"j'ai pas sommeil"
8 Octobre 2006 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #étonnement
Dormir dehors
Des centaines de corps sont allongés dans la nuit de Bombay, le long de la mer, à la limite entre la vieille ville et la banlieue. Entre Mahim et Bandra. Dans le taxi qui me ramène au nord, à Andheri, il est tard, 1 heure du matin, et malgré la fatigue je reste éveillé, frappé par ce que je vois. Ce n’est pas la première fois que je vis cela : depuis le début de mon séjour ici, c’est ce qui étonne le plus. Partout, n’importe où, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, dans n’importe quelle position, des gens dorment. Souvent des hommes. Quelques fois des enfants. Plus rarement des femmes. Sur des quais de gare ; sur des charrettes vidées de leurs cargaisons ; dans les auto rickshaw ; sur le chargement des camions roulants pleine vitesse ; sur le terre-plein central d’une route, au raz des pots d’échappements ; au pied d’un arbre ; sur le coffre d’une voiture ; dans les escaliers ; sur les trottoirs…
Ils s’écroulent de fatigue là où ils se trouvent, semblant insensibles au bruit et à l’agitation frénétique du dehors. Partout où me mèneront mes pas durant ce mois indien, partout je verrai la même chose, et j’hésite souvent à prendre des photos : j’ai l’impression de violer leur intimité qui pourtant n’existe pas puisqu’ils dorment à la vue de tout le monde… J'hésite, et souvent me ravise. Plus envie de rien. Peur du regard des autres.
Dans le taxi qui me ramène du quartier de Chruchgate cette nuit là, je regarde ces corps allongés à même le sol, sur des paillasses grossières, enroulés dans quelques pièces de tissus que les européens appelleraient « paréo ». Mais le mot même ne satisfait pas, par son côté plage et tourisme. Peut-on parler d’un drap ? Non plus, il exprimerait ce sur quoi il est censé reposer : un lit, hors il n’y en a pas. Je me dis qu’un linceul pourrait être le terme le plus approprié, car on ne sait jamais si la vie ou la mort habite ceux qui dorment sous les lampadaires. Rien ne bouge. Sauf le taxi, dont le chauffeur a allumé l’auto radio. Comme par hasard, Aretha Franklin chante un de ses plus célèbres tubes : R.E.S.P.E.C.T
L’association de ce que je vois au dehors et ce que j’entends au dedans finit de m’achever.
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