La Vallée des loups : "loup, y es-tu ?"
Jean-Michel Bertrand, réalisateur de documentaires et natif des Hautes-Alpes, livre avec La Vallée des loups le fruit de trois ans d’affût dans une vallée qu’il garde secrète où les loups ont établi leur territoire. A force de patience et de chance, il a fini par les voir. La splendeur du paysage est un écrin époustouflant pour ce film qui nous en apprend autant sur le loup que sur l’homme.
« On nous parle toujours du méchant loup mais je ne vois qu’un besogneux, qui met tout en œuvre pour protéger et nourrir ses louveteaux ». Jean-Michel Bertrand, quinquagénaire qui aime bivouaquer dans des lieux improbables mais d’une grande beauté dans ce coin des Hautes-Alpes sauvage et préservé qu’il connaît comme sa poche, donne au milieu de La Vallée des loups une clé de lecture qui taille en pièce la mauvaise réputation d’un animal autant détesté qu’admiré. Un mythe vivant que beaucoup préfèrent mort. Pendant trois ans, à force d’opiniâtreté, de longues heures et surtout de longs jours à l’affût par tous les temps, à l’aide de caméras à vision nocturne, d’une longue vue puis d’une caméra sur pied, cet amoureux de la montagne et de sa faune a attendu. Attendu. Attendu. Comme les loups, il a « marqué » son territoire en urinant partout où il pouvait. Dans une vallée secrète du Champsaur et de Valgaudemar (Massif des Écrins) difficile d’accès et préservée de la présence des hommes, à deux pas (ou presque) du Queyras et du Mercantour où les loups sont revenus d’Italie depuis 25 ans, Jean-Michel Bertrand avait l’intuition qu’ils pouvaient avoir choisi ce territoire pour en faire leur terrain de chasse, de vie et de reproduction. Il ne s’est pas trompé. Après avoir tourné sur place un long-métrage sur les aigles, il est revenu, sans trop savoir si le résultat serait là. Avec lui, le spectateur patiente, se planque sans bouger des jours entiers, voit passer une multitude de cerfs, biches, sangliers, renards, blaireaux, bouquetins, chamois, chouettes, corbeaux, jusqu’au jour où il le voit. C’est son histoire, celle de l’homme qui a vu le loup, une rencontre qui ne peut laisser personne indifférent, « une émotion à son paroxysme, un rêve », dit-il.
Inutile de dire qu’un tel projet a été difficile à produire, malgré le modeste coût (700.000 €). C’est finalement Jean-Pierre Bailly, producteur d’un certain Nicolas Vanier, qui a été convaincre Pathé de faire le film. D’abord seul, Jean-Michel Bertrand a ensuite été rejoint par une assistante à la réalisation, Marie Amigué. Le résultat est saisissant : que ce soient les images de plans larges tournées avec un drone, ou celle, plus intime, des caméras a vision nocturne où l’on voit toutes sortes d’animaux – et de loups ! – La Vallée des loups est un monument érigé à la nature sauvage et à l’un de ses mythes maudit.
Car c’est bien lui le personnage principal. Comme le Dieu de Flaubert, il est d’abord présent partout, visible nulle part ». On le suit à la trace, une trace de loup, naturellement. Petit à petit, Jean-Michel Bertrand se fait accepter des loups, qui le sentent et le voient bien mieux que lui ! L’instinct et le comportement singulier de cet animal au mode de vie sociétal mais aussi solitaire pour certains, a fait le reste. quilibre fragile : tout en étant accepté d’eux, le réalisateur savait que les loups pouvaient décider de changer de territoire d’un instant à l’autre s’ils se sentaient menacés.
On retiendra cette scène où un loup marche légèrement au ralenti, comme en apesanteur tant il ne semble pas toucher le sol mais simplement l’effleurer, les sens à l’affût de la moindre menace. Jean-Michel Bertrand n’a pas seulement vu les loups, vieux rêve d’enfance. Il nous guide et nous invite à danser avec eux, dans un spectacle onirique où le loup est juste un grand. Mais pas méchant.
F.S.
Sur les écrans depuis le 4 janvier 2017 : La Vallée des loups, de Jean-Michel Bertrand. 1h32.
En guise de voeux
"Je vais sortir. Il faut oublier aujourd'hui les vieux chagrins, car l'air est frais et les montagnes sont élevées. Les forêts sont tranquilles comme le cimetière. Cela va m'ôter ma fièvre et je ne serai plus malheureux dorénavant".
Thomas de Quincey. Confessions d'un mangeur d'opium.
