Perdu au milieu de nulle part
18 Février 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #étonnement
D’abord il faut sortir de la ville, traverser le fleuve par le pont François Mitterrand, un pont moderne où souffle habituellement le vent glacial de l’hiver. Piétons s’abstenir. Puis la route emprunte la digue, pour se protéger du dernier fleuve sauvage d’Europe, fleuve – océan comme une mer. La femme Loire…
La campagne est belle à cet endroit. Simple mais belle. On domine le fleuve dans un sentiment de sécurité provisoire, enfermé dans le confort de la voiture, et on entend que le sifflement de la vitesse sur le capot. Au loin passent des oiseaux dont certaines espèces endémiques ne trouvent refuge qu’ici. Il y a un virage qui déporte sur la droite, en face d’un garage de véhicules d’occasion. Peut de temps après, on entre dans le village, en légère côte, et après un bistrot – glorieux bistrots de campagne – on voit poindre la Poste au loin, après le carrefour. Cette dernière n’est ouverte que deux jours par semaine, et encore, pas toute la journée. Une certaine vision du service public en zone rurale.
Au carrefour on prend à gauche, un salon de coiffure fait l’angle, Styl’Coiffure mixte annonce l’enseigne. Tout un programme. On traverse un lotissement de pavillons fleurant bon la vie moderne et les familles qu’on nommait encore il y a peu : « classes moyennes ». Des pavillons aux toits pentus, petit jardinets en façade, balançoires et garages. Ceux qui sont fermés par un grillage témoignent de la présence d’un chien. A moins que ce ne soit pour protéger les gosses de la rue…
Après la salle municipale, encore à gauche. Une rue-lotissement là encore, aux maisons semblables, à l’alignement parfait. Celle en brique est en construction, elle sera bien vite terminée. On prend à droite, le long d’un bois dont on ignore l’étendue mais il semble profond. De l’autre côté de la petite route, des champs cultivés, ne portant encore aucune trace de culture en cette fin d’hiver.
Un mur à droite, il faut le longer, et voici que s’annonce une grande bâtisse du XIXe siècle, sorte de demeure ou manoir – on hésite un peu – et des petits pavillons plus ou moins modernes autour. Un parking visiteurs vous attend, au fond d’une allée gravillonnée. On stoppe le moteur.
En traversant la cour, on croise des gens. Des jeunes, surtout. D’autres n’ont pas d’âge. Pas de forme non plus, disparaissant dans des vêtements dépareillés, des pulls over informes. Barbes d’une semaine et cheveux hirsutes pour les hommes. Doudounes à la propreté douteuse pour les femmes. La clope au bec pour la plupart. Dans un coin, sur le gazon, un râteau s’agite pour ramasser je ne sais quoi. A gauche du chemin, un petit pavillon à l’allure d’une petite cafétéria devant laquelle sont rassemblées quelques personnes qui semblent connaître les lieux.
Et puis on arrive devant le corps de bâtiment principal, flanqué d’une petite pancarte « secrétariat ». On pousse la porte, et une odeur de renfermé humide et fraîche mêlé de tabac froid vous saisit. Un comptoir délimite l’accueil. Une femme note dans son cahier grand format un horaire – l’heure qu’il est exactement maintenant – et la nature du visiteur : homme, seul, chauve. En face, sur des chaises attendent des personnes aux regards perdus dans le vide, dans le vague, dans le rien. Le mur en face d’eux n’est qu’à deux ou trois mètres. Un grand couloir coupe en deux le bâtiment, et on entend comme des semelles traîner au sol. Un fantôme, mais ce doit être un homme, passe lentement, traînant les pieds et toute la misère du monde avec lui. Il est habillé comme pour un hiver sibérien. C’est à peine s’il vous voit. D’ailleurs je pense qu’il ne vous voit pas. Sur une des chaises, un jeune homme d’une vingtaine d’année semble prostré. Ses jambes de pantalon style jogging sont remontées jusqu’aux genoux qu’il agite frénétiquement. Son regard semble lancer des SOS. Une envie de fuir vous saisit la colonne vertébrale.
Nous sommes bien à l’hôpital psychiatrique…
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