"ero dietro di te"
19 Mars 2007 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #étonnement
J’étais derrière toi
« C’est dans la trentaine que la vie m’a sauté à la figure. J’ai alors cessé de me prendre pour le roi du monde et je suis devenu un adulte comme les autres, qui fait ce qu’il peut avec ce qu’il est. J’ai attendu la trentaine pour ne plus avoir à me demander à quoi cela pouvait bien ressembler, la souffrance et le souci, la trentaine pour me mettre, comme tout le monde, à la recherche du bonheur. Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’ai pas connu la guerre, ni la perte d’un proche, ni de maladie grave, rien. Rien qu’une banale histoire de séparation et de rencontre ».
« Et puis, je ne veux pas me la jouer j’y suis pour rien, mais, à chaque fois, ce sont les femmes qui sont venues me chercher. Moi, je te jure, je n’ai jamais dragué personne. Le coup de foudre, ce truc dont on te dit qu’il te scotche sans laisser aucune place à la distance, je crois que je ne sais pas ce que c’est, au fond. Je connais l’état d’attente amoureuse, de manque, je connais l’euphorie amoureuse, je connais la souffrance due à l’absence, je connais tous ces symptômes-là, mais le coup de foudre, peut-être pas. Je sais, par contre, l’avoir éveillé chez pas mal de femmes. C’est peut-être cela, d’ailleurs, qui m’a toujours mis dans une subtile position de force dans le couple : le fait que, dès le début, je n’ai jamais redouté d’être quitté, allant parfois même jusqu’à le souhaiter secrètement pour pouvoir respirer. Je suis un homme libre contrarié, je le répète. Mais pas un salaud. A chaque fois, à chaque femme, je te jure, je me suis toujours montré très poli, très amoureux, et elles n’y ont vu que du feu. D’ailleurs, celles qui ont eu le cran de venir me chercher, elles se comptent sur les doigts d’une main. Et à chacune, j’ai répondu oui à chaque fois, tellement je lui étais reconnaissant d’avoir fait le premier pas. A chacune j’ai dit : « tu es la femme de ma vie. » Et, je le répète, à chaque fois, ce ne sont pas que des mots, c’est pour la vie que je m’engage, à chaque fois je mets le paquet. Je préfère me forcer un peu, mentir, me faire passer pour un être exceptionnellement épris et disponible au risque d’y engager ma vie, sans chercher à tout prix à me protéger, plutôt que de ne laisser dès le départ aucune place à l’illusion, plutôt que de rester sur mes gardes et de ne provoquer aucune passion. Je ne suis pas fait pour l’amour raisonnable, je ne supporte pas la tiédeur, la médiocrité et la prudence. Ou, soyons, franc, je ne supporte pas de ne pas susciter la passion, question d’ego. Je suis fait pour des relations de totale intimité avec les femmes, d’exclusivité mutuelle, sans quant-à-soi. Et, pour cela, il y a un prix à payer. C’est comme ça : à chaque fois, je repars comme en quarante et j’assume, il n’y a rien à faire. Est-ce si mal que ça ? Est-ce qu’on peut appeler ça aussi de l’amour ?
Et puis non, je suis désolé, à ma façon, je sais aimer, j’aime les femmes. Et, d’un point de vue plus général, j’aime les gens, je te jure. Je ne donnerais pas ma chemise, c’est vrai, je n’accueillerais certainement pas toute la misère du monde dans ma maison, c’est sûr. Mais j’aime faire plaisir, j’aime que les autres soient contents, je n’aime pas décevoir. Je suis disponible, patient, calme, généreux et de bonne humeur, ce sont mes qualités. Je sais mettre mes préférences de côté pour faire passer d’abord celles des autres, je t’assure, j’ai cette capacité-là. Je ne suis pas mesquin, je n’ai jamais emmerdé personne. Seul un être exceptionnellement narcissique peut avoir ces qualités-là, je suis d’accord. Je reste peut-être superficiel dans mes rapports avec les autres, d’accord. Mais je les respecte et je ne leur fais, somme toute, que du bien. L’histoire de personne ne m’est indifférente, même celle des cons et des chiants objectifs. J’ai lu quelque part ces mots à propos de je ne sais plus qui : Indifférent mais fasciné. Voilà, c’est exactement ça : sans illusions sur les choses et les gens, mais fasciné comme un môme par leur existence, ce sont les mots, c’est comme ça que je suis. Je ne donne peut-être pas grand-chose de moi-même, c’est vrai, je me cache, c’est vrai, j’avance masqué, c’est vrai. Mais je ne fais de mal à personne. C’est de l’égoïsme, ça ? Peut-on vraiment, par égoïsme ou narcissisme, donner autant que j’ai pu donner à Alexandrine, que j’ai, disons-le, oui, disons-le, je le dis, que j’ai aimée ? Je suis humain, bordel, et je fais juste ce que je peux avec ce que je suis ! J’ai mon cœur, moi aussi, merde ! ».
Nicolas Fargues, J’étais derrière toi, pages 119-122. (ed POL). Merci à ce trentenaire à l'écriture si alerte et révélatrice d'une génération qui ne m'est pas inconnue... Nicolas Fargues, je t'envie et te déteste, ton style est sous ma plume, et ne sort pas toujours comme on voudrait. Question de temps, promis, avant la crise des "quadra"... Merci aussi à ses Paloises anonymes qui n'ont jamais su qu'elles étaient dans la ligne de mire d'un déjeuner d'été près du Parlement de Navarre. C'est ainsi que vous êtes belles...
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