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Le jour. D'après fred sabourin

Laverie automatique (fiction)

22 Janvier 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature

 

 


Elle est entrée alors que ses slips, chaussettes, chemises et polos tournaient dans le tambour de la machine. Vêtue d’un petit caban de laine bleu nuit, les jambes sortant d’un short en flanelle et couvertes de collants sombres, chaussée de godillots adaptés à la saison hivernale. Lentement, elle s’est dirigée vers la numéro quatre, qui venait juste de se terminer. Synchronisation parfaite, pensa-t-il. Elle a alors ouvert la porte d’un sèche-linge à sa gauche, et a enfourné le linge humide dans la machine. Puis elle a introduit des pièces dans l’appareil fixé au mur, et elle est allée s’asseoir, en face de lui, près de la porte vitrée.
Lui était assis les jambes tendues, pieds croisés. Les mains fouillant les poches de sa parka, il sortit des écouteurs afin de les brancher sur un téléphone et choisir une musique, pour passer le temps. Elle a fouillé dans un sac à main souple et a sorti sans hésiter un cahier noir, épais, relié, et une boîte métallique avec des crayons. Elle s’est mise à dessiner.
Les yeux dans le vague, il n’a pas tout de suite remarqué que c’était lui qu’elle dessinait. C’est en apercevant le mouvement régulier de sa tête, aux cheveux châtains rassemblés sur le dessus en légère choucroute, allant et venant du cahier de dessins à sa direction, qu’il comprit qu’elle le dessinait. Il portait un chapeau, vissé sur le crâne et enfoncé près des yeux, lui donnant un air sombre.
 

 

Elle l’a dessiné, comme ça, frottant de temps en temps la feuille de papier avec son crayon ou son doigt, corrigeant et tournant le cahier pour ajuster le trait. Il sourit intérieurement, secrètement flatté qu’elle l’ait choisi lui, pour occuper son temps pendant que son linge séchait. Il n’y avait personne d’autre dans la laverie. Il flottait dans l’air une odeur humide et chaude de lessive aux parfums artificiels de lavande. Les néons du plafond donnaient à l’ensemble une lumière crue, brillante et métallique. De temps en temps, un bruit sec de coups contre les murs se faisait entendre. L’essorage secouait les machines à laver, qui semblaient tout à coup prendre une forme de locomotive à vapeur.
Sa machine venait de se terminer, le sèche-linge aussi. Il la laissa se lever en premier pour aller ranger son linge dans le grand sac en plastique de supermarché qu’elle avait apporté. Il se leva à son tour, pliant avec soin le linge humide dans un sac à dos. Il le ferait sécher chez lui.


Puis il alla pour sortir, mais la porte ouverte de son sèche-linge et son corps emmitouflé gênait le passage. Il attendit qu’elle s’en aperçoive et elle le laissa passer.
Il lui demanda si son chapeau l’avait inspiré. Elle répondit oui, rougissant légèrement. Il demanda si elle était satisfaite du résultat. Elle dit encore oui, et comme pour se justifier elle ajouta : « Il faut dessiner tous les jours… » Il lui dit que pour la photo c’était pareil, et regretta secrètement de ne pas avoir apporté son boîtier. En sortant, elle lui fit un signe de la main, comme pour lui dire au revoir.
Il ne la revit jamais.

 

 

 

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A
<br /> Très beau récit. Cela a bien sûr été beaucoup traité : 2 destins qui se croisent un instant et se séparent sans lendemain mais à chaque foi cela me fait une douce émotion peut-être un peu<br /> nostalgique.<br /> <br /> <br /> Votre texte me fait penser au poème d'Antoine Pol mis en chanson par Georges Brassens :<br /> <br /> <br /> Je veux dédier ce poème<br /> A toutes les femmes qu'on aime<br /> Pendant quelques instants secrets<br /> A celles qu'on connait à peine<br /> Qu'un destin différent entraîne<br /> Et qu'on ne retrouve jamais<br />
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D
<br /> friction qui manque d'air.  ;)<br />
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