Eloge de neige en Vercors, et contre tout
3 Mars 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
Partir. Endosser le sac à dos, toujours trop lourd, mais les victuailles seront d’un grand secours quand la pente cessera d’essouffler le marcheur. Puis regarder les cimes, et aller là où le regard s’est précédemment posé. Enquiller le chemin déjà tassé par les randonneurs à ski ou raquettes. S’éloigner du parcours classique, découvrir une vue imprenable, revenir aux fondamentaux : le sens de la pente. Sentir son cœur battre et rythmer chaque pas, le souffle calqué sur le tempo métronomique. S’arrêter, une vingtaine de secondes, pour reprendre haleine, entendre le sang cogner aux tempes et s’engouffrer aux tréfonds des membres. Regarder vers le haut, toujours en premier, puis vers le bas, pour contempler le chemin parcouru. Là bas, tout en bas, le village dont la rumeur a disparue. Assurer chaque pas, planter les crocs de la raquettes affamée de neige et de glace. Franchir le col, enfin, après avoir vu un camarade y disparaître en premier. Pause. Sentir la sueur perler dans son dos. Boire l’eau fraîche, croquer un carré de chocolat. Regarder la carte, pour assurer la suite. Encore une arrête, puis une autre (cachée par la première). Ensuite, une longue diagonale au soleil, neige étincelante et aveuglante. Il fait moins chaud : le vent rase le sommet futur et se fait déjà sentir. Tenir le béret pour ne pas le perdre. Râler contre la fatigue, malgré la préparation physique : il n’y en a jamais assez. Puis poser son sac, enfin, sur le sommet. Le sentir non plus sur sa tête mais sous ses pieds. Féliciter le compagnon de route, prendre les photos souvenirs. Regarder, seulement. S’abriter du vent, vite : il est glacial, pas question de déjeuner ici.
Redescendre légèrement dans un abri naturel. Surprendre les bouquetins, seuls autochtones des lieux si agiles en situations périlleuses. Les regarder nous regardant. Leur demander poliment de nous laisser passer.
Puis, après encore quelques efforts de descente assurée pour ne pas glisser, trouver la cabane. C’est à peine si on la voit ! Elle semble perdue, submergée de neige. Aménager la tranchée et les marches y accédant. Boire un thé chaud. Manger du chocolat. Commencer à envisager le repos nocturne. Rendre l’abri aussi confortable que possible. Dans le cas présent il s’agira de rendre le frigidaire le moins hostile possible ! Explorer les environs, profitant des derniers rayons du soleil. Manger tôt, et surtout chaud. Faire « son lit », sa couche, isoler au maximum du froid qui pincera vers cinq heures du matin. Et poser la tête sur l’oreiller, enfin, sentant les jambes se décontracter après les efforts, comme un moteur chaud après la route. Sentir chaque membre devenir plus lourd, jusqu’à peser une tonne. Refaire le film de la journée, imaginer le lendemain. Goûter le silence absolu, seulement perturbé par les coups de boutoir du vent sur le toit.
Et sombrer au pays des rêves, fait de merveilles et de paysages légendaires. Ne pas avoir accompli de grands exploits à l’échelle de l’humanité, mais pour soi, déjà, le souvenir heureux d’une marche dont nous reparlerons longtemps. Sentir la nuit nous envelopper comme un linceul.
Dormir en montagne, l’hiver, à presque deux milles.
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