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Le jour. D'après fred sabourin
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“Le pauvre, c’est celui qui n’a rien”

7 Novembre 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #édito, #quelle époque !

C’était au détour d’un article de Charente Libre, fin octobre, signé Céline Guiral. Un article sur la pauvreté dans le nord de la Charente, une rencontre “avec ceux qui peinent à joindre les deux bouts”. La conclusion est de Bérénice, qui répond à la question de la journaliste : “vous percevez-vous pauvre ?”. Elle dit : “non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. Cette réponse tourne en boucle dans mon esprit, depuis. Elle interpelle le journaliste à temps plein que je fus il n’y a pas si longtemps encore, et le directeur d’épicerie solidaire que je suis actuellement. 

Je l’ai reconnue tout de suite, Bérénice, sur la photo illustrant l’article. Elle est bénéficiaire de mon épicerie solidaire itinérante dans le Ruffecois. Elle est de Villefagnan et vient aux distributions du mercredi, dans la Halle aux grains de ce bourg éloigné d’une dizaine de kilomètres de Ruffec. La Halle aux grains de Villefagnan, c’est un lieu qui pue le poisson : la veille de notre venue, c’est jour de marché, et les effluves de la poissonnerie “parfument” encore la halle le mercredi matin. En lisant l’article, en découvrant le visage presque souriant de Bérénice, en lisant sa conclusion, j’ai comme avalé une arête, pris un coup de poing à l’estomac, une claque dans la gueule. “Le pauvre, c’est celui qui n’a rien”, dit-elle. Comment mieux résumer à la fois la solitude dans laquelle elle se trouve, avec ses deux enfants et 1000 € par mois, et en même temps, comme dirait l’autre, une forme d’espérance spontanée qui trouve, dans cette formule digne d’un évangile, une illustration humaine, très humaine. 

Beaucoup s’en souviennent, j’ai été dans un passé très récent durant une quinzaine d’années journaliste. J’ai traîné mes carnets et stylos dans divers endroits de France, de Normandie à l’Ardèche, de Lyon à Paris, de Blois à Orléans. J’ai adoré ce métier, il me manque beaucoup. En lisant le papier de Céline Guiral, je me suis dit que j’aurais aimé recueillir de tels propos, tant ils sont à la fois terribles à entendre, et d’une criante nécessité à faire savoir. Une vérité qui serait le fruit d'une réalité dure, très dure, d’une situation économique et social compliquée, et, comme flottant au-dessus de cette eau saumâtre, une évidence qui nous saute à la figure : “être pauvre, c’est quand on a rien”

Ces propos m’ont fait penser à ceux, nombreux, que j’ai parfois recueillis et qui m’ont ému, à l’époque. Car malgré les avertissements des vieux sages de la profession, répétant à l’envi qu’il faut toujours “mettre à distance son sujet, afin de ne pas tomber dans l’émotion”, parfois, on est touché. Je me souviens notamment de ce jour où nous étions trois ou quatre confrères à recueillir les propos de parents d’enfants autistes qui criaient entre deux sanglots, littéralement,  leur désarroi de ne pas pouvoir bénéficier de la fameuse inclusion scolaire promise par la loi sur la handicap, et combien leurs vies et celle de leurs enfants étaient lourde, très lourde. Ou cet autre jour où j’accompagnais un religieux bénédictin en rupture avec sa communauté, qui avait choisi d’aller donner des cours de français aux migrants, les pieds dans la boue du cloaque de Grande-Synthe… 

“Vous percevez-vous pauvre ?”. “Non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. Sous-entendu, “j’ai quand même la richesse d’avoir mes enfants”, ou “j’ai quand même un toit sur la tête”, ou “je bénéficie d’une aide pour faire mes courses en allant à l’épicerie solidaire”, ou encore “je suis épaulée par l’association Cassiopée et j’y trouve un réconfort”

Je dis souvent à ceux qui me demandent - non sans une pointe d’étonnement de me voir là où je suis faire ce que je fais - si “ça n’est pas trop dur, de faire ce travail d’aide alimentaire ?”, je réponds que “travailler avec des pauvres, c’est très enrichissant”. J’aime voir sur le visage de mes interlocuteurs la fissure du paradoxe les traverser, à ce moment-là. C’est à peu près la même fissure qui m’a fendue en lisant les propos, si justes, si poignants, si vrais, de Bérénice : “Vous percevez-vous pauvre ?”. “Non, parce que le pauvre, c’est celui qui n’a rien”. À elle seule, elle justifie tout ce à quoi servent les acteurs sociaux ici et maintenant, dans ce territoire isolé et parfois abandonné, du côté de Villefagnan, de Ruffec, d’Aigre ou de Mansle. 

Mieux : elle donne un visage aux statistiques, implacables, de la pauvreté en Charente, “dans le top 5 des départements les plus pauvres en Nouvelle Aquitaine”. Et il n’y a franchement pas de quoi en être fier… 

Frédéric Sabourin

Directeur d’E.I.D.E.R. 

Courrier des lecteurs paru dans Charente Libre ici.

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Dans le silence des cathédrales

24 Août 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Ceux qui me connaissent le savent bien, et le disent, parfois : si les Pyrénées étaient une religion, je serais dévot. Ou bigot, c’est selon. Je n’en éprouve, depuis le temps (plus d’un quart de siècle) aucune honte, cette lubie, monomanie pour certains, est totalement assumée. Inutile de me faire changer d’avis, jusqu’à ma mort, ça sera comme ça. Parmi les « églises » pyrénéennes où j’aime particulièrement me « recueillir », il y a le massif de Gavarnie - Mont-Perdu. Trois cirques se succèdent (quatre, si l’on veut ajouter le plus oriental bien qu’ouvert au sud, formé par la muraille de Barroude) : Gavarnie, Estaubé, Troumouse. Depuis longtemps je songeais à faire découvrir ce sanctuaire béni entre tous à ma fille, jeune padawan de bientôt 12 ans au pied de plus en plus sûr, et aux mollets endurcis par les années de marche. Ce qui fut dit fut fait, cet été 2023.

Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
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Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Il y eut deux moments particulièrement émouvant pour elle, je crois : la découverte du cirque de Gavarnie et sa grande cascade, le premier jour (balade facile, 300 mètres de dénivelés) : au fond du cirque, sous la fraîche cascade ou presque, au pied du mur, dans les cailloux : rien de tel pour poser le décor. Puis la soirée et nuit dans la petite cabane des Aires, à 2100 mètres, à l’entrée du cirque de Troumouse. Je l’ai déjà écrit ici maintes fois et photographié autant de fois aussi : j’aime Gavarnie, c’est certain, mais plutôt d’en haut. J’adore Troumouse encore davantage, et j’aime y être « dedans » (même si la grande carcasse de la Munia, à 3185 mètres, demeure ma course mixte de montagne préférée). Au soir de ce 9 août, à l’issue d’une chaude journée d’été que nous avions passé à l’ombre, et dans la fraîcheur du torrent près de la chapelle d’Héas avant de se coltiner un peu plus d’une heure du demi de suée pour arriver en soirée à la cabane, nous avons bénéficié d’un silence de cathédrale. Il faut l’entendre pour le croire : au cœur même du ventre de ces onze kilomètres de circonférence (plus étendu que Gavarnie…), c’est à peine si l’air était troublé par le murmure d’un petit torrent quelques mètres plus bas. À ce moment-là, cette soirée-là, trois sens demeuraient essentiel à la contemplation : la vue, l’ouïe, l’odorat. Tout le reste semblait devenu accessoire. La petite cabane qui allait nous servir d’abri – mais contre quoi, la nature semblait si paisible ce soir-là ? - était comme la cabine d’un petit bateau qui nous aurait accueillis au milieu de l’océan. Même l’Espagnole, seule, qui s’y trouvait avant nous, ne faisait pas de bruit (chose rare, c’est qu’elle n’avait personne avec qui parler !). Nous étions posés là, dans le creux de la main chaleureuse de Troumouse, à contempler les « sept rochers capitaux » d’une crête si tentante : Pas de Gerbats, Pic Heid, Pointe des Aires, Pic de Troumouse, Pic de Serre de Mourènes, Petite Munia, Grande Munia. Une fois la jeune padawan saucissonnée dans son sac de couchage, je restais encore un petit moment dehors, à observer gravement, comme les marins, le soir tombant doucement. Rien ne manquait au décor, et surtout pas le silence de cette cathédrale de roches calcaires façonnée par le temps, l’érosion, la glace désormais totalement disparue. Je fis mon signe de croix à la fin de ces vêpres pyrénéennes et j’allais me coucher, les yeux imprimés de ce panorama sans cesse renouvelé.

Dans le silence des cathédrales
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Dans le silence des cathédrales
Dans le silence des cathédrales

Il y eut un troisième moment de « dévotion », si j’ose dire, lors de la montée à la Hourquette d’Alans (2430 m), la veille du départ. Profitant de la fraîcheur du petit matin, au sortir du bois des Espuguettes, ce col – Hourquette dans les Pyrénées indique une forme de fourche – permet de relier Gavarnie au cirque d’Estaubé, le moins connu des trois et pour autant pas le moins beau. Il débouche sur la célèbre brèche de Tuquerouye, à 2666m, où est posté, depuis 1896, le plus vieux refuge non-gardé des Pyrénées. Il y a bientôt trente ans, c’est ici que mon aventure pyrénéenne a commencé, et à l’époque, ça s’était plutôt mal passé : météo pourrie, compagnons de cordée pas du tout à la hauteur, inexpérience totale, matériel et vêtements totalement inadaptés aux conditions météo que nous avions rencontré. Les Pieds nickelés en randonnée… De l’eau a coulé depuis sous les passerelles de la grande cascade, je suis repassé souvent par ou près de cette Hourquette, j’avais à cœur de montrer à ma fille l’amphithéâtre du cirque sous un autre angle, qui se dévoile progressivement au fur et à mesure de l’ascension, et ne nous lâche plus jusqu’en haut, sous les contreforts du Pic Rouge de Pailla, et le regard bienveillant des Pics Astazou barrés en diagonal par le fameux couloir Swann. C’est ici que, dans les Choses vues, Victor Hugo a écrit un passage célèbre, à l’occasion de sa visite à Gavarnie, en 1843, quelques semaines avant la mort de sa chère fille Léopoldine : « C’est une montagne et une muraille tout à la fois. C’est l’édifice le plus mystérieux des architectes. C’est le Colosseum de la nature ; c’est Gavarnie ». Le Colisée de la nature… Certains trouveront ça emphatique et par trop exagéré,  moi je trouve ça très juste. Il faut le voir pour le croire. Et pour le voir, il faut le ressentir avec les pieds. Pour cela, on a mille mètres depuis le début du Gave de Pau (sa source est la grande cascade) pour en profiter pleinement. Arrivés en haut, les orgues se turent : pas un souffle de vent, pas le moindre bruit, si ce n’est quelques bribes de voix humaines – lesquels humains eurent le bon goût de quasiment chuchoter – et le grincement de la mastication de nos sandwichs au jambon sec. Face à nous : 35 millions d’années de construction et déconstruction. Sur le candélabre face à ce tabernacle géologique, nous déposâmes notre cierge, avant d’entamer la dernière descente, à grands regrets, pour ma part, enivrés des cimes. La vue est à couper le souffle, je ne connais pas meilleur panorama que la vision de cette muraille, ce fond de cirque, cette brèche dont on jurerait la bouche souriante d’un géant qui aurait perdu une dent.

Il fallut la grande fraîcheur d’une petite piscine d’eau dégringolant du rocher, à quelques mètres de la fin de cette promenade de santé, pour me remettre les idées en place. Lesquelles n’ont qu’une obsession : revenir ici, au plus vite, et si possible plus longtemps.

F.S. août 2023

Photos (c) fredsabourin.com / Dommage qu'il n'y ait pas eu de temps en temps quelques nuages pour les contrastes...

