Le monde ne suffit pas
21 Février 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Lettres à ...
Mettre la polaire, le manteau, l’écharpe, la cagoule. Attacher les lacets. Franchir la porte, fermer à clé. Descendre les escaliers, un étage dans les bras, les deux autres à pied en comptant les marches. Faire une grimace face au grand miroir de l’entrée. Sortir dehors. Guetter le « camion poubelles. » Cueillir un tout petit brin de lavande, le sentir (« ça sent bon hein ? »). Ramasser trois cailloux dans l’allée de l’entrée, « deux pour les poches, un pour toi. » Passer à côté de l’échafaudage du chantier. Regarder le clocher de l’église, entendre une cloche, parfois. Passer devant la boulangerie où « y a pas Mélanie, » parce qu’on n’y va pas, dans celle-là. Dire bonjour à la petite souris grise en peluche dans la vitrine de la coiffeuse qui fume. Passer devant le fish spa, où des « petits poissons mangent les pieds" des clients. Tourner à gauche, dans la rue sous le château où on entend la tourterelle. Imiter le chant de la tourterelle. Dialoguer avec la tourterelle. Marcher sur les bandes blanches de la piste à vélo. S’arrêter sur le dessin du vélo, chacun sur sa roue. Arriver près du carrefour et « appuyer sur le bouton. » Attendre que le petit bonhomme rouge devienne vert. Traverser sans s’arrêter avant qu’il ne redevienne rouge. Entrer dans le petit parc, courir après les pigeons, regarder pleurer le saule pleureur. Passer à côté du toboggan, sentir ton cœur se serrer. Prendre ta main en longeant la rue où les voitures sont nombreuses et roulent vite. Pointer son doigt vers la façade un peu désuète de l’hôtel de F. et de G. Regarder passer un bus noir et jaune, puis un autre bleu et blanc. Passer devant La Poste, traverser, appuyer sur le bouton. S’engager quand le bonhomme est vert. Râler contre les autos qui passent au rouge. Appuyer une dernière fois sur le bouton. Traverser, embouquer les escaliers. Compter les marches. Passer le badge pour que la porte s’ouvre. Faire coucou aux enfants déjà arrivé par la fenêtre en face de l’entrée. Poser les cailloux sur la pelouse, en promettant de les reprendre le soir. Entrer. Monter trois marches, "tout seul.". Oter les chaussures, le manteau, la polaire, la cagoule, l’écharpe. Mettre les chaussons, sortir doudou. Moucher le nez. Réajuster les chouchous des couettes. Serrer doudou contre toi. Etre dans les bras de papa. Faire bip-bip avec la carte à code barre. Dire bonjour. Consulter le menu. Se serrer très fort dans les bras. Dire comment s’est passé la soirée, la nuit, le matin. Se résoudre à descendre. Etre triste. Etre seule. Et puis partir, sans trop se retourner. Tu es arrivée à la crèche, je pars travailler. Le rituel est immuable mais c’est chaque fois différent.
Le monde – ton monde – ne suffit pas. Il faut encore que je sente, plus tard dans la journée, le caillou dans ma poche. Je sais à cet instant-là que tu m’espères.
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