à eux de nous faire préférer le train-train quotidien
13 Avril 2007 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #cadrage débordement
lettre à Jean-Louis Borloo et Anne-Marie Idrac
Soit un demandeur d’emploi habitant Rouen convoqué à un entretien d’embauche à Poitiers. Pour s’y rendre, il choisit de « préférer le train », selon l’élégante formule de la SNCF. Il se rend donc d’abord à l’ANPE où il est inscrit, pour une prise en charge partielle ou complète de son billet de train (142 € aller – retour Rouen Poitiers, NDLR). Là, les ennuis commencent.
Il est muni du précieux sésame, la « convocation pour l’entretien », délivrée par le potentiel futur employeur, 24 heures plus tôt. Mais ce dernier a oublié, péché mortel, de préciser la durée possible du futur contrat de travail (pour l’ANPE de la place Cauchoise : minimum de deux mois en CDD. Autant dire qu’on « encourage » les chômeurs à se déplacer pour chercher du travail). Devant le refus obstiné de l’agent d’accueil d’entendre quoique ce soit, par exemple, un peu d’indulgence vu le peu de délais restant, le demandeur d’emploi pose la question cruciale : « vous êtes là pour m’aider ou m’enfoncer ? Vous savez que je ne vais pas à Poitiers lundi pour jouer à la belote dans un bistro, j’y vais parce que je suis convoqué pour un entretien d’embauche ». Réponse de la jolie dame aux yeux noisettes : « sans la mention sur votre convocation d’un CDD minimum de deux mois, je ne peux rien faire ».
Constat d’impuissance. Les bras lui en tombe, et c’est heureux. Ils auraient pu servir à autre chose.
Après avoir appelé l’entreprise qui le convoque (au passage, son interlocutrice habituelle ne sera pas là « avant lundi, pour cause de RTT », pardon pour ce détail), il reçoit quand même par fax en urgence la précieuse convocation dûment à jour. C’est bon, se dit-il, je vais l’avoir mon billet pour Poitiers.
Ne jamais se réjouir trop vite lorsqu’on a affaire à des services publics en France. Voilà que la gentille dame qui délivre le bon de transport précise : « faites attention, il y a des quottas par train, et en fonction des périodes du calendrier ». Mais devant sa bonhomie et la confiance qui règne désormais dans le bureau, on se dit que non, ça n’arrivera pas.
Dix minutes plus tard, au guichet SNCF : tous les quottas ANPE sont atteint… Plus de places pour les exonérés de la boîte à Borloo. Question du demandeur d’emploi : « et comment je fais, alors ? Je ne me rends pas à l’entretien ? ». Réponse : « si, mais vous devrez payer plein tarif, monsieur ». Sans rire elle dit ça, la guichetière. Je demande à un chef qui se tient derrière elle (il porte une cravate et une chemisette blanche, c’est donc un plus chef qu’elle) : « qui détermine ces fameux quottas ? La direction commerciale », me répond-il. « Les quottas pour les chômeurs sont branchés sur les quottas des cartes commerciales » (ex : cartes Escapades, Grands Voyageurs, 12-25 ans etc). Question du demandeur d’emploi (fatigué d’avoir à négocier pour rien, si ça se trouve) : « alors, la SNCF préfère abaisser les quottas des chômeurs, qui ne lui rapportent presque rien, plutôt que les cartes commerciales, qui lui rapportent beaucoup ? Pas mal, pour une entreprise nationale de service public ». Réponse du chef (imparable) : « oui, mais la SNCF a aussi des prétentions commerciales. D’ailleurs c’est l’ANPE qui nous rembourse ». Mais oui bien sûr, où avais-je la tête ! L’Etat non commercial paie pour l’Etat commercial.
C’est l’estocade. Derrière lui, il entend la foule crier : « olé ! ». César baisse le pouce. Le gladiateur va mourir. Rideau.
Le demandeur d’emploi repart quand même avec un aller – retour bricolé à l’ancienne, avec une moitié de réservation pour un TGV, pour laquelle il a doit… payer (8,40 €). Et la certitude de devoir s’abaisser devant un contrôleur qui ne manquera pas de vouloir lui faire payer son absence de réservation dans les autres trains. En lui proposant une amende, par exemple.
Moralité : quand tu es au chômage et que tu cherches un job, il vaut mieux être très courageux et tenace, ne rien lâcher et si possible ne pas trop bouger. On ne sait jamais, on pourrait dépasser les quottas. On comprend aussi pourquoi certaines personnes se démobilisent, et préfèrent les combines au black près de chez soi qu’un vrai travail plus loin.
Mais, à n’en pas douter, quel que soit l’heureux gagnant de ces jours prochains, le 7 mai, tout ira mieux.
C’est sûr. Promis juré. C’est une question pour un CDD de cinq ans, avec les quottas commerciaux à la clé.
PS : nous passerons sur le fameux « bon de transport » ANPE, dont la politique de mise en œuvre dépend des régions, appelées « bassins d’emplois ». Certaines régions demandent un justificatif d’entretien après coup, d’autres préfèrent anticiper. Pourtant il s’agit bien de l’agence « nationale » pour l’emploi. La décentralisation a parfois des effets pervers. Il faudra en avertir Monsieur Raffarin.
Promis, la prochaine fois on revient sur ce blog avec un peu de poésie. Gratuite.
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 130 l'évènement
- 101 émerveillement
- 87 montagne
- 81 chronique cinéma
- 78 voyage - voyage...
- 62 édito
- 53 littérature
- 53 quelle époque !
- 45 Presse book
- 42 étonnement
- 39 rural road trip
- 32 Lettres à ...
- 32 concept
- 28 regarde-la ma ville
- 22 poésie
- 19 drôle de guerre
- 17 cadrage débordement
- 8 coup de gueule
- 4 religion
- 1 patrimoine