Résistance ou soumission ?
17 Septembre 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #chronique cinéma
« Dans la vie, il y a deux types d’hommes : ceux qui se couchent, et ceux qui résistent ». Empruntée à Péguy, cette citation illustrerait à elle seule le nouveau film de Robert Guédiguian, L’Armée du crime, sur les écrans depuis le 16 septembre. Ce ne serait pas le plus faible des compliments pour ce film qui, s’emparant de l’histoire méconnue et pourtant héroïque des partisans de 1943-1944, tente avec succès de décrire les « tempêtes sous un crâne » qui ont pu agiter les cerveaux du réseau Manouchian dans une lutte armée à mort, pour la liberté et la vie.
Balayons d’emblée la question très contemporaine donc anachronique et irrésolue du « qu’aurions-nous fait à leur place ? » pour se consacrer à l’essentiel. Avaient-ils choisi le bon combat ? Comment ces immigrés, réfugiés, juifs polonais, républicains espagnols en exil, hongrois et arméniens, pacifistes, se sont-ils retrouvés les armes à la main pour des actions coups de poing qui semèrent la panique et la fureur dans les rangs de l’Allemagne nazie ? Comment ces hommes et femmes, dont certains caressaient la vie à pleine main (ils avaient presque vingt ans, Aragon dira d’eux qu’ils « donnaient leur cœur avant le temps »), aux préoccupations si éloignées du terrorisme et du crime, ont-ils pu se retrouver justement à tuer… pour la liberté ?
C’est le paradoxe que cherche à montrer Guédiguian dans L’Armée du crime. A plusieurs reprises il place ses héros malgré eux en situation de commettre l’imparable, et ils le commettent ! Froidement, sûrs d’eux, sûrs aussi qu’en cas de captivité, ils seraient torturés à mort par ceux qui voulaient leur tête mais pas avant d’avoir parlé. Mais il montre dans le même temps – dans la beauté du film - les tergiversations du chef de réseau, le fameux Missak Manouchian, qui prend immédiatement conscience du choix éthique à résoudre rapidement. C’est sans doute au fond de la personnalité de ce poète réfugié arménien, qui a déjà vécu l’extermination de sa propre famille lors du génocide, au fond du cœur de cet homme amoureux fou de la vie et de sa femme, des images et des mots, que la réponse se love. De la difficulté à vivre sous le joug oppressant d’un ennemi déterminé, le poète donne un titre à ce mal de vivre général et à la privation de la liberté : il lutte, et avec lui luttent vingt deux hommes et une femme pour la vie. Au prix de cette dernière même, à l’issue d’une arrestation, de tortures et d’un procès que les chefs allemands voulaient « exemplaire » contre ces « terroristes ».
Terroristes qu’ils n’étaient pas, puisque ne prenant aucun goût à leurs sales besognes qu’ils accomplissaient par devoir, sans se poser la question de l’héroïsation éventuelle qui en découlerait.
Le statut de héros ne viendra qu’avec la mort, et avant elle cette lettre laissée à Mélinée, « l’orpheline » à qui Manouchian écrit une dernière lettre poignante, au point d’écrire « je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ». Il y a là également un piège à éviter : celui de la récupération christique que de bons catholiques et néanmoins collaborateurs s’empresseront de faire. Cette « lettre à Mélinée » sublime l’horreur de ce qui fut vécu et reste à vivre en acte de sacrifice et d’amour sans précédent, ou presque.
Le cinéma de Robert Guédiguian n’est pas uniquement fait de reconstitutions historiques : son engagement pour la lutte dépasse celle de la seconde guerre mondiale et l’épisode singulier de « l’affiche rouge ». Interrogé sur le pourquoi d’un tel film, il répond sans tarder : « il y a encore aujourd’hui des luttes à accomplir, quotidiennement, dans notre pays : il nous faut peut-être nous investir dans ces luttes ». Le lecteur pro-gouvernemental peut s'arrêter là.
Des luttes à poursuivre, oui, et collectivement s’il-vous-plaît. De même que Manouchian fut engagé pour fédérer les actions isolées dans un seul et même groupe, à cause de sa tempérance, sagesse et courage, de même aujourd’hui la lutte ne peut surgir que d’un sursaut collectif, où chacun abandonnerait l’eldorado précaire de son pavillon de banlieue (avec garage et écrans plats) pour s’insurger à bon escient contre les injustices flagrantes et les horreurs d’un système qui chaque jour broie un peu plus le plus faible, le plus fragile, le plus malade, le plus étranger.
Immigrés, réfugiés, avec leurs gueules de métèques et leurs noms difficiles à prononcer, ces vingt trois du réseau Manouchian, « nos frères pourtant » dira Aragon, vingt trois « amoureux de vivre à en mourir, vingt trois qui criaient la France ! en s’abattant », ont lutté avant de se coucher dans la mort, pour que nous puissions un jour nous réveiller dans le lit de la vie.
Non pas par fascination de la mort elle-même ni le plaisir de tuer, mais pour l’amour de la liberté et le prix de la vie.
Insoumis.
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