L'ordre noir
Avec les fachos, comme si vous y étiez.
Le hasard et la coïncidence ont fait que ce samedi-là, j’étais à Lyon. A la une du journal Le Progrès deux manifestations à haut risque sont annoncées : les jeunesses nationalistes d’une part et les anti-extrême droite d’autre part. Le journal précise, plan de la ville à l’appui, qu’ils auront deux parcours et des horaires très différents, pour éviter qu’ils ne se croisent, et que 350 policiers seront à pied d’œuvre pour éviter tout débordement. Je me tâte. Le mieux serait d’éviter la presqu’île, vu le bordel que ça va être (en plus ce sont les soldes). Mais une irrépressible curiosité me pousse à aller voir du côté des fachos, alerté au printemps par un article du site d’infos Rue 89 sur le renouveau des identitaires et nationalistes de tout poil, principalement actifs dans le quartier Saint-Jean du Vieux Lyon. Ayant habité récemment la cité des gones, je me demande à quoi cela ressemble. Je ne serai pas déçu, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi.
A 15 heures, je suis place Carnot, près de la gare de Perrache, où est fixé le début de la manif. Il fait froid. Là se rassemblent les sympathisants de la cause nationaliste, sous la bannière « Jeunesses nationalistes. Une mission : combattre. Un devoir : vaincre. L’action sans concession.» Tout un programme… De (très) jeunes hommes – mais aussi quelques rares filles – habillés de noir (blousons de cuir, pantalons à poches, lunettes noires, gants de cuir, chaussures à l’image du reste), crânes rasés pour la plupart, casquettes sombres pour d’autres (pour ne pas être reconnus), certains arborant un tee-shirt, noir lui aussi, frappé d’un aigle les ailes déployées. L’ambiance est silencieuse, presque recueillie. Un service d’ordre, reconnaissable aux casquettes bleues marine et aux brassards oranges, veille. La police est là, les renseignements généraux aussi, les talkies-walkies crachotent des informations concernant l’autre manif, partie de la Guillotière une heure plus tôt et dans le sens inverse. Près d’un banc, une sorte de stand où l’on peut acheter le fameux tee-shirt noir, que les jeunes enfilent par-dessus leurs cuirs sombres, et des croix, blanches. « Pourquoi ces croix ? » demandais-je à l’un de ces nationalistes en tenue de deuil. « Il y en a 78, une pour chaque soldat tué en Afghanistan depuis le début du conflit, cette manifestation est pour leur rendre hommage et demander le retrait des troupes de là bas, où ils n’ont rien à faire. » L’instrumentalisation a déjà commencée. Le discours est bien rôdé, ça sort tout seul. J’essaie d’en interroger un autre qui me renvoie dans mes 22 : « Vous allez déformer mes propos, alors non. » Okay.
15h30 précises, le cortège s’élance, drapeaux français et du groupe Occident flottant au vent, banderole en tête de manif : « Afghanistan, honneur à ceux qui sont tombés, honte à ceux qui les ont fait tuer. » Et déjà, les premiers slogans fusent, repris en chœur par les jeunes. Florilège.
« Aujourd’hui l’anarchie, demain l’ordre nouveau »
« Afghanistan, plus de sang »
« Europe, jeunesse, révo-lu-tion »
« Bleu, blanc, rouge : la France aux Français »
« Ni droite, ni gauche : nationalistes »
« Nos soldats en France, pas pour la finance »
Et à l’arrivée quartier Saint-Jean, devant la primatiale : « On est chez nous, on est chez nous ! »
Si vous avez lu jusqu’ici restez encore un peu…
Le trajet est court, longe à contre courant la Saône par les quais, passant sous l’église Saint-Georges, puis tourne vers le Vieux Lyon pour stopper devant la primatiale Saint-Jean. Sur le trajet, sous haute escorte policière et Cé air esse, les badeaux regardent médusés cet étrange cortège, le visage interrogatif, souvent interdit, stupéfait, et souvent dégoûté. Seul point positif, si je puis dire : le faible nombre de ces combattants de l’ordre noir : environ 250. A leur tête, un conseiller régional exclu du F haine (pour avoir été reconnu sur une photo faisant le salut nazi), d’anciens membres du même parti exclus eux aussi, quelques vieux dignitaires locaux plus dignes du tout.
Arrivés sur le parvis de la primatiale, un riverain a le courage d’ouvrir sa fenêtre et leur crie : « Bleu, blanc rouge, c’est pour ça que vous êtes tous noirs ? Comme la mort ! » Il se fait copieusement huer. Un chien de combat aboie, on n’a pas envie d’aller lui caresser le crâne…
Puis viennent quelques discours, dont celui d'un conseiller municipal de Vénissieux (exclu lui aussi du F haine pour s’être déclaré « antisioniste, antisémite, antijuif ») dont je n’ai pas besoin de décrire le contenu : « Israël, cette verrue qui doit disparaître. » Puis le conseiller régional Rhône-Alpes termine en citant « Le plus grand militaire français, le Maréchal Pétain : Courage, on les aura ! » Les jeunes nationalistes entonnent le chant des Lansquenets (en chantant faux). La dispersion « dans le calme » est demandée.
Un membre du service d’ordre à casquette, qui cache son visage derrière la visière, s’approche et me demande pourquoi j’ai pris des photos, si je suis journaliste, pour quel média je travaille et si j’ai une carte de presse. Il tient à la main un parapluie noir dont il manque la poignée, mais pas le bout pointu. Je lui réponds que je suis là depuis le début, que oui, je suis journaliste et que non, je ne lui montrerai pas ma carte, que j’ai pourtant dans ma poche gauche sous ma main. Je lui dis aussi que depuis la place Carnot, lui et ses acolytes ont été photographiés des milliers de fois et pas seulement par des journalistes, les passants ayant brandi leurs téléphones portables pour immortaliser cet après-midi champêtre et pacifique. Il tourne les talons, visiblement peu satisfait de ma réponse, et j’en ai sincèrement rien à foutre. Ni de lui ni des autres d’ailleurs. J’ai la tête qui tourne, et en rentrant je n’espère qu’une chose : que ce soit le froid qui m’ai rendu malade plutôt que cette démonstration minable d’un ordre noir qui n’est pas, hélas, dans les oubliettes de l’histoire…
(c) F.S. Lyon. Janvier 2012
Photos réalisées sans trucages...