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Le jour. D'après fred sabourin

Ô captain, my captain ! (fiction)

28 Mars 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 

La porte de l’armoire métallique a claqué une dernière fois, sans la fermer avec le cadenas. A ses pieds, les deux sacs paquetages kakis contenant tous ses effets. Antoine jeta une dernière fois un regard vers les deux rangées de six lits, de cette chambre 212, au second étage du bâtiment central de la caserne. Au fond, près du mur et entre les deux fenêtres, la télé dont ils avaient bricolé une antenne avec une fourchette. Puis il descendit réintégrer les affaires, selon un circuit qui reproduisait l’exact inverse qu’il avait fait à peine un an plus tôt. Il signa les papiers, en reçu d’autres. L’ambiance générale était à l’euphorie – certains parlaient de libération - mais lui gardait ses distances, conscient que quelque chose se refermait pour toujours.  Puis il alla dire au revoir au capitaine de sa compagnie, un homme droit et franc, au physique sec, avec lequel il avait eu d’excellents échanges sur toute sorte de sujets, bien au-delà des aspects militaires dus à leurs rangs. Un homme d’une humanité rare. Ô captain, my captain ! Il avait claqué un dernier garde-à-vous même habillé en civil. Puis il avait franchi la grille du régiment une dernière fois pour se rendre à la gare et rentrer chez lui. Le service militaire était terminé.
 

 

Antoine et le capitaine avaient échangé quelques nouvelles les cinq – six premières années. Quelques courriers au moment des vœux, bonjour-bonsoir, que devenez-vous, où êtes-vous, que faites-vous ? La vie avait suivi son cours. L’un gravissait les échelons de la hiérarchie militaire en roulant sa bosse autour du monde, l’autre apprenait à manier le goupillon en vue de son installation dans une cure du fin fond de la France. Le rouge et le noir. Le sabre, et le goupillon. Un monde – et quel monde ! - semblait les séparer, mais l’engagement les rapprochait. Au fond de lui Antoine n’avait jamais oublié cet homme dont la manière de commander était si différente de ceux rencontrés jusqu’alors. Un homme d’une grande écoute et d’une très forte compréhension humaine, des situations alambiquées, des conflits… Un homme rigoureux mais pour lequel il avait mis toute son énergie à servir loyalement. Et puis le temps avait fait son œuvre, les vicissitudes de la vie avaient tari la correspondance. Martinique, Vannes, et puis… Les épisodes s’arrêtaient brusquement, mais peut-on rester en contact avec tout le monde, tout le temps se disait-il ? Cependant, il n’avait pas oublié. Dans un coin de son bureau, coiffant une mappemonde, un béret rouge à l’insigne colonial trônait, ultime souvenir de ces quelques mois passés sous les drapeaux. Antoine se souvenait, parfois, avec un camarade du même contingent dont il avait conservé l’amitié, de cet officier qui était à la fois si fort et si droit, mais dont le charisme semblait aussi cacher d’anciennes fêlures sur lesquelles il s’était bien gardé de s’épancher. Ils évoquaient ensemble ces souvenirs contrastés, mais dont les points saillants revenaient toujours vers les quelques figures hors du commun qu’ils avaient connu. Tel sous-officier, tel officier. Et le capitaine, toujours.
 

 

La magie d’Internet lui a fait écrire son nom dans un moteur de recherche récemment, mais comment savoir combien de barrettes il avait désormais ? Probablement cinq. Il avait fini par retrouver sa trace, dans un cabinet dit de ressources humaines, spécialisé dans la gestion de conflits, de problématiques de leadership, d’esprit d’équipe etc. Ses trente et quelques années passées dans les forces spéciales et les régiments les plus actifs et les plus prestigieux, dans les endroits du monde les plus chauds lui avaient donné une sacrée expérience et une expertise hors du commun. Il s’en servait autrement, maintenant. Sans aucun doute avec ses mêmes qualités de meneur d’hommes.
 

 

Après un bref échange de mail, ils se téléphonèrent. Ô captain, my captain ! était devenu colonel de réserve, en « retraite » depuis 5 ans. La voix était la même, 17 ans après. Rien ne semblait véritablement changé chez cet homme loyal, franc, direct, courtois, à la parole qui claque mais vise juste. Dans le grand concert de fausses notes des médiocres auxquels Antoine, ex-subordonné de cet officier de grande valeur, avait eu affaire depuis quelques temps, et dont certains avaient voulu sa peau, l’échange inattendu avec cet homme rare et la promesse de se revoir « avant 18 ans, » l’avait conforté sur un point : il vaut mieux jeûner avec les aigles que de picorer avec la volaille. 
 

 

Ô captain, my captain ! Et le reste : du menu fretin.

 

 

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