Un joyau dans les Sables
3 Février 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito
(photo AFP)
Autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance, Michel Desjoyaux a donc remporté le Vendée Globe 2008-2009, après quatre-vingt quatre jours de mer. Elle a rendu son verdict, et le marin a mis en panne, au port. Le personnage est attachant, beaucoup mieux qu’un bigorneau rivé à la coque d’un bateau. Lesquels n’ont d’ailleurs pas pu s’y accrocher, vu l’allure ! Le meilleur a gagné, le plus rusé, le plus apte à faire l’herméneutique des cartes météo, a déjouer les pièges, à dormir avec parcimonie, à livrer ses soucis trois semaines après, et, par dessus le marché, le plus chanceux.
Bien sûr il fait des jaloux : les médiocres et les skippers d’optimistes par beau temps diront que « le professeur » fait parfois preuve d’un peu d’arrogance ou de cynisme, de piquant vis à vis de ses adversaires et néanmoins collègues de fortune (de mer). Le skipper de « Port Laf’ » (Port La Forêt, en Finistère), a pu dire, paraît-il, que les concurrents « avaient l’air en croisière » lorsqu’ils les rattrapa après quarante heures de retard dès le départ. C’était pourtant drôle comme répartie… Une forte gueule est l’apanage des experts, des vrais gens de mer, ceux forgés aux tempêtes et à l’humidité des embruns qui rime si bien avec humilité face aux éléments. Tout en sachant que la victoire ne peut s’annoncer qu’une fois la ligne franchie, tout le monde n’est pas capable – comme lui - d’empanner par trente nœuds ou de border à 19 quand les autres marchent à 16-17 pour ne rien casser à l’orée des mers du sud.
Néanmoins, ses premiers mots de terrien furent pour d’autres que lui : son équipe (l’immobilier va remonter…), et les trente autres marins – et marines – présents au départ, dont il n’en restait bibliquement que douze dimanche dernier avant seize heures. Pas mal, pour un cynique, non ? Et preuve que nous avons bien un humain en face de nous : il a bu du bordeaux pendant la conférence de presse de débriefing. Un Saint-Estèphe, 2003.
Dans l’actualité agité, force huit fraîchissant neuf voire dix ou douze en fin de nuit : Gaza, grèves, manifs, levée d’excommunication, tempêtes, négationnisme, chômage, mutations sauvages de préfets etc., l’arrivée de ce joyau un dimanche après-midi dans le chenal des Sables d’Olonne après 28300 miles à quatorze nœuds de moyenne a quelque chose de rafraîchissant. On ne se pose d’ailleurs même pas la question du dopage, ni de son salaire : nous sommes loin aussi des interviews dans les vestiaires de foot après le match.
Une joie que nous partageons sans rougir, un peu comme l’enfant qui vient de voir son voiler traverser le bassin du parc où ses parents vont en promenade le dimanche. Une joie simple, teintée de reconnaissance, de respect, d’admiration secrète, d’émotions variées, et d’envies futures. Même Jourdain a attendu pour annoncer qu’il jetait l’ancre aux Açores.
Desjoyaux dans l’écrin des Sables, c’est un bijou offert à ceux qui ont encore des yeux pour admirer l’admirable. Desjoyaux fait notre fortune, et pour une fois, ce n’est pas une fortune de mer…
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