Les mains d'or
2 Décembre 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #étonnement
- Mano à mano -
Au risque de déplaire à certains – tant pis – je répète ce que j’ai déjà écrit ici : le métier de journaliste localier est un beau métier. Pour peu qu’on sache regarder dans les marges pendants les « trucs » officiels, les conférences de presse (agrume ? livre ?) se révèlent alors sous un autre jour.
Celle où je prends place, ce matin-là, à tout pour (dé)plaire. Le Conseil général invite à se réjouir du déblocage « d’une enveloppe exceptionnelle de 445.000 € d’aide aux agriculteurs éleveurs qui ont souffert de la sécheresse » (je cite). Grâce aux malpropres qui ne respectent pas le Grenelle à Borloo, le climat est déréglé, et les calamités que ce dernier envoie annuellement dans ses colères permettent aux élus locaux en quête de réélection de « débloquer des enveloppes. » A ce prix-là, 445.000 €, on devrait carrément parler de valises. Mais je sens que je dérape.
Donc on est invité. Et plutôt bien, avec ça. Café, jus d’orange, petits gâteaux, « servez-vous, » nous dit la charmante dame de la communication (pléonasme) en nous priant de nous asseoir. Bon, d’accord. Le café, au Conseil général, ce n’est pas un breuvage de bonnes sœurs, comme on dit ailleurs, alors j’en prends volontiers, et même deux fois comme ça j’économise sur celui de ma rédaction, plus douteux question saveur.
Ça commence. Autocongratulations d’usage, et formules idoines : « On a toujours répondu présent, et on répondra toujours présent, » lance le président. C’est donc simple comme un coup de fil. Bon, ça blablate, de toute façon, on a tout sur le communiqué, et vas-y le vieux journaliste dans le coin là bas qui connaît tout le monde et que même le président du CG il lui fait la bise (très mauvais mélange des genres… mais à 65 ans on ne retoque pas un confrère, c’est un coup à s’en prendre une dans la gueule, jeune merdeux), il y va de ses vannes. Sauf que ça agace le président, etc etc. Bref. Il faut s’évader d’urgence, par l’esprit j’entends.
Et c’est là que sur la table, au-delà des tasses à café désormais vides dont certaines dessinent des ronds brunâtres du la table, je vois deux paires de mains, quasiment identiques. Des grosses mains, des pognes même comme on dit chez moi, avec l’annulaire boursoufflé par la présence d’une vieille alliance. Des mains qui se croisent, et se décroisent, dans cet auto contact bien connu des gens légèrement stressés. Alors je regarde les propriétaires de ces mains, calleuses, des mains qui n’appartiennent sûrement pas à des Énarques. Et pour cause : ce sont celles d’agriculteurs. L’un est président de la FDSEA, l’autre est conseiller de canton, agriculteur de son état.
D’un coup, ces mains-là me réconcilient avec la politique. Je me dis, peut-être un peu benoîtement, que ces gros doigts fermes, ces pinces monseigneur ont servi et servent encore à autre chose que de tenir un stylo ou des biftons. Dans un coin de mon crâne, j’entends la chanson de Bernard Lavilliers, Les mains d’or. Dans le cas qui nous intéresse, il ne s’agit pas de rendre hommage aux ouvriers des laminoirs, mais des grattes mottes de terre et autres porteurs de foin. Les paysans, les vrais.
Oui, je sais, c’est idiot. Mais ces mains-là, ce jour-là à cet endroit-là, leur chaleur apparente et leur expérience au travail, faisaient oublier la grande et belle opération de com’ à laquelle, malgré nous, nous étions en train de communier.
Avec du café.
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