monsieur le Président. »

                                                              *************

La citation qui suit cette prise de notes est de Charles de Gaulle, « Ceux qui accomplissent quelque chose de grand doivent souvent passer outre aux apparences d’une fausse disciplines. »

Juste après dans le cahier, une citation d’Alfred de Vigny : « La parole qui, trop souvent, n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes ; ce que l’un dit légèrement ou avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang, et c’est pour cela que beaucoup doivent baisser les yeux devant lui. »

 

 

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  Photos : D.R

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