D'autres boulangeries-pâtisseries sont possibles...
17 Décembre 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Presse book
(Parfois on me demande "Pourquoi es-tu journaliste ?" Pour ce genre de rencontre/portrait/reportage-là...)
Grégory Guyon, pâtissier-boulanger, est installé depuis mai 2012 rue des Trois Marchands (Blois) à la place de Feuillette. Pas toujours facile de succéder à un mastodonte de la boulangerie.
Sauvé par le sucre ! Grégory Guyon, formé chez les meilleurs pâtissiers orléanais, l'avoue lui-même : "Sans ce concours, c’était le redressement. On fermait" Lauréat en 2013 du concours Talents gourmands organisé par le magazine Le Bottin gourmand, Grégory Guyon, 29 ans, a vu sa notoriété exploser, et son chiffre d’affaires se redresser. Premier prix du concours, presse et radio locale, et, cerise sur ses gâteaux, TF1 le journal de Jean-Pierre Pernaut. " Le jour où ils sont venus, un samedi, on a fait cinq heures de tournage, pour deux minutes et demie de diffusion. J’ai augmenté mes ventes dès le passage au JT. Les gens venaient en disant : on vous a vu sur TF1 ! " Après ce bond lié à la diffusion du reportage chez Pernaut, la cadence est revenue plus régulière. Si son chiffre d’affaires en boulangerie n’était pas folichon, celui de la pâtisserie a doublé. " Une libération ", répète-t-il.
Pain chaud
Mais avant d’en arriver là, Grégory et Héloïse Guyon ont passé de mauvaises nuits dans le pétrin. C’est en mai 2012 qu’ils reprennent cette boulangerie appartenant à l’origine au couple Pain (ça ne s’invente pas) puis au fameux Jean-François Feuillette, qui ouvrit sa première boulangerie en 2005 rue des Trois Marchands, Le Théâtre du pain. La succession va s’avérer difficile, malgré la présence de Mickaël, l'ex boulanger de Feuillette, qui préféra alors rester sur place que de suivre son patron à Vendôme, où il ouvrait un nouveau magasin. À Blois comme ailleurs, quand un commerce change de propriétaire tout en gardant le même produit, c’est plus fort que tout : le consommateur compare. Mais pire encore : il devient de plus en plus exigeant. " Ce que les gens veulent, explique Grégory Guyon, c’est du pain chaud l’après-midi, et même toute la journée. " Difficile, pour ce jeune couple originaire d’Orléans, dont c'est la première affaire, de faire face. Un four à gaz est coûteux. Pas de pains chauds l’après-midi. La clientèle s'en va, vers d’autres boulangeries – dont Feuillette pourtant installé en périphérie de la ville. Sans imaginer que certains boulangers, pour avoir les fameux pains chauds jusqu'en soirée, réchauffent dans un four spécial les pains fabriqués… le matin.
Gâteau en apesanteur
Mais le talent fini toujours par payer. Au bord du gouffre, Grégory Guyon tente le tout pour le tout. Habitué des podiums de concours de pâtisserie – il travailla chez les meilleurs pâtissiers d’Orléans, et au restaurant de la Ferté-Saint-Aubin la Ferme de La Lande – il n’a cependant jamais atteint la première place. Il connaît, pourtant, le concours organisé chaque année par Le Bottin gourmand : Les Talents gourmands. Mais la constitution du dossier le freine. " Je n’avais pas le temps. Ce sont eux qui m’ont appelés. Ils m’ont dit : vous avez trente minutes ? Et ils ont rempli le dossier eux-mêmes en me posant les questions. " Voilà Grégory Guyon à Chartres au Grand Monarque, en présence du parrain Alain Souchon, et de quatre autres candidats. Il doit passer en dernier. Tout est prêt depuis la veille, mais il choisit de garder les deux heures dont il dispose pour fabriquer ce qui va devenir sa botte secrète : des pièces en sucre, sur lesquelles il posera son Cœur des bois, recette originale à base de produits locaux : croustillant de noisette et céréales ; marmelade de fraises des bois déglacées au vinaigre d’Orléans ; crémeux au miel ; mousse à la noisette. Miracle : le gâteau semble tenir en apesanteur à quinze centimètres de l’assiette. Souchon est séduit. Le jury est emballé. Il gagne le premier prix. La suite, vous la connaissez.
Un métier difficile
" J’ai mis mon expérience dans ce gâteau ", explique, modestement, le pâtissier d’à peine 30 ans, dont la vocation remonte à l’enfance. " Ma mère était aide familiale. Elle confectionnait beaucoup de pâtisseries avec les enfants, pour leur apprendre à manipuler des choses fines. J’ai aimé ça. " La pâtisserie vous semble complexe ? " C’est de la chimie ! Tout est pesé, la qualité de la farine est moins importante que pour le pain. En boulangerie, la fabrication du pain est beaucoup plus complexe : tout va dépendre de l’hydrométrie, de la température journalière, combien de temps et avec quelle force vous avez pétri etc. Il faut vivre le produit. " Manière de dire qu’un boulanger, quoi qu’on en dise, ne fait jamais deux jours de suite les mêmes baguettes, quand le consommateur – de plus en plus exigeant donc – souhaite lui un produit uniforme et constant, jour après jour.
Pour autant, le métier reste difficile : le régime des indépendants est intraitable, les lourdeurs administratives pesantes, difficile de se dégager un salaire mensuel, horaires très élastiques (il commence à 5 heures du matin, jusqu’à 18 heures et souvent plus), le quartier un peu excentré et peu fourni en places de stationnement. La litanie est celle entendue par ailleurs chez les artisans et commerçants. " Qu’on nous laisse bosser normalement avant de nous assommer avec des normes et des tracas administratifs ", souffle-t-il. Refrain connu. Demeurent la foi chevillée au corps, et l’envie d’en découdre, quitte un jour à s’expatrier – il y songe, parfois.
Ce serait dommage : face aux boulangers-pâtissiers de moins en moins artisans et de plus en plus industriels, Grégory Guyon fait figure d’orfèvre. Et ça, ça vaut de l’or.
F.S
article paru dans La Renaissance du Loir-et-Cher le 19/12/2014
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