Dans le silence des cathédrales
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Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

5 Juillet 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

C’était un jour gris sans véritable personnalité. Le temps semblait hésiter, entre montée de brumes épaisses, annonciatrices d’humidité, et quelques trouées laissant passer de rares rayons de soleil. La lumière, par instants fugaces, était quand même assez belle et faisant ressortir le vert d’une nature visiblement très arrosée depuis plusieurs semaines. Une nature abondante, généreuse de verdure et de couleurs éclatantes. Les fleurs de montagne – quelques orchis encore, des chardons pointant leurs épines vers le ciel cotonneux, pas mal d’autres variétés dont malheureusement j’ignore le nom – brillaient de mille couleurs. Dominantes de jaune, rose cyclamen, bleu… La terre sentait cette odeur si caractéristique de pierres humides et de fougères entêtantes. Tous les sens étaient en éveil, même le goût, en étanchant ma soif à la fraîche fontaine de Bart : la saveur incomparable d’une source… La sueur me perlait en grosses gouttes dans le dos, sur le torse, et je sentais la ceinture de mon short bientôt saturée d’humidité. Parti de 400 et quelques mètres, l’objectif premier était à 1347 mètres, au col de la Courade. Rien de bien méchant, mais il fallait quand même s’envoyer 900 mètres, en peu de distance. Ce fut fait en deux heures, pile ; la cloche de Gère sonnait 10 heures quand je doublais la petite église ; je posais sac à terre, plus exactement sur la margelle d’un abreuvoir à vaches à midi pile. Mis à part une carcasse de vache croisée aux trois-quarts de l’ascension, je n’avais vu personne. Personne de vivant, devrais-je dire.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Au départ du chemin, la rumeur de la route départementale reliant Pau vers le nord, Laruns et l’Espagne vers le sud, me gênait : je ne parvenais pas à m’en débarrasser, je savais que le bruit disparaîtrait mais quand ? Il cessa net, je ne m’en aperçut finalement pas tout de suite. C’était pourtant comme si on avait brutalement coupé le son d’une télévision. Je me trouvais donc seul au col de la Courade, quelques vaches au Pla dou Soum faisaient tintinnabuler leurs grosses cloches. Je les distinguais à peine dans le brouillard désormais bien accroché. De temps à autre, quelques micro-gouttelettes semblaient en annoncer d’autres, plus fortes, mais nous restions dans le style crachin. Je pris la décision de monter un peu plus haut, vers les Rochers des Cinq Monts. Le sentier s’éleva franchement – 300 mètres de dénivelé en peu de temps – je suais abondamment et sentais bien la pente sous mes godasses. Au sortir d’un bois situé sous la crête de Bouhaben, le chemin se fit très boueux, labouré par les sabots des vaches qui avaient dû passer là peu de temps auparavant. Je commençais à entendre le son de leurs cloches. Une biche – ou un chevreuil – jappa de son rauque et guttural aboiement, mais vraiment assez loin, il ne pouvait m’avoir repéré bien que je puisse parler par moment à voix haute. La boue collait à mes grolles, c’était pénible et je devais louvoyer d’un bord à l’autre de ce cloaque pour ne pas m’enfoncer. J’avançais lentement, et n’y voyais pas à plus d'une trentaine de mètres. La faim commençait à me tenailler, et comme j’avais bêtement oublié mon couteau, je dus chercher une pierre très plate, style copeau d’ardoise, pour faire office de. J’y parvins et je passais le reste du chemin qui me séparait de la cabane de Gerbe d’en haut à la nettoyer consciencieusement avec mes doigts mouillés par les herbes humides, sur lesquelles je prélevais quelques gouttes d’eau au passage.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je trouvais la cabane dans un léger contrebas, guidé par les vaches que j’imaginais bien groupées près d'elle. Elles y étaient, et paissaient, paisibles. Elles semblaient surprises devoir arriver l’humain, je restais cependant à distance, ayant repéré la présence au milieu d’elles d’un petit veau. Je les guettais du coin de l’œil en tartinant mon pâté avec mon couteau de fortune, mais bien vite je dus rentrer à l’abri dans la minuscule cabane. Celle-ci ne contenait qu’une table style bistrot, et une chaise. Ne voyant personne d’autre par ici, cela convenait parfaitement. Je pris, en mastiquant mes tartines, la décision de m’en tenir là, vu le temps et l’absence de visibilité. Sur la carte, je voyais une autre cabane – la Gerbe d’en bas – où je pensais me rendre directement sa avoir à refaire à l’envers le chemin qui m’avait mené jusqu’ici : la longue piste serpentant entre les granges. Je repartais donc, sans savoir si, comme je le lisais sur la carte, je pourrais descendre droit dans la pente herbeuse en direction de cette cabane. Mes pas faisaient un bruit de succion, la boue me collait aux semelles. J’étais en train de remonter une sente au sortir d’un bois que j’avais pris tout à l’heure, labouré par les vaches. Régulièrement, je jetais un œil à droite vers la pente herbeuse, ne parvenant pas à me décider de m'y engager. Les herbes, désormais bien mouillées, devaient glisser sévèrement. J’entendais d’autres vaches en bas, probablement elles aussi près de la cabane que je visais. Elles ne me semblaient pas si éloignées, mais comme je n’y voyais rien, la prise de décision s’en trouvait aussi réduite que ma visibilité. Je tergiversais : allais-je plonger dans l’herbe humide, coupant droit, en espérant que.... ?

