L'entrevue
9 Mars 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #quelle époque !
- jambon à la Ronsard -
Ce n’est ni une ville, ni un village. Un gros bourg. Historiquement l’endroit est connu pour y avoir accueilli une fameuse entrevue du 24 octobre 1940 entre Pétain et Hitler, qui scella l’allégeance collaborationniste d’une certaine France avec l’envahisseur. Le temps semble y être figé, et pourtant donne des signes de vie sous forme de hoquet. C’est jour de marché, et la place Clémenceau sort de sa torpeur grâce à la présence des marchands d’un peu tout. Fringues hors mode côtoient volailles vivantes. Plantes printanières jouxtent œufs et fromages de chèvre. Pacotilles et montres en toc à 5€ voisines des choux fleurs et d’une promo sur les endives. Ici, pas de vidéo-surveillance : le policier municipal, dans son uniforme bleu des villes, arbore une paire de baccantes digne des Brigades du Tigre. Il est aussi placier, et fait son tour. Les mains dans les poches, il discute avec un VRP vantant les mérites des fenêtres isolantes et isolées. Le Grenelle de l’environnement passera aussi par là. Un chapelier et casquettes tente d’appâter le chaland avec des lunettes de soleil. Manque de pot, ce dernier joue avec les nuages à l’instant même, et la fraîcheur retombe. Il est temps d’aller se restaurer. Un rapide tour d’horizon de la place offre le choix entre le café « du commerce », « de l’avenue », « de la cité » ou « de la paix ». Nous choisissons « la paix », comme un heureux présage. Il y a du sauté de veau en plat du jour, et des bouteilles sur la devanture.
La salle mâche dans un bruissement de paroles et de bouches pleines. Ça sent la frite jusque dans le cœur du veau. Des quarts de vin rouge de pays font des marques rondes sur les nappes en papier publicitaires. La tôlière, à trogne ad-hoc dans un gilet de laine grise nous accueille avec un sourire commercial. Sa jeune et diaphane employée de salle nous installe sur la table n°3, « à côté du monsieur, ça vous va ? » Le monsieur en question porte cravate et pull à col en ‘v’ bleu nuit. Il salut, poliment. Son portable vibre sur la table. Il porte un logo orange. Economique, le menu indique une entrée, plat et fromage ou dessert à dix euros cinquante. Va pour le menu économique, avec un énigmatique jambon « à la Ronsard ». S’il savait, le pauvre… Les crudités arrivent, et comme je le craignais, il y a du céleri rémoulade. Les souvenirs de cantoche remontent en un clin d’œil.
Dans un angle, près de la fenêtre, un homme entouré de cinq personnes. Age moyen, moyen âge. Il porte costume noir, chemise immaculée et cravate rose. J’ai l’impression de l’avoir déjà vu. Impossible, je ne suis jamais venu à Montoire-sur-le-Loir, ou alors de nuit, une fois, en traversant. J’y suis : je viens de voir sa trombine sur une affiche, devant sa permanence. Nous sommes en période électorale, les cantonales approchent. Il faut parfois ouvrir grand les yeux pour s’en apercevoir. J’entends des bribes de conversations. Un de ses sbires dit : « je ne veux pas te porter la scoumoune en disant ça hein ! » Le candidat à la cravate rose électorale répond d’un hochement de tête : « T’inquiète pas, je sais déjà… » Il semble résigné. C'est à se demander si Marine ne se présente pas ici aussi. Il évoque ensuite un différend entre voisins avec « des bambous à couper à ça de distance du mur. Le lendemain, ils commençaient déjà à repousser ! » Le jambon « à la Ronsard » arrive : une semelle archi-cuite et une noisette de beurre pour attendrir le tout. Les frites tiennent leur promesse : en les pressant, on pourrait éclairer la ville une soirée entière avec l’huile qui s’en dégage.
Comme il se fait tard, les tables se vident petit à petit, et le silence se fait. Un camelot, après moult manœuvres sur la place, entre et commande son déjeuner. Il retrouve une camelot(e) et discute le bout de gras. Le candidat aux cantonales lève le banc : la campagne continue, il faut organiser le collage d’affiches et préparer la réunion publique. Un couple de troisième (quatrième ?) âge entre et commande un café, et un grand crème (pour elle). « C’est à quelle heure le rendez-vous ? » demande l’homme. « A deux heures et demi, » répond la femme. Il reste donc au moins trois quart d’heure à attendre. Mais comme les déplacements se font lentement, ils partiront bien avant.
Moi aussi d’ailleurs, car mon heure approche également, et je ne voudrais pas manquer la visite du petit kiosque à musique qui trône sur la place. « Vous voulez une fiche pour les frais ? » demande la petite serveuse, mignonne comme une égérie de Ronsard. « Non, merci, » dis-je. J’en ai assez comme ça. Et tu viens sans le savoir de m’offrir un morceau de France d’ici baigné dans l’huile des frites de là-bas.
Dans dix jours, on votera aussi, à Montoire-sur-le-Loir.
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- mercredi jour de marché -
- sur le kiosque on joue Mozart -
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