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Le jour. D'après fred sabourin

Qui est-elle ?

2 Juin 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement




La nouvelle est tombée comme un avion s’écrase en mer. Un Airbus A330, vol AF 447 Rio – Paris ne répondait plus. Deux cent vingt-huit passagers à bord. Les radios et télévisions, premières à pouvoir réagir, ont apporté leur lot d’incertitudes : on ne savait rien, mais ils en faisaient des « éditions spéciales », alternant images d’archives d’A330 en vol, témoignages d’anciens pilotes, experts météo, ministres et même le Président. Hier soir à 20h, personne ne pouvait encore expliquer ce qui avait pu se passer. La seul certitude, c’est qu’il s’agissait d’une catastrophe.

Puis vint la nuit.

La longue nuit des rotatives, la presse papier (qu’on disait « morte ») prenant le relais des images et sons qui avaient saturé le paysage médiatique le jour précédent. Ce matin, au réveil, les « unes » des journaux nationaux et régionaux étaient sans partage : la catastrophe s’étalait, en grand. Bon nombre d’entre eux choisirent la photo d’une femme, sous des angles différents, dans la même posture : la main sur la bouche, ravalant un cri, des larmes, une peine et un chagrin que l’on devine énorme.
En préparant la « revue des titres » ce matin à la radio, je me suis d’abord penché sur eux. C’est de la radio, je dois dire des mots, et à la une des journaux, ils sont gros et gras. Et puis peu à peu, la frêle silhouette de cette femme est apparue sur les feuilles qui sortaient de l’imprimante. Toujours la même, dans la même posture de peine indéfinissable, comme une piéta. Si le mystère de la disparition du vol AF 447 est grande, le mystère de cette femme m’est apparu aussi grand. Le choix de cette photo par les rédactions n’est d’ailleurs pas anodin : il s’agit pour le lecteur de s’identifier au drame, cela pourrait être lui, il se sent alors concerné. La simple photo archive d’un Airbus en vol ne suffit pas à l’impliquer, à lui tirer une émotion. Il faut des pleurs, des regards inquiets, des gestes désordonnés.

C’est cette femme.

Qui est-elle ? Pourquoi elle ? Sans doute est-elle désormais veuve, a-t-elle  perdu un ami cher, un frère, une sœur, un enfant qu’elle était venu attendre à Roissy, au Terminal 2 E, en ce lundi de Pentecôte. On devine la dernière conversation, par téléphone ou peut-être par mail : «je viendrai te chercher à l’aéroport, ne t’inquiète pas ». On imagine qu’elle est parti bien avant l’heure, pour être certaine d’être là quand la porte s’ouvrirait. Peut-être attendait-elle quelqu’un qu’elle n’avait pas vu depuis une éternité ? Elle a pris l’autoroute A1 avec sa voiture, il faisait beau, un lundi chômé plein de promesses et de retrouvailles.
Il y a malgré tout quelque chose d’indécent dans la vision de cette femme. En la regardant, en faisant défiler devant moi ces « unes » de presse, j’ai le sentiment de violer sa peine, un chagrin immense, un cri déchirant de douleur et d’inquiétude, qui reste prisonnier de cette main qu’elle aurait sûrement agitée dans la foule tout à l’heure pour faire signe à celui qui…
En déshabillant sa peine, à travers ce visage crispé de larmes ravalées offert à la vue de la France entière, nous revêtons le costume sombre du voyeur malgré lui. Et nous n’y pouvons rien.

Le vol AF 447 a d’abord été annoncé « retardé », puis n’arrivera jamais.
Et cette femme-là emporte avec elle le mystère de cette main qui couvre le cri et les sanglots.


Le monde du silence…






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M
belle analyse mon pote !
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D
elle est une incarnation d'idée, parce que tout s'illustre... même les articles de Blog, parce qu'une photo parle plus fort qu'un long discours... quand tu écris, elle prend de la profondeur!
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