Lettre 404. Hossegor, 15 septembre 1968
Comment peut-on se souvenir - ou oublier ? - que cet homme fut durant quatorze ans Président de la République ?
"Mon amour,
Un lac retiré dans son chenal de sable et couleur de perle du Japon, une ouverture de ciel parcourue de grands vents, bleue et noire et blanche et bleue surtout, la ceinture verte et noire des arbres entre deux, et toi venant, ton bouquet de fleurs à la main, toi marchant le long des murs de ton enfance, toi Anne intérieure avec tes yeux de matin mystique, voilà les images qui s’inscrivent pour marquer la fin des vacances. Fin des vacances ? Non, fin d’année, toujours fin de quelque chose qui a été bonheur, cri, tristesse, espoir, quotidienneté, chemins de forêt, balades au bord de l’océan, plongées dans l’inconnu, nuit de lune sur les pins de Seignosse, plaisanteries faciles du golf, silence de ta chambre, émotion renouvelée, tirée de la peine et de la joie, à crier, à pleurer, à aimer.
Après t’avoir quittée j’ai rêvé, sécateur à la main, forgeant la destinée des chênes-lèges, des arbousiers, des pins, stoppant celle des plantes grimpantes, coupantes, méchantes, rampantes, piquantes, qui s’en sont donné à cœur joie par cet été de pluies. C’est facile et bon de songer ainsi, les pieds dans l’humus sans âge et la tête partie avec les idées, les images d’au-delà l’horizon. J’ai devant moi maintenant tes fleurs (cosmos, asters, non, pas cosmos, que sont ces marguerites jaunes et rouges ?), tout est calme si le vent toutefois monte fort à l’assaut des cimes. Voici un dimanche matin. Tu es partie. Comme il est 11h30 je te suppose du côté de Sore, pas loin de illuminations de Pâques 66, tout près du petit pont, sur la route de Langoiran (qui est, jusque-là, celle aussi de Langon). J’ai le cœur plein d’amour, et tout autour, de la mélancolie. Tu es ma belle jeune fille Anne de la rue des Blancs-Manteaux, tu es ma jeune femme de Saint-Benoît-sur-Loire et de Torcello, porteuse d’âme éblouie, angoissée dans ton corps qui est mien.
Bon voyage, mon cher amour. Tu es Anne forte de tous tes prestiges, tu es l’amour qui fait vivre et croire, tu es celle que j’aime.
François."
Jour et brouillard, à Chaumont-sur-Loire
Expositions "Des arbres en hiver" au Domaine de Chaumont-sur-Loire, jusqu'au 28/02/2017. Notamment Michael Lange avec "Wald".
La cathédrale d’Angoulême se visite aussi pour son trésor
Le trésor de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, 147 objets d’art sacré à la scénographie signée Jean-Michel Othoniel, est ouvert depuis cet automne. Cette cathédrale romane du XIIe siècle était déjà un trésor en soi. Elle en abrite désormais un vrai. Visite guidée, rien que pour vos yeux.
147 objets d’art sacré de la seconde moitié du XIXe siècle – calices, patènes, ostensoirs, encensoirs, statues, vêtements et accessoires liturgiques – composant le « trésor de la cathédrale d’Angoulême » sont désormais visibles au public, sur réservation en visites menées par les guides conférenciers de Via Patrimoine. La scénographie est signée Jean-Michel Othoniel, célèbre artiste plasticien contemporain, déjà connu pour avoir habillé la station de métro Palais-Royal à Paris de sculptures de boules de verre de Murano. Et, plus récemment, trois sculptures fontaines « Les Belles danses » dans les jardins du château de Versailles.
Il faut remonter à 2008 et le début des travaux de restauration de l’intérieur de la cathédrale d’Angoulême (lire ci-dessous) pour trouver trace du commencement de cet important travail de l’artiste. C’est la première fois, de son propre aveu, qu’une commande publique du ministère de la Culture et de la Communication confie l’intégralité d’un tel travail à un même artiste ; d’ordinaire on ne commande qu’une œuvre, qui s’intègre dans un ensemble plus vaste et composite. Jean-Michel Othoniel va notamment s’inspirer d’un motif visible sur des vitraux réalisés par Paul Abadie au XIXe siècle, qu’on peut notamment voir au dessus de la porte d’entrée versant sud de la cathédrale : des motifs à entrelacs, motifs géométriques faits de nœuds infinis sur fond bleu.