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

C’est alors qu’il surgit, flanqué de deux chiens sur ses talons, un parapluie en bandoulière, une veste posée sur l’épaule, chaussé de bottes en caoutchouc, un bâton à la main. Il arrivait de son côté où la pente s’élevait aussi, le chemin formant à cet endroit une sorte de petit dôme, si bien que ni l’un ni l’autre ne pouvions voir arriver quiconque, sauf au dernier moment. Un surgissement, une apparition tout droit sorti du brouillard. Il ne parut pas plus surpris que cela ; moi oui ! J’étais d’ailleurs en train de marmonner mes pensées et tergiversations, comme un moine dans son cloître, lisant l’office. L’homme, coiffé d’une casquette, propriétaire des vaches plus bas – j’allais bientôt le savoir – répondit à mon « bonjour » par un : « alors, on se promène ? ». Je répondis oui, et j’en profitais pour lui demander où était précisément la cabane de Gerbe d’en bas. « Elle est par là », me dit-il, me montrant la pente que je lorgnais depuis tout à l’heure. Je lui fis part de mon hésitation à descendre direct, et il me dit : « j’y vais, vous voulez me suivre ? Ce sont mes vaches en bas ». Comment refuser une telle invitation, providentielle, qui me permettrait d’économiser environ une heure de marche ? J’embrayais derrière lui, tâchant de ne pas trop me laisser distancer, redescendant ce que je venais de monter dans la boue. Tout à coup, il prit à gauche direct dans la pente, et c’était parti. Les herbes glissaient, en effet, ses chiens se retournaient régulièrement en me guettant, intrigués par ma présence, se demandant sans doute quand j’allais me casser la gueule. Il fallait que je cavale bon train, l’homme, bien qu’en bottes, descendait à bonne allure et son pied était davantage montagnard que le mien, qui n’avait pas foulé les pentes pyrénéennes depuis fin mars. À l’entrée d’un passage boisé, une vache noire aux vastes cornes meuglait, solitaire. Le vacher s’arrêta auprès d’elle, on aurait dit qu’il lui parlait (sans doute lui parlait-il, mais je n’entendais pas à la distance où je me trouvais encore) me permettant de le rattraper, ayant perdu un peu de temps dans cette descente acrobatique. Était-elle à lui ? Il ne prit pas la peine de la ramener vers le bas en tout cas, et jetant un œil vers moi, voyant que j’arrivais (enfin !), il reparti aussitôt s’enfonçant dans le bois sombre, et très pentu. Un mince sentier descendait direct, ça frottait de part et d’autre tant il était étroit : je ne l’aurais probablement jamais trouvé tout seul. Je le perdis de vue, mais j’entendais de plus en plus les vaches en contrebas, signe que nous approchions. Au sortir du bois, il m’indiqua le croisement avec le sentier qui débouchait de la cabane de Gerbe d’en haut, que j’aurais pu prendre si j’avais su qu’il existait… Enfin, quelques courtes minutes plus tard, nous arrivions près de la cabane. Combien de temps avait duré cette descente infernale ? Dix minutes, tout au plus ? Peut-être quinze ? Le vacher me dit alors : « voilà, vous y êtes, c’est 200 euros ! » me lança-t-il en rigolant. « Je vous ai fait gagner une heure de marche en évitant le détour ». Et il me parla des gens qu’il croisait à Bious Artigues, pendant la pleine saison estivale, « des gens perdus qui ne savent plus trouver leur chemin ». Je m’étonnais de ce fait, Bious Artigues est un lieu facile, je ne vois pas bien comment on peut s’y égarer, même dans le brouillard ! « Ah si, pourtant, vous n’imaginez pas », ajouta-t-il. « Des Espagnols notamment… ». Je songeais en moi-même aux vers d’Hugo, « c’était un Espagnol de l’armée en déroute, qui se traînait sanglant sur le bord de la route… », et cela ne m’étonnait pas.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je demeurais encore quelques minutes, à observer la cabane, à inspecter l’intérieur, et à regarder les vaches se rassembler auprès du vacher et de ses chiens, leur intimant l’ordre, en leur parlant par onomatopées, de remonter le chemin que nous venions de dévaler. Les chiens revinrent une dernière fois vers moi bille en tête, comme s’ils voulaient me dire quelque chose – mais quoi ?  - et repartirent au cul des vaches. Je les regardais s’éloigner, puis ne les voyais plus mais les entendais encore un bon moment, jusqu’à ce que je décide de repartir, seul, sur le sentier qui continuait de descendre vers Gère, et la vallée. « C’est par là, vous ne pouvez pas vous tromper », m’avait dit le vacher en guise d’adieu. Agitant mon béret, je l’avais chaleureusement remercié, et salué d’un « adichas ! » tel qu’on peut se le dire par ici, même si moi, je ne suis pas vraiment d’ici. Le vacher me salua de la main, tout en continuant à cavaler vers ses vaches, ses chiens à ses trousses. Ce concentré d’évènements éclaira ma journée plus sûrement que le soleil, que je n’avais point vu…

F.S. juillet 2023

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Dans l’œil des félins

21 Avril 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement

Il n’y a pas d’autre mérite que de payer son entrée dans un zoo pour observer, en toute sécurité, des animaux « sauvages » (nés pour ainsi dire tous en captivité), quand il nous faudrait des jours et des jours d’approche, des ruses de félins, pour n’apercevoir  à l’état naturel qu’une tache sombre au loin, ou l’éclat d’un pelage plus ou moins blanc selon l’animal. Sylvain Tesson, dans La Panthères des neiges, résumait les affûts d’une de ses formules qui font mouche : « Au tout, tout de suite, de l’épilepsie moderne, s’opposait le sans doute rien, jamais de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable ! ».

Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins

Je ne suis pas du tout photographe animalier, j'ai peu de goût pour ça, encore moins de talent, ni de matériel adéquat. Je considère la photographie animalière comme un sacerdoce. J'ai beaucoup d'admiration pour cet ordre quasi monastique capable de passer des heures, des jours, des semaines à l'affût sans mot dire pour ne capter parfois qu'une image, et, comme disait Tesson précédemment, « sans doute rien ». Je songe au Vosgien Laurent Munier quêtant sa panthère sur les plateaux du Tibet par -20° ; au Solognot Laurent Charbonnier guettant les cervidés dans les matins humides et froids de Chambord ; à Jean-Michel Bertrand dans la vallée du Champsaur, près des Écrins, à la poursuite du loup... Mais je dois reconnaître que mardi dernier, au zoo de Beauval dans le Loir-et-Cher, le regard captif des félins m'a fasciné, dérouté, retourné. Je me suis demandé toute la journée - et une bonne partie de la nuit - ce que ces bêtes admirables pouvaient bien penser, en nous voyant, en me voyant empoignant mon fidèle boîtier Nikon, objet cyclope noir, pour essayer de capter « l'image du jour ».

Car plusieurs fois en effet, j’ai croisé le regard appuyé de ces fauves en liberté surveillée. Trois fois ce fut particulièrement puissant, tellement puissant que j’ai eu, la dernière fois, du retard à l’allumage pour saisir le moment où ce jaguar, se relevant brusquement, se dirigea droit vers moi, vers nous devrais-je dire puisque nous étions quatre ou cinq, dont un autre photographe. Ce jaguar bondit vers nous, déterminé, en nous fixant sans arrêt, puis disparu dans le fossé qui sépare – c’est heureux – les 6000 m² où s’ébrouent ces fauves du public, sans grillage ni vitre, par conséquent. L’une d’entre nous a dit : « on est sûr que le fossé est assez profond pour qu’il ne saute pas vers nous ? », ce à quoi, bravache, j’ai répondu : « on ne va pas tarder à le savoir… ».

Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins

La seconde fois c’était ce tigre blanc qui pris la pose, en grand habitué qu’il est probablement, mais il y avait je ne sais quoi dans l’air ce jour-là pour que ces félins nous transpercent du regard comme ils l’on fait. C’était fascinant, et je ne pouvais m’empêcher, dans un élan d’anthropomorphisme mal placé, d’imaginer ces animaux pensant. À quoi songent-ils, nous chouffant dans le blanc des yeux de leur regard amende de panthères, de léopards, de tigres, de jaguar ? Imaginent-ils la barbaque fraîche derrière l’objectif, ou rêvent-ils de liberté, qu’ils n’ont finalement jamais connue mais dont on sent bien que l’instinct est tapi là, prêt à bondir de nouveau, derrière ces pelages tachetés ? « C’est lorsqu’on ignore qu’on sait regarder », disait le journaliste Jacques Chancel dans une de ses Radioscopie. Alors ces félins savent voir, et regarder…

Dans l’œil des félins
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Dans l’œil des félins
Dans l’œil des félins

« Elle nous a repéré, pensai-je. Que va-t-elle faire ? Bondir ? Elle bâilla. Voilà l’effet de l’homme sur la panthère du Tibet » (ibid.). C’est l’effet que j’ai dû faire sur le premier félin croisé, cette splendide panthère des neiges, qu’il aura fallu six ans et autant d’affût à Laurent Munier pour la faire entrer dans le cadre de son boîtier reflex. Comme au zoo d’Asson, dans le Béarn l’été dernier, il ne m’aura fallu que quelques dizaines de minutes après avoir passé le portique d’entrée du zoo pour croiser son bâillement (pour la première), et une langue aimablement tirée (pour la seconde). Celle-ci se repaissait-elle en secret du déjeuner qu’elle aurait fait de moi, si le grillage n’avait pas été entre nous ?

« Vivre dignement dans l’incertain », écrivait Jacques Chardonne dans Le ciel par la fenêtre. C’est l’humilité que nous enseigne ces animaux – félins, ou autres – certes en captivité mais finalement bien davantage protégés qu’à l’état naturel, où réchauffement climatique, pollution et chasses débridées menacent leur existence en permanence. « Il restait 5000 panthères dans le monde. Statistiquement, on comptait davantage d’êtres humains en manteaux de fourrure ». Ceux-là ne connaîtront jamais le prix d’un échange de regard avec ces félins, sondant nos esprits tourmentés d’humains en perdition sur la terre, au bord de l’irréversible destruction…

Photos (c) F.S.

Dans l’œil des félins
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L’eau monte

23 Décembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip

J’ai pris l’habitude, depuis deux ans, à l’approche de Noël, d’écrire non pas les états d’âme d’un directeur d’épicerie sociale itinérante en milieu rural, mais plutôt de chercher des raisons d’espérer dans le maelstrom ambiant.

L’eau monte

À la fin de « l’année covid » comme il est convenu de l’appeler, j’avais parlé de trois bénéficiaires qui se réjouissaient de ne plus avoir à venir chercher de l’aide alimentaire, leur situation s’améliorant. L’année dernière, j’avais loué l’extraordinaire générosité d’une ex-bénéficiaire qui avait fait un don conséquent, comme ça, « gratuitement » si j’ose dire.

Cette année, je me suis creusé la tête afin de trouver ce qui, dans le climat ambiant, loin d’être à la fête et aux sourires béats, pourrait donner quelques signaux d’espoir dans cette ruralité que l’on nomme ici « le Ruffecois », le nord-Charente, où souffle souvent le vent mauvais de la pauvreté aussi fort que sur les éoliennes qui encerclent les villages.

Souvent, on me pose la question « comment ça va ? », pour prendre des nouvelles de la situation de l’aide alimentaire en pays ruffecois. Je sens une pointe d’inquiétude dans la voix de mes interlocuteurs. Parfois, je réponds par une sorte de pirouette de navigateur : « grand soleil et p’tit vent frais, tout est normal ». Alors que je pense en réalité : « le bateau coule, normalement ».

Car oui, l’eau monte, et de partout. Si le nombre de bénéficiaires dans le secteur où l’épicerie sociale promène son camion pour les distributions semble stable – plus d’une centaine de familles tout de même, environ 250 personnes – pour le reste, oui, l’eau monte : inflation insupportable pour les gens déjà en difficultés ;  plein de carburant coûtant bientôt plus cher qu’un Pomerol millésimé ; flambée record des factures d’énergie ne se traduisant malheureusement pas dans les radiateurs… Partout, à tous les étages de cette société rurale, on sent une résignation, un « à quoi-bonisme » qui isole chaque jour davantage celles et ceux qui, jusqu’ici, se maintenaient juste au-dessus du niveau de flottaison, et finissent par boire la tasse.

Savent-ils, ceux et celles qui nous gouvernent, que l’eau monte ? Ils disent que oui, mais parfois, j’en doute. Je préfère malgré tout rappeler aux bénévoles et bénéficiaires que nous croisons sur les routes du Ruffecois que si cette année, nous avons eu aussi la grande tristesse de voir disparaître très brutalement notre co-présidente Marie-Anne, que nous aimions tous beaucoup, celle-ci, par sa générosité, l’indéfectible don d’elle-même et de son temps pour les autres (à commencer par ses propres enfants), doit rester un phare dans la nuit. Notre boussole. Une bouée de sauvetage, par son exemplarité, qui permet aux gens de ce secteur rural de ne pas, encore, couler totalement. Et d’espérer, toujours.

Joyeux Noël.

F. S. directeur d’E.I.D.E.R. (Espace itinérant d’aide alimentaire en pays Ruffecois).

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Chambre froide (chapitre 2)

29 Novembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #montagne

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"L'élégance est de mourir. Je prends appui sur l'autorité de la neige : une reine descendue du ciel avec de longs gants blancs et voici que ses doigts s'écartent, que le cadeau de la plus belle pensée nous est donné. Quelques jours, puis elle meurt. Son apparition était dès l'origine son effacement. Construire une abbatiale qui traverse les siècles peut sembler orgueilleux en regard de ce vœu éphémère de la neige. Mais c'est la même magie : les pierres de l'abbatiale ont commencé à fondre dès que je leur ai tourné le dos".

