100 ans et toutes ses dents : le scoutisme
promettre : « Sur mon honneur, et avec la grâce du Seigneur, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Eglise et ma patrie, à aider les Hommes mes frères en toutes circonstances, à vivre la loi scoute ».
le pari spirituel :
« Seigneur Jésus, apprenez-nous, à être généreux, à vous servir comme vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser, sans attendre, d’autre récompense, que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté » (Ignace de Loyola) chanter :
« Devant tous je m’engage, sur mon honneur, et je te fais hommage, de moi, Seigneur. Je veux t’aimer sans cesse, de plus en plus. Protège ma promesse, Seigneur Jésus ».
faire mémoire : C'était un matin d'août 1987, le 15 exactement. La date est notée derrière une photo qui n’est jamais très loin de moi. A cette époque, la promesse n'était pas prononcée tout de suite en arrivant à la Troupe. Il y avait une sorte de rite initiatique qui pouvait durer un an, voire deux ! Il y avait même une « épreuve promesse », au cours de laquelle le scout offrait ses services à un agriculteur, un maçon, ou n’importe qui dans le village. Cela faisait deux ans que j’attendais ce moment. Deux ans à regarder les anciens faire leur numéro d'anciens, deux ans à essayer de m'arracher au dur statut de "cul de pat' ", autrement dit le dernier de la patrouille... Ou l'avant dernier, ce qui revient presque au même.
Ce matin là, près d'un village qui s'appelle "Aucun", dans les Hautes Pyrénées, près d'Argelès-Gazost, j'ai prononcé les mots qui sont restés gravés dans ma mémoire : "sur mon honneur, et avec la grâce du Seigneur, je m'engage à servir de mon mieux Dieu, l'Eglise et ma Patrie, à aider les hommes mes frères en toutes circonstances, à vivre la loi scoute". Un texte qui a lui aussi un peu changé, mais à ce moment là, c'était un évènement. Je me souviens de la phrase du chef, Bruno P. (alias « fennec »), qui ajoutait (ce n'était pas dans le cérémonial) en nous regardant droit dans les yeux: "X, prends tes responsabilités" ; à 14 ans c'est insoutenable ! A cet instant quelque chose dont nous ignorions tout nous saisissait la colonne vertébrale. Le trac sans doute, et surtout l'impression que nous allions dire quelque chose de grand et de beau. Quelque chose qui nous engageait. Le sentiment que plus rien ne serait jamais comme avant.
Alors nous prononcions les mots que tant d'autres avant nous avaient prononcés : nos pères, nos profs, nos anciens, notre "chef", notre "CP", notre copain scout vieux d'un an de plus, qui nous regardait fièrement et un peu ému, mais bien sûr ne le montrant pas...
Et puis on chantait "protège ma promesse, Seigneur Jésus". On faisait alors partie de la famille…
Les jeunes qui étaient là ce 15 août 1987 sont encore des amis, fidèles, et nous nous retrouvons souvent. Beaucoup sont mariés, d'autres encore célibataires. Et si nous ne nous racontons plus nos "guerres" des glorieux camps scouts comme nous le faisions autrefois (ce qui avait le pouvoir d'agacer nos copines et les garçons qui n'en étaient pas !), il peut encore nous arriver, lors d'un we entre amis près d'une cheminée, entre deux cognac, d'évoquer le souvenir de tel ou tel camp, tel ou tel scout ou chef que nous n'avons pas revu depuis longtemps, mais dont quelqu'un a toujours des nouvelles... Lors d'un récent "enterrement de vie de garçon", nous avons même reconstitué pour le futur marié un we scout, avec sa chemise de l'époque, feu de camp, guitare et tout et tout. Il y avait juste un supplément vin rouge… Je peux dire avec certitude qu’on lui a fait un beau cadeau. C’est ainsi que naissent les grandes légendes. Je me souviens enfin, quelques années après ce 15 août 1987, avoir assisté et reçu les promesses de quelques pionniers dont j'avais, avec d'autres, la charge. Les mots avaient changés, les jeunes aussi, mais le cérémonial était le même : un uniforme impeccable (autant que peuvent l'être une chemise et un foulard après 15 jours de camps sous la canicule ou les orages...), du feu dont la fumée va toujours vers celui qui doit parler (pour l'odeur si bonne de hareng fumé lorsqu'on revient chez soi), des torches s'il fait nuit (avec la paraffine chaude qui coule sur les mains), une guitare hésitante sur les trois ou quatre accords du chant de la promesse, des papiers froissés et nerveusement lus (les "motivations" pour faire sa promesse...), et puis ce bras tremblant dont la main vient saisir l'étendard à fleur de lys de la troupe, vert, blanc et rouge, pour dire à son tour les mots qui font entrer dans la fidélité d'amitiés nées dans l'effort et le dépassement de soi.
Ce jour là, je peux le dire sincèrement, a pour toujours changé ma vie. Ce jour a fait de moi un homme en mouvement, toujours prêt à se remettre en question, un homme dont le sac à dos est toujours prêt à partir, le couteau et la ficelle prêts à servir. Le scoutisme est une chance, une vraie, et malgré ses 100 ans, il reste d'une étonnante jeunesse. Sans nostalgie ni regrets d'un bon vieux temps qui n'existe plus. Il reste d'une étonnante jeunesse parce qu'il saisit encore aujourd'hui d'autres jeunes qui se mettent en mouvement aussi, et font l'apprentissage de la fidélité, du dépassement de soi, des compétences acquises et reconnues.
Parce que, dans un camp scout, aujourd'hui encore, la fumée du feu de camp va toujours vers celui qui veut prendre la parole... Elle fait plisser les yeux, mais n’empêche pas de parler. Bon vent au scoutisme, il peut encore compter sur moi comme je compte sur lui ! « nous avons vécu, aux heures de miracle, une certaine qualité des relations humaines : là est pour nous la vérité ». Antoine de St Exupéry, Terre des hommes
ps : vous pouvez, si le coeur vous en dit, laisser un souvenir scout (ou guide) dans les "commentaires"...