La Conquête, dans la solitude d’un champ de coton
19 Mai 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma
Les meilleurs moments du film de Xavier Durringer, La Conquête sont sans aucun doute ces images où l’on voit un homme seul, au prise avec une réflexion intérieur qu’on imagine paradoxale, partagé entre son appétit de pouvoir et ses déboires conjugaux. À ce sujet, les scènes avec celle qui ne s’appelle pas encore Cécilia Attias mais encore Sarkozy, sont un délice. La solitude du mari-candidat y est semble encore plus accentuée. Mais il y a encore plus : même quand Nicolas Sarkozy / Denis Podalydès est entouré – et il l’est quasiment en permanence – de ses sarkoboys omniprésents, sorte de troupe de communicants aux dents très longues qui se nourrissent de petits fours, champagnes haut de gamme et résultats d’instituts de sondage, il est seul. Le film La Conquête raconte l’irrésistible ascension vers le pouvoir d’un petit homme seul. D’où vient cette séduction mortifère pour la solitude, ardemment désirée et entretenue en même temps que redoutée ? Son psy pourrait peut-être apporter des éléments de réponse. Son ex-femme Cécilia probablement aussi. Sa mère, sûrement.
Dès le début du film, on nous aura prévenus : bien qu’il se déroule avec des personnages existants, La Conquête est une fiction. Sauf que la mayonnaise ne prend jamais vraiment. Même si Xavier Durringer a le grand mérite de s’attaquer à un tel sujet alors qu’il n’est pas encore entré au panthéon de l’histoire, on reste sur sa faim, pour plusieurs raisons. La première – et principale – est que le film manque de fond. C’est sans doute lié au caractère du personnage principal lui-même, perpétuellement en mouvement, perpétuellement en recherche du coup médiatique pour le faire exister, et le rendre indispensable. On a alors la désagréable impression d’assister à un grand zapping des années Sarkozy, du ministre de l’Intérieur de 2002 au 6 mai 2007. Il y a cette incapacité à décoller des faits chronologiques pour entrer dans la fiction, en passant par le fond du personnage. C’est difficile à filmer, le fond. Mais pas impossible. On a vu récemment, dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois que le doute, sentiment interne par excellence, était traduisible au cinéma. On peut donc filmer le fond. Peu de fond dans La Conquête, juste de la forme. Mais après tout, ne serait-ce pas là une caractéristique du personnage principal ? Impulsif, rancunier, bravache, sont les traits de caractère de ce Nicolas Sarkozy / Denis Podalydès, auquel il faut ajouter : la sensibilité à fleur de peau, et le sentiment de perdition totale dès que Cécilia n’est plus là. Pour y arriver, il a besoin de son doudou. Mais sommes-nous vraiment dans le fond ?
À la galerie de portraits, le casting est sans faute, ou presque, et on s’amuse pendant un bon moment de film à reconnaître Chirac, Villepin, Guéant, Charon, Dati, Debré… L’audace va même dans la fin d’un tabou, avec des imitations vocales particulièrement réussies, sans tomber dans le ridicule. Bref, on y est.
La cohérence de tout cet ensemble tient en un seul comédien : Denis Podalydès, qui prend tout du candidat Sarkozy : mimiques, démarche, tics, langage (trop châtié ?), et qui réussit, dans une séquence d’ouverture du film, à presque toucher le fond. Au matin du 6 mai 2007, le candidat est vautré dans un fauteuil, jouant nerveusement avec son alliance. En fond sonore, les journaux radios annonçant le second tour de la présidentielle. Dans l’autre main, un téléphone. On sent l’homme très préoccupé, nerveux, mais sans doute moins par ce qui va se passer dans le pays ce jour-là que dans sa vie intérieure. Quelque chose se brise. Peut-être même quelque chose de brisé depuis longtemps.
« Avec cette foutue transparence, on ne peut même plus nier la réalité, » dit-il sur une plage quelques mois auparavant, entouré d’une chasse de photographes et caméras.
C’est bien ça, le problème.
Film de Xavier Durringer. 1h45. Avec Denis Podalydès, Florence Pernel, Bernard Le Coq, Samuel Labarthe, Dominique Besnehard…
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