Christian Bobin (24 avril 1951 - 23novembre 2022). La Nuit du cœur, Gallimard, 2018).

Photos : F.S., novembre 2022. Ariège, Siguer. Cabanes de Brouquenat-d'en-Haut et Peyregrand.

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"La noblesse de la neige : arriver silencieusement, partir très vite" (Sylvain Tesson, Une très légère oscillation, journal 2014-2017).

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L’enfance s’en va, et déjà le temps des secrets succède à la gloire de mon père

23 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

Depuis quelques jours tu as franchis le portail d’un collège, signant ton entrée en 6e. C’est peu dire que tu attendais ce moment avec impatience, mais aussi – quoi de plus normal – avec une certaine appréhension. Symboliquement, je sentais bien depuis quelques temps qu’avec ce passage, s’éloignerait à pas feutrés le temps de l’enfance, avant peut-être les grands fracas de l’adolescence. Ces pas feutrés trainent quand même un peu les gros sabots de la fin d’un monde, celui de la fraîche insouciance, celui de l’enfance qui s’en va.

- Tu marcheras sur l'eau -

- Tu marcheras sur l'eau -

Je ne pourrais dire à quel moment précis je m’en suis réellement rendu compte. Il y a ces silences qui s’installent parfois entre nous, subrepticement, sans y songer, quand nous sommes en voiture par exemple, ou en promenades, ou pendant le déjeuner. Je te sens songeuse – est-ce cela ? - je me demande bien à quoi tu penses. Néanmoins quelque chose me retient, parfois, de te le demander comme si j’avais peur de percer certains mystères, dois-je d’ailleurs les nommer ainsi ? Je respecte tes silences, comme j’apprécie que tu respectes parfois les miens.

Tu n’as pourtant que onze ans (« que cela passe vite onze ans », disait Aragon dans l’un des poèmes du Roman inachevé), et je suis ton père : s’il est encore un peu tôt – c’est ma conviction, sans doute suis-je un peu fané – pour le « temps des secrets », je sens bien que ce n’est déjà plus vraiment « la gloire de mon père ». Ta façon de soutenir parfois l’insoutenable en me regardant bien droit dans les yeux, l’envie d’avoir toujours raison en affirmant ton petit caractère, l’esprit de contradiction - comme t’en ferais-je grief, moi qui l’aie depuis des décennies érigé en style de vie ? - bref, tu changes.   

Demeurent cependant les derniers feux de l’enfance, enveloppés dans le papier cadeau inattendu des belles surprises, et c’est heureux. Récemment dans la période estivale, tu m’as redemandé de te lire des histoires, le soir, avant l’extinction des feux. J’avoue mon étonnement la première fois, je croyais cette routine remisée pour de bon dans le registre des joyeux souvenirs d’enfance. « Parce que tu les lis bien, et que tu y mets le ton », as-tu dis comme pour justifier ta demande, et, je te l’avoue, j’en fus comblé. La théâtralisation de ces lectures du soir a toujours été mon moment favori, et nous avons lues et relues certaines jusqu’à l’usure : Le doudou du camion poubelle ; Et pourquoi ? ; La grande peur de Mariette et Soupir ; La tempête ; Le loup tombé du livre ; Ernest et Célestine ; Le mystère de la lune

Comme quand tu étais petite, je me suis donc assis à côté de toi sur le lit, appuyé à l’oreiller, à la lueur de la lampe de chevet et du globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans, chaussant désormais mes lunettes, sans lesquelles… point d’histoire, et c’est parti ! Nous sommes désormais un peu serrés sur le petit lit de  90 cm... « Ne le dis pas aux copines que tu me lis des histoires, elles se moqueraient de moi ». Je ne pense pourtant pas que cette « régression » passagère soit de nature à avoir honte, bien au contraire. Comme quand tu étais petite, tu as insisté pour que, la première histoire terminée, j’en lise une seconde. De très bonne grâce, je me suis exécuté, goûtant ce miel des derniers feux de l’enfance, de cette relation si particulière entre un père et sa fille, que je garde avec prudence comme dans un vase d’argile. Un trésor inestimable.

C’est à tout cela que je repensais ce matin en me levant, le jour de tes onze ans. Bon anniversaire, ma fille.

F.S. 23/09/2022

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La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

13 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #l'évènement

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

La Reine est morte, vive le Roi ! Depuis jeudi dernier, jusqu’à la saturation pour certains (la cancel culture et ses apôtres ne sont jamais bien loin…), chaque jour un petit peu davantage sur la Reine Elisabeth II, passée à trépas à l’âge très respectable de 96 ans. Depuis que tu es au collège, ma fille, c’est-à-dire depuis huit jours, tu augmentes ton niveau d’anglais. Ou plus exactement, tu en manges un peu plus chaque jour. Il paraît que ton prof est, lui aussi, anglais, ça tombe bien ! Gageons que lundi prochain, jour des funérailles à Westminster, tu devrais en entendre parler – in english of course !

