Le château du Rivau est sans rival
"J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique, la ville et la campagne, enfin tout. Il n'est rien qui ne me soit souverain bien. Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique".
(La Fontaine).
Le château du Rivau (Indre-et-Loire) à quelques kilomètres au sud de Chinon, sur la commune de Léméré. Splendide découverte de ce bâtiment XVe siècle, aux jardins "de conte de fées" et expositions d'art contemporain. Construit par Pierre de Beauvau à partir de 1440, Jeanne d'Arc vint y chercher des chevaux avant de monter à Orléans et Jargeau via Blois et Meung/Loire. Propriété et restauration depuis 1991 par la famille Laigneau, Patricia et Caroline. Hors des sentiers battus et des châteaux archi connus, un lieu à découvrir absolument...
Grandir, une philosophie
Et de deux ! La deuxième dent est tombée en même temps que le pain-beurre-confiture de myrtilles, dimanche matin à quelques encablures de la rentrée des classes. Une souris doit être en train de compter ses sous, pour qu’ils changent de poche…
Tu étais si fière de ta deuxième dent, qui a bougé tout l’été, voilà qu’à quelques mètres de l’automne, alors que les marronniers des cours d’école, de nos villes et de nos places tombent leurs fruits mûrs en attendant les feuilles qui roussissent déjà elles aussi.
Mais le changement de dentition n’empêche pas les questions philosophiques. Après « les oiseaux qui se posent sur les antennes, tu crois qu’ils regardent la télé ? » (pragmatique, la môme) la deuxième dent nous fait entrer dans la pensée profonde des questions existentielles, digne des grecs qui, assis sur du marbre frais, pensaient fort bien dans leur cerveau surchauffé. Alors que je disais, comme ça, un peu benoîtement : « c’est que tu grandis, ma chère… », tu m’as répondu : « oui, mais je ne sais pas bien pourquoi… »
En voilà une bonne remarque ! Pourquoi grandir, pourquoi grandit-on ? Fatalité, diront les uns. Consommation de soupe, dirons les anciens, qui ont tout fait pour nous faire avaler des litres de ce breuvage pas toujours à la hauteur de la préparation. Parce que c’est comme ça, diront les cervelles usées – parfois prématurément – par l’absence de poésie et de lyrisme.
Le poète mystique allemand du XVIIe siècle Angelus Silesius écrivait déjà : « la rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit. N’a souci d’elle-même, ne cherche pas si on la voit ». Le philosophe, allemand lui aussi (décidément !), Martin Heidegger a commenté ce célèbre vers, précisant que si la rose était « sans pourquoi », elle n’était pas pour autant « sans raison ».
Raison raisonnable et raisonnante : voilà bien un beau début, du haut de tes cinq ans, de philosophe en herbe. J’en connais à qui ça ne plaira pas, mais bien d’autres à qui ça plaira.
Continue de réfléchir, petite apprentie philosophe. Pose-toi les bonnes questions. Pas sûr que tu aies les réponses tout de suite, mais il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour essayer.
Le feu sous la glace
Le Cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées, départ de Gèdre), bien moins connu que celui de Gavarnie, offre des vues splendides sur le bouleversement tectonique subit par les Pyrénées lors de la poussée de la plaque eurasienne par la plaque africaine. La couche de roches sédimentaires la plus récente est passée, par le jeu du plissement, « cul par-dessus tête » pour se retrouver, par endroit, au dessous de la couche hercynienne le plus ancienne. Longtemps, cette incongruité de la nature interrogea les premiers découvreurs de ces chemins d’altitude qu’ils frayaient sous leurs pieds.
Face à l’imposante muraille qui s’ouvre devant nous, au levé du jour, domine le Pic de la Munia, un 3133 mètres qui ne peut se vaincre qu’au prix d’une course « mixte », comme on dit. D’abord on marche normalement, puis on se saisit de la neige qui persiste dans l’étroit couloir entre deux murs de roches (offrant ce que l’écrivain italien féru de montagnes nomme « une indulgence de la nature »), puis on escalade deux dalles un brin glissantes mais sans grande difficulté (la « dalle Passet » et le « pas du chat »). Enfin, on termine par trois quart d’heure de crête tantôt aérienne, tantôt facile, pour enfin s’asseoir au sommet et ouvrir un bocal de pâté.
