Remonter la Marne
16 Avril 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature
Jean-Paul Kauffmann signe un récit de marcheur qui prend son temps, en remontant le cours de la Marne, rivière qui mérite mieux que son habituelle mauvaise réputation…
Citant le poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin, « La rivière n’oublie jamais la source car, en s’écoulant, elle est la source elle-même, » Jean-Paul Kauffmann donne à son livre Remonter la Marne une des explications sur le choix de cette rivière pour effectuer son retour aux sources. La Marne, frontière symbolique, la Marne convoitée et objet de menaces lors des guerres avec l’Allemagne, la rivière étant en effet un point stratégique avant d’atteindre Paris. « La Marne, un déni français, » dit-il en préambule à sa pérégrination de sept semaines.
Le journaliste (répétons-le ex-otage au Liban entre 1985 et 1988) a décidé de partir, sac au dos, godillots aux pieds, pour atteindre la source d’une rivière plus connue par le côté champêtre de ses guinguettes à canotiers du côté de Nogent, que pour l’extraordinaire personnalité qu’elle présente à ceux qui la côtoient. Kauffmann est aussi à la recherche d’un grand-père vétéran de la bataille de la Marne, contre-offensive de septembre 1914 qui stoppa l’avancée allemande. À la manière de Jacques Lacarrière dans Chemin faisant, 1000 kilomètres à pied à travers la France, paru en 1977 et dont il s’inspire, Kauffmann va ausculter les villes et villages traversés avec la truculence d’un La Bruyère et la poésie de La Fontaine dans la description des caractères, paysages et personnalités croisés. Car elle semble bien peuplée, cette Marne que le journaliste nous fait découvrir : éclusiers, artistes isolés sur des îles rénovées, un scientifique Japonais qui la descend, quelques propriétaires bordant la rivière pas tous aimables aux premiers abords, des invisibles ayant trouvé refuge dans des cabanons ou caravanes sur des petits terrains maraîchers, et un ami photographe qui le suit pendant quelques jours. Et puis… les cigares (seul luxe que Jean-Paul s’est autorisé à transporter dans son lourd barda) et le champagne, vin qui borde la rivière et unit les rencontres en leur donnant du pétillant. Où l’on découvre que cette France qu’on dit morte est bien vivante. Mieux même : près de la source, dans le département de la Haute-Marne, qui ne fait pas envie à grand monde, les habitants gardent jalousement le secret de la beauté de leurs paysages, dénigrés par les agences touristiques et immobilières. Que dire de l’hécatombe de l’emploi dans ces villes traversées ! Saint-Dizier par exemple, qui semble ne survivre qu’au son fracassant des avions Rafales décollant de la base aérienne…
La Seine, une arnaqueuse
Le livre de Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne se lit également avec le nez : il n’a pas son pareil pour décrire les odeurs liées à la fréquentation quotidienne d’un cours d’eau. Bois et herbes mouillés, tourbe, moisissures de champignons, feuilles mortes, rouille et même serpillière humide. Le pèlerin de la Marne, comme il se définit lui-même, fait son voyage en septembre - octobre, pendant cette arrière saison où l’été fait de la résistance, et où l’automne donne déjà les prémices olfactives de sa flamboyante saison.
Enfin, et non des moindres, Kauffmann rétablit une vérité que la Seine ne veut pas entendre depuis deux millénaires : la longueur de la Marne est de 525 km, celle de la Seine, 410. Normalement, c’est la Marne qui devrait capturer la Seine et non l’inverse, « prenant le nom de fleuve et entrant dans la légende. » Idem pour le débit : là, c’est l’Yonne qui débite plus que la Seine à leur confluence. « La Seine est une arnaqueuse, dit-il. Et la Marne, qui fidèlement la pourvoit, sa dupe depuis 2000 ans. » Tout ceci mérite bien une remontée de la Marne jusqu’à la source, une coupe de champagne en main, et pour les plus hardis, un cigare aux lèvres.
F.S
Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann. Editions Fayard.
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