Me reviennent en mémoire tes premières années, à Blois, autre cité royale s’il en est. En rentrant de l’école maternelle où tu fis tes premiers apprentissages, nous passions devant la vitrine d’un salon de thé so british. Voisinait, dans cette vitrine, tout ce que le kitch anglais peut produire d’excentrique et de décorations style « bonbonnière ». Je ne déteste pas, tant qu’on ne m’oblige pas à vivre dedans. Comble de ce kitch, trônait au milieu de tasses de thé aux motifs floraux d'un goût contestable, une petite statuette de la Reine d’Angleterre, en tailleur bleu avec chapeau à l’identique, gantée de blanc et sac à main noir, entourée de deux corgis. Il y avait, dans le sac à mains, une petite cellule photoélectrique, laquelle donnait, si la lumière était suffisante, une délicate oscillation à sa main, prodiguant ce salut qu’on lui connaissait bien depuis des décennies (tout le monde voit de quoi je parle). Le même système existait pour les chiens qui secouaient, eux, la tête. Ça t’amusait beaucoup, et je prenais un malin plaisir à dire, en pleine rue quand nous croisions des passants : « viens, on va passer devant le salon de thé saluer la Reine d’Angleterre ! ». Les gens nous prenaient probablement pour des mabouls, mais nous riions de bon cœur devant la vitrine, en agitant la main, comme elle. Les clients, à l’intérieur, se demandaient bien ce que nous faisons et nous prenaient certainement aussi pour des doux-dingues. Cela ne fait rien : j’emporte avec moi ce souvenir d’enfance, et c’était aussi l’occasion de t’expliquer qui était cette femme, pourquoi elle faisait cela, l’histoire, l’Angleterre, la monarchie, la guerre de Cent ans et tout le tintouin. Nous traversions l'histoire comme la ville : à grandes enjambées. Au début naturellement, tu n’y comprenais pas grand-chose, tu appréciais seulement le mimétisme et surtout le cocasse de la situation ; cela suffisait à faire ton bonheur… et le mien !

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

Vendredi dernier, quand tu es arrivée chez moi pour le week-end, nous avons bien entendu parlé du décès de la Reine d’Angleterre, du nouveau Roi, de ce qui allait désormais se passer etc. Tu m’as dit dans la voiture que tu voulais « entendre de l’anglais », passion soudaine, mais tant mieux ! Alors j’ai mis en replay (comme on dit outre-Manche), le journal de 20 heures de la veille, on a entendu Elisabeth s’exprimer, et la nouvelle Première ministre Liz Truss, fraîchement adoubée. Des gens dans les rues de Londres aussi. Nous regardions tout cela avec grande attention, et je voyais ton regard rempli de sérieux s’émerveiller d’apprendre cette page d’histoire, dont tu entends parler depuis longtemps donc. Du haut de tes presque 11 ans, tu t’en souviendras toute ta vie, on n'assiste pas souvent à des évènements de cette importance. Il passait quelque chose comme une transmission de la culture, d’une culture, de l’histoire et de la géographie – matières chères à mes yeux tu le sais – qui infusaient en toi comme l'heure du thé de 17 heures à Buckingham. Samedi matin, ce sont les premiers mots de Charles III – sous-titrés – que nous avons religieusement écoutés et regardés sur le site d’un grand quotidien.

Et je repensais à cette statuette d’une rue de Blois, dans la vitrine d'un salon de thé, comme celle croisée – hasard et coïncidence – dans une rue de Brantôme en Dordogne en juin dernier. La même, sans les chiens, mais toute aussi digne dans la légère oscillation de la main, adresse aux passants que nous étions ce jour-là. Je me disais que toute cette histoire au bord de notre chemin commun valait bien un royal sourire et un mouvement de la main pour dire « bonjour » à ses sujets. Cela vaut, surtout, de les avoir partagés avec toi.

13/09/2022

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille
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Aubrac-toi un peu, si tu lauzes

29 Mai 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #voyage - voyage...

C'était une invitation à un mariage : l'union du gris, du vert et du bleu. Dans leur avarice légendaire (et exagérée, sans aucun doute), les Auvergnats avaient planqué les nuages qui auraient davantage sublimé reliefs et toits de lauzes, granits et gentianes, au détour des chemins (les "drailles") ou des granges (les"burons"). Partout, le vent a séché terre et ciel, secouant les grands arbres dans les vallons, les buissons de genêts sur le plateau, ébouriffant les vaches, paisibles, redécouvrant leurs estives depuis quelques jours, parfois seulement quelques heures.

L'Aubrac se découvre à pied, entre lauzes et murs de pierres sèches, où l'histoire d'un célèbre pèlerinage millénaire vient à la rencontre du marcheur ou le croise au détour de deux ruisseaux tantôt disparus, tantôt dévalant les gorges. En cheminant... 

Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes

Laissons à Frédéric Gros, auteur de Marcher, une philosophie (1), le soin de nous mettre en chemin :

"Les journées à marcher lentement sont très longues : elles font vivre plus longtemps, parce qu'on a laissé respirer, s'approfondir chaque heure, chaque minute, chaque seconde, au lieu de les remplir en forçant les jointures. Se presser, c'est faire plusieurs choses à la fois, et vite. Ceci, puis cela, et encore autre chose. Quand on se presse, le temps est plein à craquer, comme un tiroir saturé parce que, sans ordre, on a empilé des choses et d'autres.

La lenteur, c'est de coller parfaitement au temps, à ce point que les secondes s’égrènent, font du goutte-à-goutte comme une petite pluie sur la pierre. Cet étirement du temps approfondit l'espace. C'est un des secrets de la marche : une approche lente des paysages qui les rend progressivement familiers. C'est comme la fréquentation régulière qui augmente l'amitié. Ainsi un profil de montagne qu'on tient avec soi tout le jour, qu'on devine sous différentes lumières, et qui se précise, s'articule. Quand on marche, rien ne bouge, ce n'est qu'imperceptiblement que les collines s'approchent, que le paysage se transforme. On voit, en train ou en voiture, une montagne venir à nous. L’œil est rapide, vif, il croit avoir tout compris, tout saisi. En marchant, rien ne se déplace vraiment : c'est plutôt que la présence s'installe lentement dans le corps. En marchant, ce n'est pas tant qu'on se rapproche, c'est que les choses là-bas insistent toujours davantage dans notre corps.

Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, d'odeurs, où le corps infuse".

(1) Champs essais, 2011.

Photos (c) Fred Sabourin, mai 2022.

Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
Aubrac-toi un peu, si tu lauzes
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Dans Christian, il y a Christ (Rural road trip, saison 5)

15 Avril 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip

C’est le hasard. Ils sont deux à s’appeler Christian, et viennent, ou sont venus un temps, à la distribution alimentaire du bourg d’Aigre. Je les aime bien ces deux gars-là, dans un genre différent. L’un porte le patronyme d’un journaliste célèbre qui fut otage 124 jours en Irak en 2004, je lui avais fait remarquer une fois au début de mes fonctions à l’épicerie solidaire itinérante, mais ça ne l’a pas fait sourciller plus que ça. J’avais remballé ma science et fermé ma gueule.