Il y a deux ans, le couloir de neige nous avait, mon camarade et moi, causé du souci à cause d’un oubli volontaire de crampons. Cette fois-ci, pour la troisième ascension de la Munia – première en solitaire – j’ai pris grand soin de ne point les laisser au chaud dans la voiture. Aussi étrange que ça puisse paraître, je n’en ai pas eu besoin. Au lieu de passer sur la neige, je suis passé dessous. Le névé, dans un état avancé de fonte, mais sur une très forte pente, offrait quelques ponts de neige peu engageant à bien y regarder. La rimaille (espace entre la neige ou la glace et les parois rocheuses), a permis cette fois-ci de passer dans ce bref espace humide et froid, marqué par cette odeur inoubliable de roche humide, de terre gelée, et de vieille neige au nez à la fois rance et métallique. La sueur froide de la roche. Par moment, nous étions carrément dessous, au milieu d’un concert de goûtes d’eau froides tombées des voûtes de cette petite cathédrale de glace et de roches. Au sol, c’était tout sauf confortable. Chaque arrêt entraînait des trésors d’efforts pour maintenir les chaussures sur la pente aux cailloux roulant vers le bas. Un pas de 20 cm provoquait immédiatement une descente de 10. A ce rythme-là, on n’avançait pas vite, c’était certain. Mais avions-nous autre chose à faire ce matin-là ?
A l’arrivée en haut, entouré des géants au loin que sont les « Trois sœurs » (Soum de Ramond, Mont Perdu, Cylindre), du Casque, Tour, Taillon, Vignemal à l’horizon, Pic Long, Néouvielle et Campbieil plus au nord), deux compères en grand bavardage et visiblement satisfait d’être ici. Le plus âgé (70 ans au compteur) se remettait d’un cancer avec récidive. Le plus « jeune » (65 ans à la toise) sortait d’une paralysie partielle d’une jambe. Ils débouchèrent une demi-bouteille de Madiran et nous avons bu ce vin nouveau de la renaissance. Le cul assis sur la roche chauffée à blanc par un soleil de gloire. Une heure à deviser sur les beautés de la montagne environnante. Sur les sommets faits, à faire ou à refaire. Puis deux heures de descente où je peinais parfois à les suivre tant ces vieux cabris galopaient, grisé par l’amitié autant que par le vin. Mis en bouteille au château. Débouché dans les cieux.
Pas une seule fois nous n’avons évoqué le contexte anxiogène de notre monde en guerre. Pendant une journée, nous l’avons oublié.
FS 14/08/2016.
Le Mont Perdu des causes retrouvées
Mardi 2 août 2016, sept heures du matin. A 3348 mètres au dessus du niveau de l’écume de mer, pas un souffle d’air n’agite l’atmosphère surréaliste de l’aube qui étend ses premiers rayons sur les trois vigies au sommet du Mont Perdu. Seule la respiration échappée des trois poitrines qui se trouvent là à ce moment-là trouble à peine l’instant unique, quasi mystique. L’esprit plane au dessus des roches et l’on se surprend à se demander si, par hasard, les Dieux de l’Olympe n’auraient pas installé un de leurs trônes sur cette thèse de géologie à ciel ouvert.
Le ciel, nous sommes dedans, mon vieux camarade de marche, le gars courageux qui a dormi au sommet, et moi. Pour « prendre quelques courts instants de repos avant le petit déjeuner » (sic), nous avons préféré les abords du Lac Glacé, trois cents mètres de dénivelé plus bas, mais nous n’avons pas beaucoup mieux dormi que lui. Le vent a fait claquer la toile de tente toute la nuit, et à cette altitude le sommeil n’est pas des plus reposant. Qu’importe, l’essentiel est d’être là, et d’avoir à l’esprit la mémoire d’un homme qui a tourné en boucle dans la mienne depuis le départ de Gavarnie, la veille, deux mille mètres plus bas. La semaine précédente, pendant qu’on égorgeait comme un vulgaire cochon le père Jacques Hamel au pied de l’autel de l’ultime sacrifice dans une petite église de la banlieue rouennaise, je peaufinais les derniers préparatifs de cette boucle pas comme les autres : Gavarnie, brèche de Roland, col du Cylindre, Mont Perdu, nuit à la brèche de Tuquerouye, Lac glacé du Marboré, col d’Astazou, et descente par les « Rochers blancs » jusqu’en bas du Cirque. Pour ces derniers, je ne cessais de lire et relire le topo de cette chute à pic dans ce qui ressemble à la gueule de l’enfer, à m’en user les yeux pour bien repérer le slalom qui nous serait imposé afin d’éviter les fameuses barres rocheuses et trouver le chemin qui nous ramènerait - en entier - à Gavarnie.