Situé à la base de l’ancien clocher sud tombé sous les coups de canons de l’amiral Coligny lors du conflit catholiques protestants au XVIe siècle (1568), le trésor de la cathédrale d’Angoulême est composé de trois pièces, et d’une montée crescendo dans l’émerveillement et la beauté étincelante de l’ensemble. La première salle est un musée lapidaire, où l’on peut notamment voir des pièces exceptionnelles rarement vues, notamment des motifs romans ôtés de la façade de la cathédrale par Paul Abadie lors de sa restauration et jusqu’ici conservés à la Société archéologique et historique de la Charente. A l’étage, la salle de l’engagement, vouée à la figure du prêtre et des objets liturgiques et d’art sacré lui servant à l’usage de son sacerdoce. Chasuble, calices, encensoir, crosse et mitre de l’évêque, l’anneau épiscopal de Mgr Sebaux (dont le tombeau est quelques mètres en dessous), un missel romain richement enluminé… Et une rare et exceptionnelle « valise chapelle » ayant servie à un prêtre prisonnier des camps nazis durant la seconde Guerre Mondiale. Elle fut réalisée par le propre père de Jacques Loire (des ateliers Loire de Chartres), qui a réalisé le grand vitrail donnant sur le transept sud de la cathédrale…
Mais la troisième salle est probablement la plus exceptionnelle dans sa singularité et son éclat. Elle se nomme justement « l’Émerveillement », la lumière est difractée par les milliers de cabochons de verre bleu et de cives or et ambre. Une merveille… Calices, patène, ostensoirs, encensoirs, couronnes de la Vierge, et, clou du spectacle, un reliquaire pour les reliques de Saint-Pierre Aumaître, prêtre charentais originaire d’Ayzec (près de Ruffec) mort en martyr en 1866, décapité sur une plage en Corée (canonisé en 1984 par Jean-Paul II). Le sol de cette troisième salle est en ciment peint d’entrelacs, les murs en vélin gaufré décoré de pastilles d’or… peintes à la main (entreprise Offard, de Tours).
Huit ans de travail pour l’artiste, un résultat époustouflant, un dialogue entre l’art contemporain et le patrimoine, entre le verre, l’aluminium, l’or et l’ambre avec les objets du rituel sacré. Financé par l’État et la fondation Engie (ex GDF-Suez), cette opération dont le travail fut long et semé d’embûches a coûté 500.000 €.
Osera-t-on exprimer un seul regret ? Que ce « trésor » soit un peu comme beaucoup de trésors charentais, difficile d’accès pour les visiteurs… L’accouchement de la convention de partenariat entre le ministère de la culture, les Centre des Monuments nationaux, Via Patrimoine, le diocèse et la Ville d’Angoulême a été si long et difficile, que les visites se font au compte-goutte et pour une portion congrue de personnes : trois jours par semaine (mercredis, vendredis et dimanches), deux horaires possibles (14h30 et 16h) et pas plus de 12 personnes à la fois. Un chiffre certes biblique, mais la merveille de ce trésor de JM Othoniel mériterait sans aucun doute plus d’admirateurs… La Drac explique que : « La médiation sera faite par des guides conférenciers de Via patrimoine afin d'expliquer au mieux le travail de l'artiste, la notion de trésor et l'utilisation de ces objets. Par conséquent et en raison de la configuration spatiale des lieux, les visites, d'une durée de soixante-quinze minutes, se feront uniquement sur rendez-vous ». Amen. Il n’est pas interdit, en sortant de la visite, de mettre un cierge dans la cathédrale pour espérer qu’il en soit un jour autrement.
Les restaurations de la cathédrale d’Angoulême, 2008-2012
De 2008 à 2012, la Drac a mené une importante restauration de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, monument historique depuis 1840, et rare cathédrale romane sur le territoire français. Construite au début du XIIe siècle par l’évêque Girard II, sa forme est originale pour l’époque et servira de modèle à de nombreuses églises de style roman-saintongeais, jusqu’en Poitou et dans toute l’Aquitaine. Une nef à coupoles, parfois nommée « romano-byzantine » et coiffée d’une charpente et de tuiles romaines lui confèrent en effet un style singulier qu’on retrouve notamment à Saint-Front (Cahors) ou l’abbatiale de Fontevraud (Maine-et-Loire). Au XIXe siècle déjà, une importante campagne de restauration fut menée par l’architecte Paul Abadie fils, qui participa à la restauration de Notre-Dame de Paris avec Viollet-Leduc et qui établit les plans du Sacré-Cœur de Montmartre. Jean-Michel Othoniel va longuement étudier cette histoire de la restauration du XIXe siècle – longtemps décriée par les historiens et érudits locaux – qui redonna pourtant son unité à un édifice qui avait subit les affres du temps, des guerres de religion (et les bombardements de l’amiral Coligny en 1568) et des multiples ajouts de chapelles et même de maisons sur ses flancs. La restauration du XXIe siècle a permis d’assainir les murs, attaqués par les remontées d’humidité et de sel, nettoyer la pierre et retracer les joints tels que l’avait fait à l’époque Paul Abadie, pour mettre en valeur les pierre de taille. L’intérieur de la cathédrale a ainsi retrouvé sa blancheur et son éclat.
