Emergence de la verticalité
29 Août 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
- Naître -
Gavarnie. Gavarnie. Gavarnie. A l’évocation de ce nom notre cœur se serre, notre ventre se noue, nos guibolles se contractent imperceptiblement. Au fond de la prunelle de nos yeux et remontant de la mémoire reviennent des images, vives encore des souvenirs récents mais toujours trop éloignés dans le temps à notre goût. Et une légère douleur dans la nuque : Gavarnie s’admire le cou tordu pour apprécier les vastes murailles de son célèbre cirque.
Parlons-en de ce cirque : quel cirque ! Il est des Pyrénéistes pour dire – et peut-être ont-ils un peu raison – qu’il en existe d’autres, bien plus beaux, aussi majestueux et plus secrets. Le cirque de Lescun, en Aspe. Et Troumouse, voisin de Gavarnie. Ce dernier est si vaste qu’une rumeur dit qu’un million de personnes pourrait y tenir. Pourvu que jamais l’expérience ne soit tentée !
Mais… Gavarnie. Ici serait né le Pyrénéisme, comme d’autres situent à Chamonix la naissance de l’Alpinisme. Au XIXe siècle, l’aventure commence réellement. Les grands noms des premiers fous de ces montagnes, Ramond de Carbonière, puis les fameux guides Henri et Célestin Passet, François Bernat-Salles, Pierre Pujo, Pierre Brioul, Mathieu Haurine conduisaient vers les sommets des clients non moins fameux comme le comte Russel, Charles Pack, Swan. Plus tard, Louis Robach, qui semblait avoir voué sa vie au Mont Perdu (3365 m), qu’il ascensionna septante-dix fois. Franz Schrader se guidait seul. Il établira une carte (la première) du panorama des Pyrénées et notamment le Cirque de Gavarnie, depuis le formidable belvédère offert par le Piméné, sorte de balcon suffisamment en retrait pour avoir une vue d’ensemble sur le massif Mont-Perdu – Ordessa – Gavarnie. Par beau temps, la vue embrasse le panorama depuis la grande muraille de Baroude (ou Barossa) à l’est, jusqu’au Vignemale à l’ouest. Ici, les dieux ont leur siège numéroté et placé.
- depuis le Piméné -
Gavarnie a donné lieu à une littérature abondante, des essais romantiques les plus lyriques (dont Victor Hugo qui en écrivit les plus belles pages) aux sommes scientifiques les plus poussées. Mais je ne crois pas cependant qu’on ait tout dit ni tout écrit sur ce bout du monde au fin fond de la France et de l’Espagne. Si le regard bute sur le mur que représente cette formation géologique glaciaire, il n’en demeure pas moins obnubilé par une chaude question : comment franchir ? Gavarnie ne serait rien sans le coup du sort qui fait sa célébrité autant que son cirque : il existe un passage naturel, un trou dans le mur. La Brèche de Roland. Cette entaille, d’une centaine de mètres de large pour moins de 150 mètres de haut, attire à elle seule des milliers de gens. Pas tous très montagnards d’ailleurs (la proximité du col des Tentes le rendant finalement assez accessible en saison estivale). Mais qu’importe, finalement. Si, pour les amoureux des Pyrénées, et les montagnards au sens large, c’est toujours une émotion particulière de passer par cette brèche, il est sans doute un peu heureux que pour beaucoup de vulgum pecus, cette expérience soit la plus engagée qu’ils feront dans leur vie de marcheurs. Après tout, quand on se trouve entre ces deux pans de roche, sur la brèche (l’expression est alors à prendre au sens propre), on est quand même à plus de 2800 mètres, certes en étant la plupart du temps partis de 2208 mètres (col des Tentes), mais quand même... Certains préfèrent partir du village même de Gavarnie 1500 mètres plus bas. Ceux-là connaissent l’incomparable prix des fameuses « Echelles de Sarradets » ou du vallon de Pouey-Aspé…
- Etre sur la brèche -
Une de nos premières visites de ce lieu venté et souvent froid même en plein été fut le 11 août 1999. Le hasard a voulu ce jour-là qu’il y fasse presque nuit… C’était le fameux jour de l’éclipse totale du soleil. Nous perdîmes environ 7° en moins d’un quart d’heure, et comme la température n’était déjà pas très estivale, on vit les badauds – dont nous étions – enfiler rapidement des effets chauds. Un môme malchanceux se prit sur le crâne un caillou tombé du sommet de la brèche, occasionnant un stationnaire d’hélicoptère de la gendarmerie au dessus de la brèche pour l’évacuer. Gavarnie, sa brèche, ses touristes, son cinéma permanent.
Sauf à dormir dans l’abri sous roche creusé à main d’homme en 1883 (d’après H. Russel dans ses Souvenirs d’un montagnard)*, il est difficile d’y être seul. Le courant d’air permanent n’incite pas trop non plus à y faire bronzette. Pourtant c’est un endroit que nous affectionnons particulièrement, et qu’il nous fut heureux de revoir cette année, après seulement (si j’ose dire !) trois ans d’absence. Que c’est long, trois ans… Cette brèche est la promesse de courses fascinantes, une fois passé ce trou béant dans la muraille s’offre la possibilité de côtoyer les géants à 3000 et plus. Taillon, Casques, Tour, Pics de la Cascades, Marboré, Cylindre, Mont Perdu, Astazou… Le tout sur une quinzaine de kilomètres de long, environ 25.000 hectares de montagne pure.
- Dans les nuages, le Mont Perdu (qui porte si bien son nom) -
Laissons les mots. Place aux images. Elles restent pour toujours présentes à notre esprit, quand hélas nous sommes redescendus dans la plaine. Et, lorsque la main serre un de ces cailloux rapporté des cimes, c’est toute une histoire qui se diffuse en nous. Et une promesse : revenir.
* projet pour 2014, nous en reparlerons donc…
- Banane casquée -
- Stygmates -
- Au loin, la Tour -
- Stygmates (2) -
- Vivre -
(c) F. Sabourin. Gavarnie, août 2013. Nikon D300 et objectif 10-24 mm.
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