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Le jour. D'après fred sabourin

RH = Ressources Humaines

6 Octobre 2007 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma

                                              « La Question humaine »


La Question humaine - Delphine Chuillot et Mathieu Amalric

       A la sortie du film de Nicolas Klotz, La Question humaine, le spectateur est partagé entre plusieurs sentiments. Le premier, immédiat, est celui d’être lessivé par la projection d’un film expérimental, au sujet fort : l’utilisation de l’humain en entreprise, dans un contexte d’ultralibéralisme, serait une image actuelle de la machine infernale qui a conduit les nazis à la solution finale pendant la seconde guerre mondiale. Des exécutants, répondants aux ordres d’autres exécutants, ôtant du même coup toute responsabilité directe dans le déroulement des évènements. Mickael Lonsdale et Mathieu Amalric, par le magnétisme de leurs personnages et d’abord de leur physique, incarnent à la perfection ce trouble, sombrant dans une folie qui n’est pas sans rappeler celle de Martin Shean dans Apocalypse Now, où il devait enquêter et retrouver le Colonel Kurtz (inoubliable Marlon Brando), sombré dans la folie de l’isolement du chef omniscient. Le tout au service d’une hiérarchie qui n’était pas elle non plus au dessus de tout soupçon…
Cette thèse, cette analogie entre méthode d’endoctrinement nazie et les dommages de l’ultralibéralisme sur les hommes dans le fonctionnement actuel de certaines entreprises multinationales, a ses adeptes, et ses détracteurs. Nous ne rentrerons pas dans les débats qui exigent des compétences de spécialistes en psychologie, sociologie et économie du travail.


L’histoire de La Question humaine se résume ainsi : Simon (Mathieu Amalric) est psychologue dans une filiale française d’un groupe pétrochimique allemand. Efficace, bien installé, il s’est montré particulièrement brillant lors d’une vaste opération de licenciements. Un des dirigeants de l’entreprise, Karl Rose (Jean-Pierre Kalfon), demande à Simon d’enquêter sur son supérieur hiérarchique, le PDG Mathias Jüst (Mickael Lonsdale), qu’il suspecte de folie. Pour entrer en contact avec lui, Simon prétexte la formation d’un quatuor au sein de l’entreprise, dont Karl Rose faisait partie autrefois. Mais ce dernier semble troublé par la réapparition subite de cet épisode. Pire : il semble hanté par quelque chose de bien plus profond et plus grave. L’enquête fait vaciller peu à peu l’équilibre de Simon. Il rencontre un ancien du quatuor, victime du plan social orchestré par Simon. Il lui raconte comment il a vu, pendant la guerre, son père gendarme, participer à une rafle dans des camions à gaz. C’était un simple employé. Comme Simon.


La Question humaine - Mathieu Amalric

     Le deuxième sentiment que procure ce film, après la surprise et la fascination du début, c’est celui d’un malaise. L’impression tenace que Nicolas Klotz exagère, que le parallèle entre l’ultralibéralisme au service des entreprises (et les dommages qui vont avec) et les méthodes de la solution finale va trop loin. Et pourtant… Dans leur tentative respective d’ôter le langage humain dans l’entreprise, on finit par ôter l’humain tout court. Il n’est pas rare, pour ne pas dire fréquent, de voir des cadres vivant du profit vouloir s’acheter une morale.
Difficile de ne pas faire de parallèles avec la période actuelle : il suffit d’ouvrir sa fenêtre, pour y voir entrer toutes les tentatives de déshumanisation en marche, au nom de cette même humanisation ! Cadeaux fiscaux pour les plus aisés, franchise médicale pour les plus pauvres, test ADN pour trier le genre humain, fermeture de tribunaux de proximité, éloignant la justice des zones périurbaines et rurales. Mensonges d’Etat, délits d’initiés, plans sociaux, assouplissements des conditions de licenciement et promesses de polichinelle…
Dès le début du film de Nicolas Koltz et Elisabeth Perceval (adapté du roman de François Emmanuel), Simon pose le problème, sur fond de scène qui à elle seule dit tout du système : de jeunes cadres filmés de dos, costumes sombres, en train de se soulager aux pissotières. Ils sont jeunes, beaux, branchés, sûrs d’eux-mêmes, ambitieux et prêt à beaucoup sacrifier pour oublier le gouffre face auquel ils se situent. « L’entreprise ne doit pas rester une valeur abstraite. Mon objectif est très simple : pousser nos cadres à dépasser leurs limites personnelles et utiliser cette motivation au cœur du système de production. Il faut que nos cadres redeviennent compétitifs ».


Sélection, unités, rendements, pièces : cette phraséologie managériale s’applique aux systèmes qui se défendent souvent d’être totalitaires, mais finissent, insidieusement, par le devenir. Le film pose la question de cette place de l’humain et, si l’on veut bien, nous implique également : où en suis-je, sur l’échelle des salauds qui collaborent avec un système pernicieux ? Parce que travailler en entreprise implique, malgré nous, une bonne part de nous même. Et la transforme.
A force de trop fermer les yeux, dans un repli peureux pétri d’individualisme et d’esprit corporatiste bien de chez nous, la Question Humaine finit par ne plus trouver de réponses, alors qu’elle n’a jamais autant été au cœur des préoccupations, dans des départements spécialisés au sein des entreprises et multinationales.
Nicolas Koltz explore, après le monde des sans domicile fixe (Paria) et celui des sans papiers (La Blessure), le monde de l’entreprise. Elle qui a tant de mal à se raconter. Sans être le film idéal, il est grand temps de voir ce qui s’y passe.

La Question humaine - Mathieu Amalric

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