Via patrimoine 05.45.68.45.16 / 06.37.83.29.72. viapatrimoine@gmail.com
Lettres à Anne
Du jeudi 9 septembre 1965 au jeudi 1er décembre 2016, 51 ans nous séparent, un monde, et quel monde ! Deux François, deux socialistes (ou presque), deux Présidents de la République. Le premier, pas encore en passe de l'être - il devra attendre 16 ans avant d'entrer à l'Élysée - tandis que l'autre s'apprête à piteusement en sortir, par la grille du Coq. L'un annonce à son amour clandestin (Anne Pingeot) sa candidature en face du général de Gaulle, qu'il mettra en ballotage quelques semaines plus tard lors de la première élection présidentielle au suffrage universel direct. L'autre annonce en moins de 10 minutes chrono à l'heure du souper qu'il n'ira pas une seconde fois briguer le mandat suprême. Il inaugure involontairement une promesse de feu candidat Juppé : le mandat unique !
En lisant les "Lettres à Anne" de François Mitterrand - une brique de 1,5 kg qui se lit presque comme un roman - comment ne pas être frappé, outre par les extraordinaires qualités littéraires de ces lettres enflammées, par le secret d'un homme d'État, les secrets devrait-on dire. Insondable Mitterrand, le "Florentin", le "Mazarin", qui vécu pratiquement toute sa vie publique en double vie. A-t-on d'ailleurs tout appris désormais ? Rien n'est moins sûr...
François Hollande - sans atteindre les qualités d'homme de lettres de son prédécesseur, loin s'en faut ! - nous a montré que décidément, le goût du secret semble être une des qualités requises pour atteindre les sommets du pouvoir. Paradoxe encore de l'homme qui passa son quinquennat à s'épancher à des journalistes en leur disant à peu près tout ; sauf l'essentiel finalement : qui est-il, vraiment ?
Lettre 220. Jeudi 9 septembre 1965, 17h30
Anne, mon amour,
Voilà, c’est fait, après de longues méditations, de longues hésitations et maintenant la certitude d’une lourde charge : j’ai fait connaître ce soir, à 6 heures, à l’issue de la conférence de presse du général de Gaulle, que j’étais candidat à la Présidence de la République. Les moments d’hier soir et de ce matin ont été intenses, parfois dramatiques. Deferre, Maurice Faure, Mollet, beaucoup d’autres… le Parti socialiste fait bloc pour me demander de mener ce combat… Bref j’en suis là.
Vendredi, 18h30
Je n’ai pu continuer hier cette lettre. Et tu n’as rien reçu ce matin ! (moi non plus d’ailleurs et j’en ai de la peine.) Les journalistes, la radio, les visites, la bousculade, quoi ! La presse d’aujourd’hui apprécie selon son goût ma candidature. Je t’en montrerai l’essentiel demain.
Ma matinée a été consacrée aux réunions de la Fédération en gestation (et la gestation paraît bonne). Déjeuner avec Mollet. Hier soir dîner avec mon équipe d’amis aux Buttes-Chaumont. J’étais soudain épuisé. Ce qui m’ennuie un peu c’est que chaque nuit je connais une heure « claustrophobe ». Bah ! Il faudrait desserrer l’étau ! (…)
L’avion n’ira pas assez vite, les routes des Landes ne seront pas assez droites, et nulle patience ne m’habitera. Ta lettre reçue hier, tes photos sont devant moi, sur mon bureau. Je sens que ma vie est là où tu es. Je t’aime. François.
PS : Si tu dis à Diesel que je viens demande-lui aussi qu’on ne parle pas de ma présence à Hossegor pour que la presse m’y laisse la paix !! Je n’irai pas au golf à cause de cela.
François Mitterrand, Lettres à Anne. 1962-1995. Ed. Gallimard.
« L’Odyssée » du Commandant Cousteau : un homme à l'amer
Le film de Jérôme Salle, L'Odyssée, retrace 40 ans de la vie de Jacques-Yves Cousteau, icône océanographique pratiquement intouchable 20 ans après sa mort. Une vie aux zones d'ombres et de lumières qui ressemble à tout sauf à un monde de silence.