Tout en préparant cela, j’ai songé que peut-être, là-haut, à 3348 mètres, je pourrais déposer la mémoire de ce prêtre mort au moment même où il allait célébrer celle de celui qui avait pourtant dit que son sacrifice servirait une bonne fois pour toutes. Geste inutile peut-être, mais j’ai eu envie de le faire. Ça n’a pas l’air de peser grand-chose, une âme dans un sac à dos, mais celle de ce prêtre pesait une tonne, allez savoir pourquoi… Lorsque je touchais enfin au but, je me retins de montrer l’émotion qui m’étreignît à l’instant précis où je fourrais une pierre du sommet dans ma poche, en échange, et selon mon habitude sur les hauts sommets que je fréquente parfois lorsque la mansuétude météorologique des Pyrénées me le permet. La mansuétude météorologique et une « indulgence de la nature », selon la belle formule de l’écrivain montagnard Erri de Luca.
Je l’ai déjà dit et je ne cesserai de le répéter : l’aube en montagne est infiniment plus puissante et savoureuse que le couchant, c’est l’heure où le jour dispute à la nuit ses premiers rayons rassurants et où, si l’on prête bien attention, personne n’est capable de dire en face de cette lumière-là si la nuit est réellement fini et si le jour va commencer, ou l’inverse. Entre loup et chien se disputent le chien et le loup. L’homme a-t-il encore sa place dans cette faille du temps ? J’ai la faiblesse de le croire.
Ce 2 août-là donc, un an après la précédente ascension dans des conditions météo similaires, pas un souffle d’air, une économie de gestes, pas un bruit hormis celui de nos pas feutrés comme sur une moquette épaisse, sur le calcaire 40 millions de fois plus âgé que nous. L’ombre portée du Mont Perdu s’étendait vers l’ouest à des dizaines de kilomètres, au-delà de ce que nous pouvions imaginer. Nous étions bien, conscients du privilège que le troisième sommet des Pyrénées nous donnait à vivre. Nous étions trois mais en réalité quatre, puisqu’en plus de l’ombre du « Perdu » planait aussi celle d’un « retrouvé » : le père Jacques Hamel. Puis il fallu se résoudre à descendre.
En sortant, « veuillez rendre l’âme à qui elle appartient ». Merci.
FS 12/08/2016.
La petite souris est partie
« Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » (Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles)
Elle a disparue cet hiver de la vitrine du salon de coiffure devant lequel nous passions chaque fois que je t’accompagnais à l’école, une ou deux fois par semaine. C’était sûrement un signe de quelque chose, et je n’ai pas voulu le voir. Je ne m’en suis pas alarmé, j’aurais peut-être dû. On ne se méfie jamais assez de ces insignifiants détails qui annoncent parfois les catastrophes. On fait comme si, un peu insouciant, un peu dans le déni. On se dit que non, ça ne sera pas possible, pas déjà, pas maintenant. La petite souris en peluche du salon de coiffure a disparue avant que le printemps n’arrive, et toi tu vas partir alors que l’été peine à arriver.
Partir. Vivre ailleurs. Avec ta maman souris. Partir. Vivre ailleurs. Je suis amère. 221 kilomètres. C’est pas la mer à boire. Mais la potion est amère à boire.
Ta mère me l’a annoncé le 29 février. Un jour pas comme les autres, il y en a qu’un tous les quatre ans : on s'en souviendra. Sur le moment je n’ai pas cillé. Je m’y attendais un peu – comme on dit – mais secrètement je repoussais l’idée que tu partes, toi aussi. Je faisais l’autruche, la tête dans le sable, les fesses en l’air. Elle m’a botté le cul avec sa nouvelle à la con. Qu’elle s’en aille, quoi de plus naturel, depuis le temps que... Mais qu’elle t’emmène aussi toi, ma fille, mon enfant, et je ne saurais m’y faire.
Partir. Vivre ailleurs. C’est pas la mer à boire. Mais la potion est amère à boire.
On a à peine eu le temps de s’apprivoiser dans ce semi quotidien partagé entre toi et moi, que déjà il faut se séparer. Ce chemin de l’école, où nous avons vécu tant de choses, découvert la vie et le monde, ton monde, celui à la mesure de ta taille et de tes pas qui arpentaient les pavés de la vieille ville. La murette sur laquelle tu es montée, près de l’église, d’abord en me tenant la main, puis sans la main, puis presque en courant. Les multiples sauts depuis à peu près tout ce sur quoi tu pouvais grimper. Les carrefours, les petits piétons rouges et verts. Les escaliers D-P. et la vue sur la ville, la vue sur le monde. Et la toute petite ruelle pleine de crottes de pigeons que nous traversions vite vite pour éviter de s’en prendre une sur le crâne.
