Un dimanche en pull "Marine"
Le dimanche, certains tondent la pelouse ou nettoient leur voiture, se promènent, ou regardent Michel Drucker à la télé. Nous avons passé le nôtre avec des militants loir-et-chériens du Front National, à Châteauroux pour un meeting de Marine Le Pen. Reportage.
- Arrêt de bus -
Un dimanche les pieds dans la terre de France, avec le Front National en campagne. Étrange idée. Direction : Châteauroux, pour un meeting néo-rural avec "Marine", devant un gros millier de militants galvanisés par la grande prêtresse de « La France méprisée, la France oubliée. » À l’heure de la sieste, elle ressert l’évangile de la messe du matin : « Connaissez-vous la parabole biblique des talents ? » lance-t-elle d’entrée de jeu. « Au moment de partir en voyage, un père donne à ses serviteurs de précieuses pièces de monnaie. À son retour, il demande ce qu’ils en ont fait. Le bon serviteur est celui qui a fait fructifier son trésor. Tel est le sens d’une parabole qui a largement fondé notre civilisation. (…) Quel est le principal talent de la France ? Nous l’avons trop oublié : c’est sa terre. » Le ton est donné, il en sera ainsi pendant plus d’une heure.
Quelques heures avant, nous avions pris place dans le bus de militants de Loir-et-Cher se rendant au meeting. Vendôme, Blois, Romorantin, trois arrêts pour faire monter un public majoritairement masculin, d’un âge certain, au milieu duquel nagent quelques jeunes trentenaires et de rares femmes. Avec Jean-Pierre, notre voisin de droite (dans tous les sens du terme), la conversation s’engage. « Marine, elle est avocate, elle sait parler. Elle ne s’énerve pas. Moi j’ai voté Sarko au second tour en 2007. Il avait dit qu’il nettoierait la France, et ne l’a pas fait. Déjà, on aurait dû garder les usines en France. Le problème vous savez, ce sont les étrangers : trop, c’est trop. Je crois qu’il faut qu’on refasse les frontières, pour que les kalachnikovs ne passent plus ! À Marseille, vous en trouvez à 400 € !» On l’aura compris, Jean-Pierre, 74 ans en avril prochain, et ouvrier retraité de l’Education nationale, est déçu par ce quinquennat. Surtout dans le domaine de la sécurité, où l’actuel président avait beaucoup promis : « Les gendarmes sur la route : il n’y en a plus ! Des gendarmes il n’y en a pas assez ! » A-t-il le sentiment d’être en insécurité à Vendôme, où il vit ? « Oui, d’ailleurs je ne sortirai plus le soir dans certains quartiers, je ne me sens pas en sécurité. À Tours, où j’ai de la famille, et à Chinon, aussi. » En novembre dernier, Jean-Pierre s’est rendu au Congrès de Tours, où Marine Le Pen a reçu l’adoubement des militants du Front National en vue de sa candidature à la présidentielle.
Au meeting, "Marine" n’a pas trop appuyé sur les thèmes de la sécurité, même si elle promet, en cas de victoire, de « Sanctuariser la gendarmerie. Il est loin le temps où les campagnes étaient à l’abri des violences ! Je ferai que la gendarmerie retourne dans le giron du ministère de la Défense, qu’elle n’aurait jamais dû quitter, à cause de ce mariage forcé avec la police. » Ce meeting en région Centre, c’était surtout pour elle l’occasion de se poser en candidate de la ruralité. À cinq jours de sa visite au Salon de l’agriculture, en plein cœur du Berry, terre agricole s’il en est, devant 1200 militants venus des départements limitrophes, la candidate à la présidentielle a visé juste et fait vibrer le public : « Qui va remettre la France rurale au centre du jeu ? Qui sera la voix de la France que l'on entend pas, que l'on n'écoute pas ? » a-t-elle interrogé. Partisane d’une « PAF » (Politique agricole française), en lieu et place de la PAC, « qui abandonne nos agriculteurs, » elle a passé en revue tout le catalogue d’une France sépia qui sent les encriers, les pivoines de nos Fêtes Dieu, les portraits du Maréchal et les armoires remplies des dentelles de nos grands-mères : chasseurs, « ces grands amoureux des animaux, à commencer par leurs chiens. » L’école : « Tout petit Français a droit à la réussite, pas seulement dans les ZEP, » promettant l’introduction de La Marseillaise et du drapeau bleu, blanc, rouge dans les écoles. « La France rurale souffre, » a-t-elle ajouté. « Je vais vous rendre vos enfants, gens de la ruralité, tous les Français ont droit à la France, les territoires ruraux sont délaissés. » Et elle enchaîne avec le démantèlement des services publics dans les zones rurales (les trains supprimés, les bureaux de poste qui ferment, le prix de l’essence qui flambe etc.), promettant à chaque fois une batterie de mesures « si je suis élue, » dit-elle. On avait compris.
Retour dans le bus, avec David. Ce trentenaire blésois est séduit par le discours de Marine, et aussi par le changement d’image du parti. « Elle est combattive, elle est jeune, elle a du talent. Pour moi, un second tour Marine contre Hollande est possible, » espère-t-il. « Il y a eu du ménage de fait au FN, les skinhead, ou Alexandre Gabriac par exemple» (le Conseiller régional Rhône-Alpes exclu du FN après avoir été vu en photo faisant le salut nazi sur Internet, et fondateur depuis des Jeunesses nationalistes dans la région lyonnaise, NDLR). Pour cet arrière petit-fils de soldat de 14-18, et petit fils de résistant déporté, « Un peuple indigène n’a pas à accepter les désirs d’un peuple extérieur. » Dans le collimateur : les constructions de mosquées pour les musulmans, thème qu’on retrouve chez tous les militants rencontrés. « Mais ne faisons pas d’amalgame : au FN il y a trois ou quatre mille adhérents musulmans, » s’empresse d’ajouter David. « Ce qui n’est pas bon, c’est le communautarisme. » Après avoir exercé divers boulots, dans le social, à l’ONF et diverses missions intérimaires, il est au chômage, « depuis pas trop longtemps, 2010, » précise-t-il.
