Charognards
21 Juillet 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
A quelques pas de marche de la cabane du Lac d’Er, après la rencontre du berger, il faut passer un petit col sans nom et sans chemin précis, puis obliquer sur sa droite au nord-ouest pour le Pic d’Aule (2392m). Avant cela, la grande gueule noire de « Jean-Pierre », nom familier de l’Ossau, se découvre à nous, forçant à retirer le béret en signe de respect. Un curieux mage a saupoudré ses flancs de sucre glace, signe qu’il y a quelques heures, au même endroit, l’enfer précédait le paradis.
Du Pic d’Aule, après quelques substances réparatrices, il faut descendre vers le lac du même nom, par le col des Héous, toujours sans chemin précis. C’est une boucle peu empruntée en tout cas l’été, l’hiver les skieurs connaissent probablement mieux ce chemin.
C’est à partir de là que nous les avons vus. D’abord un par un, puis deux par deux, ils semblaient avoir rendez-vous derrière une barre rocheuse vers laquelle nous nous approchions aussi. Leurs ombres marquaient les pentes de noir, défilant au rythme des courants ascendants qui les portent. Un voile de deuil soudain et aussitôt envolé. Parfois, lorsqu’ils passaient près de nous, dans le silence de l’après midi naissant dans la chaleur montante, on percevait le sifflement léger de leurs ailes. Pour que les vautours rappliquent en si grand nombre, ce n’est pas pour participer à un meeting aérien, mais plus sûrement pour becter quelque charogne tombée là peu de temps auparavant. Sans en être certains, nous avions un doute, et ce fut le plus sûr moyen de nous faire dévier de notre ballade initiale, pour « aller voir ».
L’approche doit se faire sur le mode « ruse ». Même affamé et flairant un bon coup, le vautour fauve reste craintif et ne se laisse pas approcher comme une demoiselle naïve. Sans téléobjectif ni appareil photo performant, il nous faut gagner du terrain sans trop se faire voir, ni entendre. Pas si simple, nous sommes à découvert la plupart du temps ! En redescendant un brin, nous les prenons par le dessous d’une petite falaise protégée par un rebond de prairie, permettant à un camarade d’approcher au plus près sans se faire voir. Alors commence un étrange ballet dans le ciel bleu de gloire : une centaine de vautours planent au dessus de nous avant d’aller se poser, pour certains, près d’un endroit précis qui représente un creux dans lequel nous imaginons la présence de la charogne. La tête de l’un d’entre eux est rouge de sang : la bête n’est pas vieille, tout au plus quelques jours. Certains se battent dans d’étranges joutes pour la survie et les meilleurs morceaux.
Nous finissons d’approcher, haletants, déclenchant les derniers envols, jusqu’à découvrir la carcasse d’un cheval mort au fond d’un petit ravin. L’odeur est tenable : il n’est pas mort depuis longtemps. Mais les charognards ont pratiquement terminé le déjeuner.
Les gypaètes finiront les os et la peau se desséchera bien vite. Le spectacle est saisissant : à peine sommes-nous descendus de quelques mètres que les fauves se posent à nouveau près des restes. L’heure du dîner approche.
Le nôtre est encore loin, et là bas, à l’horizon, « Jean-Pierre » guette avec distance le spectacle habituel d’une nature plus que vive. Le soleil fait fondre le sucre glace, léchant ses flancs escarpés et cisaillés. Le lac d’Aule nous accueille dans son onde tranquille.
Nous reparlerons longtemps de ce ballet noir et fauve des vautours affamés.
Un après-midi parmi d’autres dans les Pyrénées…Newsletter
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