Ma Loute
Le nouveau film de Bruno Dumont est un objet fantaisiste, expérimental et burlesque. Il mêle, sur fond d’enquête policière, des comédiens non professionnels avec des grands noms du cinéma : Fabrice Luchini, Valéria Bruni Tedeschi, Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent. Le tout dans les « Hauts de France » aux accents Ch’tis, avec juste ce qu’il faut de cruauté pour que le film exerce une sorte de fascination pour cette ambiance décadente.
Il a quitté son costume étriqué et sa démarche d’Aldo Maccione, mais il conserve ce ton sans ambages, démonstratif qu’on lui connaît, aimé ou détesté : Fabrice Luchini, dans un entretien au « Monde » décrit avec exactitude Ma Loute, de Bruno Dumont. « Les pauvres sont fabuleux mais ils bouffent les gens. Les riches sont décadents et snobs mais ne savent plus rien ».
Sur la côte d’Opale, dans une improbable grande maison au style égyptien nichée sur une colline, les Van Peteghem viennent passer les vacances d’été. Famille bourgeoise décadente, snob, imbécile et consanguine (« ça fait des alliances industrielles » dira Fabrice Luchini alias André Van Peteghem), ils côtoient la famille Brufort, pêcheurs aux tendances cannibales qui les portent dans leurs bras pour leur faire traverser un gué. Parmi eux, Ma Loute, le fils, qui s’éprend de l’androgyne Billie, fils ou fille – c’est selon – d’Aude Van Peteghem, sœur d’André, cantatrice déglinguée et emphatique style Belle époque. Cet attelage totalement foutraque est complété par deux policiers, à mi-chemin entre les Dupond et Dupont ou Laurel et Hardy, qui enquêtent sur de mystérieuses disparitions de corps au bord de la mer, entre les dunes.
Bruno Dumont, cinéaste aimant se promener dans les marges, déjà auteur de La Vie de Jésus (1996, Prix Jean-Vigo en 97), L’Humanité (prix d’interprétation et grand prix du jury à Cannes en 1999), Flandres (grand prix du jury à Cannes en 2006) se frotte avec Ma Loute à un cinéma qu’on pourrait qualifier d’expérimental. Il demande aux comédiens – professionnels ou non – d’endosser non seulement des costumes étriqués (qui grincent à chacun de leurs mouvements) mais aussi de composer leurs rôles de façon à les faire disparaître dans ceux-ci tout en les reconnaissant au premier coup d’œil. Bruno Dumont, c’est un fait, aime réconcilier les contraires. Dès lors, les travers habituels d’un Fabrice Luchini ou d’une Juliette Binoche se fondent dans les personnages, enfin débarrassés qu’ils sont de leur propre image. Ils pulvérisent la norme du bon goût, faisant souffler un vent d’une délicieuse outrance, décadence et de cruauté abjecte en même temps que souffle le vent du « ch’nord » sur les dunes de Boulogne-sur-Mer. Dommage que le jury cannois soit passé – comme pour beaucoup d’autres – à côté du film de Bruno Dumont, réalisateur hors normes à en devenir anarchiste cinématographique (presque). Or à Cannes depuis quelques années, on aime toujours s’encanailler un peu, flirter avec le scandale, mais pas trop non plus…
D’un point de vue factuel les costumes – aussi cintrés soient-ils – et la photo sont délicieux, charme désuet de la province du Nord - Pas-de-Calais 1915. On retiendra aussi, au-delà de la performance du quatuor Luchini-Binoche-Bruni Tedeschi-Vincent, le duo père-fils de la famille Brufort, en vrai Brandon et son père Thierry Lavieville, véritables gueules de cinéma comme on aimerait en voir plus souvent. Hein, Ma Loute ?!
F.S
(en salle depuis le 14 mai)
Jardins du siècle à venir
Portfolio du 25e Festival international des Jardins du Domaine de Chaumont-sur-Loire, jusqu'au 2 novembre. Sur le thème : "Jardins du siècle à venir".
Ça peut paraître paradoxal, mais il y avait presque "trop" de soleil... (les photographes me comprendront).
(c) F.S