- Tu me la tiens ? -
Michel Chassier, responsable départemental du Front National, parle d’une « stratégie de l’évitement, » pour les maires des petites communes qui ne veulent pas donner leur signature à Marine Le Pen. « Dans les petites communes de moins de cinq cents habitants par exemple, certains maires, après 2002 et surtout 2007, se sont retrouvés avec des membres de leur conseil municipal contre eux, se faisant reprocher leur choix de signature. Dans les petites communes, tout le monde se connaît, les conseils sont apolitiques, ça créé des tensions. » Est-il inquiet quand à l’obtention de ces fameuses cinq cents signatures ? « Oui, car il y a des promesses de signatures mais rien ne dit qu’elles se concrétiseront. Et il n’y a qu’un seul formulaire par commune, si vous faites une erreur en le remplissant, c’est foutu ! Si vous écrivez Le Pen Marine au lieu de Marine Le Pen, le Conseil constitutionnel rejette le parrainage. » Blanc bonnet n’est pas bonnet bleu-blanc-rouge…
Interrogé sur les sondages et autres intentions de vote, Michel Chassier affirme que « Le mouvement en faveur du FN est plus fort encore qu’en 2002. Localement, on le sent bien. En 2007, Sarkozy a cru enterrer le FN, mais on a vu aux scrutins régionaux ce qui s’est passé. Quand il a lancé le débat sur l’identité nationale, c’était trop tard, on était déjà revenus, on avait repris la main sur cette thématique. Et son débat a fini en jus de boudin. Nous on a participé à tous les débats, on était partout. »
- Alors se leva le soleil noir -
Alain, ancien parachutiste appelé en 1959 au Congo, passionné de photographie animalière, a exercé divers métiers, « là où ça rapportait, pour nourrir ma femme et mes deux filles. » Il a eu des soucis de santé : « Deux cancers, et deux prothèses : une à la hanche, l’autre au genou. » La possibilité de se soigner et de pouvoir voir un médecin pas trop loin est une préoccupation pour ce retraité vivant confortablement – c’est lui qui le dit - non loin de Mondoubleau. « La santé, c’est la solidarité où tout se joue, a martelé Marine Le Pen pendant son meeting. Comment peut-on accepter qu’il y ait des sous Français qui seraient moins bien soignés que d’autres, » citant l’exemple de la Picardie, avec « 239 médecins en activité pour 100.000 habitants. 44% de diplômés d’universités étrangères, dont 1/3 du Maghreb et de Roumaine. » En plein cœur du Berry, devant un parterre de militants venus du Limousin et de région Centre, le couplet sur la désertification médicale tombe en plein dans les préoccupations et des sujets de conversations. « La faute à l’UMPS qui ont honteusement resserré le numérus clausus, empêchant les étudiants de devenir médecins alors qu’on savait qu’on en manquerait ! » Et de promettre de relâcher ce numerus clausus, pour « former des médecins français, » et pour inciter ceux-ci à s’installer dans les zones rurales, la candidate FN propose la mise en place, pendant les études de médecine, d’un « Stage territorial pour une découverte concrète de nos territoires. »
Alain reconnaît qu’on peut ne pas être d’accord avec tout (passionné d’animaux solognots et des oiseaux de Loire, il a eu du mal avec le couplet sur la chasse), mais il dit sans fard être partisan du Front depuis toujours, et « ma famille, mes amis le savent. On discute avec ma fille, elle est plutôt partisane de Sarko, elle a plus ou moins trouvé du boulot grâce à sa politique. » On ne mord pas la main de celui qui vous nourrit…
Après une heure quinze de cet inventaire à la Prévert d’une France rurale rêvée par les militants scandant le nom de leur candidate, la scène se couvre de jeunes et d’enfants, tandis que retentit une Marseillaise à réveiller les plus endormis. Jean-Pierre, notre militant de Vendôme, est ravi : "Elle a parlé des vieux, elle a dit : les vieux sont délaissés. Mais vous voyez, dans le temps, à la télé et à la radio, il y avait de l’accordéon : c’est de la musique française ça. Pourquoi il n’y a plus d’accordéon ? » Le politique peut-il y faire quelque chose ? « Oui, » répond-il sans hésiter. En France, tout finit par des chansons, c’est bien connu.
Avant de quitter ses hôtes, "Marine" harangue une dernière fois la foule au son de : « Debout Châteauroux, debout Saint-Amand-Longpré avec son beau clocher au soleil couchant, debout Issoudun, debout Argenton-sur-Creuse ! Debout, la France méprisée, la France oubliée ! » Les militants se sont levés d’un bloc à l’appel de la madone rurale d’un dimanche en campagne. Un seul village berrichon manquait à l’appel de cette sorte d’Internationale frontiste, pourtant distant d’une dizaine de kilomètres du lieu du meeting : Vatan.
(c) Fred Sabourin. 26/02/2012. Châteauroux (Indre). Nikon D300 au 12-24mm. Pentax Kx au 18-200mm