C’est l’histoire de l’homme qui a pris la mer. Elle le lui a bien rendu, au départ, avant de lui faire payer ce qui pourrait s’apparenter à un viol. « C’est la mer qui prend l’homme » dit le chanteur populaire. Comment mettre en scène l’histoire singulière et hors normes de l’homme au bonnet rouge, aux chemises en jean et aux vestons croisés griffés Pierre Cardin, qui passa une grande partie de sa vie dans les profondeurs bleu nuit des fonds sous-marins, dans l’obscurité des salles de cinéma, et dans celles non moins obscures des compagnies pétrolières et maisons de productions américaines ? Jérôme Salle, avec L’Odyssée, tente coûte que coûte, en deux heures, de résumer 40 ans de la vie de Jacques-Yves Cousteau, le Commandant Cousteau. En effleurant ses zones d’ombre, en prenant le parti pris des relations tendues avec ses proches, en vernissant l’icône désormais intouchable de cet « immortel » (a-t-on oublié qu’il fut académicien ?), bref : en surfant sur l’écume des mers.
Le film commence à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et s’achève en 1979 à la mort dans un accident d’hydravion de son fils Philippe, avec lequel il avait entretenu des relations conflictuelles, passionnées, aux flux et aux reflux profonds comme les abysses. Le Commandant Cousteau, c’est l’homme qui, découvrant un monde jusqu’alors inconnu – le monde du silence – s’est évertué à grands renforts de communication millimétrée et de caméras sous-marine, à le faire découvrir à la planète entière. Quitte à prendre souvent des libertés non seulement avec la mer elle-même (sa vision romantique des relations entre les hommes et les animaux marins le fut parfois au prix de sévices infligés à ces derniers ; avant de plonger dans la défense écologique des milieux aquatiques dans le dernier quart de sa vie), mais aussi avec un opportunisme qui le poussa fréquemment à accepter ce que d’aucuns auraient qualifié d’inacceptable pour pouvoir financer ses projets à la limite de la mégalomanie. C’est bien là tout le problème des génies narcissiques : aveuglés par leurs projets toujours plus faramineux, emportant tout sur leur passage, négligeant égoïstement jusqu’à leurs proches et particulièrement, dans le cas de Cousteau, sa propre femme et ses fils, rien ne semble pouvoir les arrêter.
Dans la peau de « JYC » (Jacques-Yves Cousteau) s’est glissé Lambert Wilson, dont le physique aussi sec que celui qu’il incarne n’est pas la moindre des ressemblances. A divers instants du film très scolaire de Jérôme Salle, c’est à s’y méprendre. Pierre Niney (qui incarna Yves Saint Laurent dans dans le biopic de Jalil Lespers en 2014) interprète Philippe Cousteau, le « fils préféré » et donne, dans une scène de règlement de compte œdipien avec son père, probablement le meilleur moment du film. « Toutes ces années quand je te regardais avancer comme ça, sûr de toi, ben je t’ai admiré. Parce que je t’ai tellement admiré papa ». A cet instant-là Cousteau bois la tasse, une arrête de poisson en travers de la gorge. Simone Cousteau, elle, carbure au whisky et clope comme un marin-pompier en jurant comme une poissonnière : Audrey Tautou l’incarne avec sérieux, et c’est probablement la prouesse de la faire vieillir de 40 ans en deux heures qu’il faudra seulement retenir. Le reste des seconds rôles possède la transparence d’une méduse.
L’Odyssée est un « biopic » dans la veine de Molière ou de Renoir : avec un goût très contemporain pour le vintage, le film de Jérôme Salle contribue à la fixation dans le marbre lisse et sans grande saveur des personnages du patrimoine français. A ce titre, la fascination bleue marine autant que les sombres ambiguïtés du Commandant Cousteau, cet « homme à la mer » ivre des grandes profondeurs n’échappe pas à la règle. Lambert Wilson, dans un entretien au Monde, glisse à ce sujet « qu’il y a une grande part de nostalgie pour une époque révolue et fantasmée. Les jeunes voient en Cousteau l’incarnation de la France d’après-guerre, celle de l’élan reconstructeur, de la conquête. Il représente un paradis perdu, où l’homme vivait dans un état de jubilation permanent et inconscient. Tout l’inverse de notre époque terrorisante et cynique ». Un monde des fonds sous-marins obscurs autant que ceux des hommes qu’on ne peut passer sous silence, à l’heure où bon nombre d’espèces et de la flore sous-marines disparaissent, victimes de la conquête déraisonnable de l’homme-grenouille. Ce clown grotesque qui se prit pour un poisson...
F.S
L'Odyssée, film de Jérôme Salle. Avec Lambert Wilson, Audrey Tautou, Pierre Niney. (2h).
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