Il a plu
15 Avril 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature
(suite de Crise d'ado )
C’était un dimanche, les parents étaient encore ensemble. Papa avait bondi de la table en disant : « il ne pleut plus ! On va se promener ! ». J’ai cru qu’il déraillait, ça faisait deux jours qu’on ne pouvait pas sortir tellement il pleuvait. Une pluie droite, sans vent, qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. On en avait assez de rester enfermés dans la maison, et j’avais passé en revue tous les jeux possibles en cas de pluie. L’accalmie était donc la bienvenue.
Les bottes étaient rangées sur une étagère à chaussures dans le garage, elles avaient encore des traces de boue de le dernière sortie. C’était après la neige, lorsqu’elle avait fondue et laissé derrière elle une gadoue dans le jardin. J’avais inspecté ma cabane, et maman m’avait dit de mettre mes bottes. Je les aime bien mes bottes : elles sont kakis, comme celle de papa quand il va à la pêche. D’ailleurs j’aime bien aller avec lui à la pêche, il faut s’approcher du bord de l’eau avec des ruses de sioux, sur la pointe des pieds sans faire de bruit, parce que sinon, il dit que « ça fait fuir le poisson ». Moi je crois que le poisson il ne peut pas tout entendre, en tout cas il y a en a certains qui doivent être sourds, parce que papa, il est drôlement fort à la pêche à la ligne ! Moi pendant ce temps-là, je pêche un peu avec lui, puis je vais plus loin dans les buissons tailler des bouts de bois, en faire des cannes, des mitraillettes ou des pistolets, ça dépend des morceaux que je trouve. Avec mon canif, je taille la pointe et j’imagine que je suis un chasseur de l’Amazonie et vlan ! j’attrape du poisson avec ma lance pointue. Papa me dit que la pêche exige beaucoup d’attention et de concentration, et que si je continue à faire l’indien dans la pampa, je vais rater les ablettes…
Nous avons donc mis les bottes dans le coffre de la voiture, et nous sommes partis. Il a fallu convaincre ma sœur de prendre aussi ses bottes : elle voulait y aller en Converses, évidemment, elle ne porte que ça. Papa a essayé de lui expliquer que les Converses, ça n’était pas pour la pluie et la boue, ce sont des chaussures en toiles et c’est juste bon pour traîner en ville le samedi après-midi quand il ne pleut pas. Là, elle a eu l’air étonnée, elle a dit : « quoi ? On va aller dans la boue ! Mais je vais me salir ! ». Oui parce que ma sœur en ce moment, elle met des trucs blancs et il ne faut quasiment pas bouger pour ne pas les salir. C’est nul. Moi je dis qu’un bon vieux jean les jambes remontées, comme pour aller à la pêche, c’est aussi bien. Elle a râlé un peu, puis a mis un jean en grommelant, n’a pas oublié les écouteurs de son i-pod, malgré les remontrances de maman, et on a fini par partir.
Nous avons roulé vers le fleuve, avant qu’il n’entre en ville, dans cette campagne verte que les parents aimaient bien. Souvent, ils disaient qu’ils aimeraient acheter telle ou telle maison, maman se demandait si la zone n’était pas inondable, si près de l’eau, papa disait qu’avec le barrage les crues étaient presque domptées. Moi je me souvenais qu’un hiver, il avait débordé, et on avait vu des reportages photos dans le journal, des gens qui habitaient les villages proches du fleuve et ils étaient secourus par des pompiers dans des barques. On en voyait d’autres sur le toit de leur maison, qui ne voulaient pas partir. Le barrage ne fonctionnait sans doute pas aussi bien que papa voulait bien le dire.
Nous nous sommes arrêtés au bord d’un chemin, et nous avons marchés, entre les vignes, les champs de blés qui étaient verts, les cerisiers en fleurs. On apercevait les cabanes de pêcheurs dont certaines étaient faites de vieilles caravanes auxquelles les gens avaient enlevé les roues et fixé le châssis dans du béton. Elles doivent prendre l’eau l’hiver, malgré le barrage dont j’ai déjà parlé. Au loin, on entend le coucou qui « coucoute », content sans doute d’avoir investi un nid qui n’est pas à lui. Quelques bruits de tondeuses, et des bêlements de moutons. Pas un souffle d’air ne vient perturber le silence de cette atmosphère printanières après la pluie. Il faisait doux, nous n’avions ni trop chaud ni trop froid.
Sur le bord du chemin, les herbes ployaient sous les gouttes d’eau, lourdes, faisant comme des loupes sur les nervures végétales. J’aurais aimé les boire. Si je n’avais pas eu de bottes, elles auraient mouillé mes chaussures, comme elles auraient trempé les Converses de Salomé. Elle aurait sûrement râlé. Au lieu de ça, elle n’entend ni le coucou ni les moutons : son i-pod murmure dans ses oreilles, le regard inquiet de savoir quand les parents vont lui dire de l’enlever pour profiter des bruits de la campagne. Je crois qu’elle aime ses après-midi de campagne, mais elle est trop fière pour l’avouer.
Moi, j’aime bien les gouttelettes d’eau sur les herbes, et sentir mes bottes crisser quand je passe dedans. J’ai l’impression de marcher sur la pluie. Le beau temps n’était plus très loin. Avant que n’éclate l’orage, bien plus tard, et les promenades au bord du fleuve ne seraient plus jamais comme avant.
(à suivre...)
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