Dans Christian, il y a Christ (Rural road trip, saison 5)

Il porte un cuir élimé, un jean et des sortes de boots à talonnettes façon années 70. Il a les cheveux mi-longs un peu gras, lissés avec une raie sur un côté. Je ne sais pas ce qu’il a comme voiture mais je jurerai qu’il a dû avoir une R17 dans les grandes années. On le verrait bien second rôle sorti des films d’Henri Verneuil ou Georges Lautner. Il est un peu causant – ce qui est rare dans la clientèle de bénéficiaires-hommes d’une petite soixantaine d’années, il cherche en tout cas le contact, c’est ainsi que je le prends. Je n’ai pas toujours eu le temps, mais depuis que j’ai accepté d’en perdre un peu avec lui, j’ai appris des trucs. Notamment qu’il est en retraite depuis quinze jours, il avait auparavant retrouvé un peu de boulot dans la mairie d’une commune voisine, après quelques temps au RSA, ce qui l’avait conduit à l’aide alimentaire… « Et ouais », m’a-t-il dit le 1er avril dernier, « ça y est, j’y suis ; j’ai 62, j’ai commencé à 14 ans ». À l’âge où aujourd’hui la plupart des minots adolescents répondent « ça dépend, à quelle heure ? » à la question : « qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? », ce Christian-là était déjà au turbin, à porter des sacs de ciment dans le BTP. Et puis les choses se sont enchaînées, dans tous les sens du terme et du verbe. D’usines en petites boîtes, il a fait un peu tous les métiers, surtout ceux qui usent, paient peu ou mal, de ceux dont on sort cassé avec une retraite minable, après une overdose de trimestres. « À peine 1000 € », avoue-t-il, « avec ça c’est sûr, faut pas s’écarter… », dit-il encore. « Punaise, ding dong ! » fais-je en imitant le bruit d’une cloche comme à l’happy hour, « ça se fête quand même, on va boire un coup ou quoi ? » dis-je l’air un peu bravache. « Ça peut… », répond-il me prenant au mot. Je me suis senti un peu bête, ce serait plutôt à moi de l’inviter.

L’autre Christian ne fait pas son âge, c'est-à-dire qu’il fait plus que son âge, que j’ai appris aujourd’hui (il m’aurait suffit de regarder le listing dans le logiciel de gestion des stocks et des bénéficiaires, mais je n’ai pas non plus le nez dessus en permanence). « Je vais avoir 60 ans bientôt, alors on va regarder avec l’assistante sociale pour ma retraite ». Parce que lui non plus, il ne la touche pas encore, sa retraite, alors qu’il ne bosse plus depuis un petit moment, la faute à son fichu dos. « J’ai commencé à 15 ans, à porter des sacs de ciments de 50 kilos. J’étais maçon. Je me suis détruit le dos, j’ai été opéré plusieurs fois. Si je vous montrait mon dos, vous verriez un cicatrice de 25 cm ». Il dit ça, Christian, comme vous parleriez de votre liste de course, avec sa bouche un peu édentée – je repense à la remarque déplacée d’un ancien Président de la République – sa parka grise avachie et ses chaussures, grises aussi, sans style, sans forme particulière, un modèle bon marché d’un supermarché quelconque. Ce Christian-là, c’est le premier que je vois quand j’arrive, avec le camion, près de la mairie. Il nous guette au coin de la rue, et il s’empresse de déplacer les panneaux de stationnement interdit, mis en place par l’employée de la mairie pour que nous puissions nous garer. La porte du camion s’ouvre, et Christian est le premier à empoigner les caisses de boîtes de conserve, de pâtes et de fruits et légumes, pour aider. Il fait ça avec son dos en vrac, Christian, foutu pour foutu, il aide encore, il donne. Son sourire est édenté mais ses petits yeux sont malicieux, il a toujours le mot gentil, le mot juste, et cette façon de demander « comment ça va ? » des gens sincères naturellement, sans calcul, en vérité. Il était en fin de droits aujourd’hui, Christian, il va falloir qu’il fasse sans nous pendant deux mois, après, il reviendra, c’est quasiment sûr. Aujourd’hui, il a fait durer le plaisir, on sentait qu’il n’avait pas envie de partir, il cherchait quelque chose ; du réconfort, peut-être ? Avant d’enfourcher son vélo Gitane avec son sac à dos et un cabas de supermarché accroché au guidon (un truc à se casser la gueule, mais il a dit « non, non, j’ai l’habitude, ne vous inquiétez pas ») il a demandé presque en s’excusant s’il pourrait quand même venir aider à décharger le camion, dans quinze jours. « Ben oui, Christian, bien sûr que vous pourrez venir, et vous pourrez rester boire un petit café avec nous même ! ». Nous non plus, on n’avait pas envie qu’il parte, avec son p’tit vélo, son sourire cabossé et sa gentillesse gratuite.

Que font-ils à cette heure, ces deux Christian-là, célibataires dans leurs bourgs perdus au fin fond d’une Charente ingrate, à quoi pensent-ils, à quoi rêvent-ils, s’ils rêvent encore ? Dans dix jours, ils iront peut-être voter eux aussi, pour qui, pour quoi, pour quoi faire ? Ils n’ont pas l’air aigris et pourtant ils auraient de bonnes raisons de l’être. Ou alors ils sont trop pudiques pour montrer leur colère et lever un poing rageur vers la société qui ne les a pas épargnés dans leurs maigres vies.

En rentrant, sur la route, c’était grand soleil et tempête de ciel bleu. Nagui et Leila Kaddour parlaient à la radio, j’écoutais vaguement, perdu dans mes pensées, comme souvent quand on revient d’Aigre où il s’est toujours passé quelque chose de singulier. Et puis c’est vendredi, le dernier jour de la semaine, il flotte dans l’air une odeur de cheval qui ne va pas tarder à retrouver l’écurie. Je repensais aussi tout à coup qu’on était « vendredi saint ». Autrefois ça avait beaucoup d’importance dans ma vie, ça n’en a pas moins mais je n’ai franchement plus le temps d’y penser autant qu’avant. Les deux visages des Christian me sont apparus et ne m’ont plus quitté de la journée. Il m’est soudainement revenu à l’esprit que dans Christian, il y a Christ.

 

F.S. 15/04/2022

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