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Le jour. D'après fred sabourin

la photo des noces

1 Octobre 2008 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #émerveillement

(fable cynique et iconoclaste à l’usage des malpolis)




Dans un mariage, on peut s’emmerder ferme. Je ne parle pas de la mairie ou de l’église, qui mettent les convictions des récipiendaires à rude épreuve. Les uns considèrent le passage sous les ors de la République comme une formalité sans valeur, seul compte le sacré d’une église romane du XIè siècle avec le vieil oncle prêtre. Pour d’autres, c’est l’inverse, et les convictions chèrement acquises se diluent dans un simulacre de cérémonie lisse et sans saveur. Comme une vieille toile cirée qu’on a eu peine à retaper avec une éponge hors d’âge.

Ensuite vient le vin d’honneur. C’est encore le moment le plus amusant. On se rince le gosier à grand coup de champagne frais, et, au fur et à mesure de l’avancement du pince-fesses, tiède. Ce qui revient à dire qu’on se fait de plus en plus suer à mesure que se rapproche le moment tant redouté : le dîner « assis – placé » (comme aux courses de chevaux). Dans un instant nous y reviendrons. On se gave de petits fours, et il faut reconnaître aux traiteurs des trésors d’ingéniosité : ces temps-ci, les « verrines » au guacamol sont très « tendance ».
Le cocktail a néanmoins, disions-nous, quelques avantages : les bavardages y sont polis, gracieux, emprunts d’une sincérité à faire se cabrer un cheval de bois pour donner des coups de pieds. Tout le monde est beau, bien habillé, les hommes rasés de près (ou légèrement barbus, pour un négligé bc-bg très étudié), les jeunes femmes à moitié nues sous des robes transparentes, et, conséquence du champagne, de plus en plus avinées donc pour certains des proies faciles. Les beaux-parents rayonnent (même s’ils ne sont pas beaux). Les parents jubilent. On recrée l’histoire, souvent la leur, le mariage n’étant – visuellement du moins – qu’une réédition de celui célébré trente ans plus tôt.

Puis vient le moment tant redouté du dîné « assis – placé » (ndlr). Si on a de la chance, pas la peine d’épiloguer. Mais souvent, on se retrouve assis en face d’une cousine incasable et donc pas casée (on comprendra très vite que ce n’est pas uniquement à cause du physique). Ou en face d’un ami d’enfance informaticien dans le Jura. Et entre deux couples : l’un danois, rencontré lors d’un Erasmus improbable en Biélorussie ou à Barcelone. Pas de chance, ceux-ci ne parlent qu’anglais avec un fort accent du Danemark, et ne comprennent rien aux mœurs francophones. De l’autre côté, un couple de jeunes mariés avec leur premier enfant de deux mois et demi, donc ils passeront le repas alternativement absents (au début) pour aller voir « si tout se va bien ». Puis bientôt les deux (pendant dix minutes). Puis tout le reste du repas. Ils sont inquiets, la route a été longue, le petit a des rougeurs sous les fesses et pleure beaucoup. Je passe sur les discours des « amis / es », avec l’inusable (et pourtant archi usé) diaporama de la love story, des couches culottes au séjour au ski « où ils se sont dit oui devant tous leurs amis », en passant par l’enterrement de vie de garçon et de jeune fille. Enfin, là, les photos sont soigneusement sélectionnées, parce que sinon c'est le drame…

Un vrai mariage ne serait pas un vrai mariage sans le discours du père de la mariée. Ah ! Quel grand moment de littérature ! Un délice oratoire ! Parfois, il faut quand même admettre que certains s’en sortent pas si mal, à grand renfort de mise en scène (lumière tamisée, lunette sur le bout du nez, emphase dans la gestuelle et/ou le phrasé). Mais souvent, c’est une catastrophe émotive, émosionifiante, banalisante, reléguant le gendre au rang de gentil voleur qui sera toujours le bienvenu, à condition qu’il n’oublie jamais qu’avant de franchir la porte, il y a le paillasson. Sous un tonnerre d’applaudissements et un torrent de larmes, le tout s’achève sous les feux follets de la pièce montée, aux curieux petits personnages juchés en haut, prêt à choir.
Puis vient la valse, à trois temps si on écoute bien, mais, sous le contre rythme de marteau piqueur du marié raide comme un piquet – qui a souvent daigné prendre deux ou trois leçons avec sa future, sous la menace d’un divorce par anticipation – évolue rapidement en valse à mille temps. Massacre de Rostropovitch, ou Strauss, naufrage du cygne dans le beau Danube bleu. Trente secondes pas plus en solo, et les invités (souvent plus expérimentés mais la chose devient rare) viennent cacher de leurs duos le couple de mariés chancelant et au bord du précipice. Déjà.
Ensuite, après deux valses, trois rocks à papa et « Just a gigolo », les vieux sont priés d’aller se rasseoir pour finir leurs discussions sur le prix de l’immobilier dans le sud de la France et la difficulté à trouver des étudiants fiables pour la location du studio dans le 6è à Paris, et les « jeunes » se trémoussent sur de la housse, techno des années 80 – 90, bien vite rejoint par les « entre deux jeunes », quadras finissant au regain d’adulescence (non, il n’y a pas de faute d’orthographe…).

Les vieux tontons sont bourrés. Les jeunes leur trouvent d’immenses qualités de conversation, et surtout de bons cigares. Paul et Virginie s’en vont dans un buisson, la cravate en berne, une bretelle de robe déjà par terre. Et tout le reste, qu’on ne verra pas, finira dans la piscine pour un « bain de minuit » à quatre heures du matin, lorsque le DJ passera « Méditerranéenne » d’Hervé Villard, juste après « Cherchez le garçon » de Taxi Girl.



Finalement, le seul truc qui restera dans un mariage, c’est la photo des noces. Tout le monde est là. Tout le monde sourit. Tout le monde semble content. Sauf une.

Et c’est celle-là qu’on remarque le plus.



"Une noce chez le photographe" (1879). Pascal - Adolphe - Jean DAGNAN-BOUVERET

musée des beaux arts, Lyon


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F
<br /> @ Dana : ce tableau est en effet très bien composé, un peu comme une photo le serait. Le visage et le regard de cette petite fille est impressionnant. A bien y regarder, je pense qu'elle regarde<br /> quand même le photographe, mais comme l'observateur du tableau que nous sommes est dans l'axe, on a l'impression que ce n'est que nous.<br /> <br /> <br /> Je ne sais pas comment vous êtes tombé sur mon blog mais n'hésitez pas à revenir. Bonne suite à vous.<br /> <br /> <br />  <br />
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D
<br /> Je partage votre ennui dans les rituels de mariage mais c'est comme ça...<br /> <br /> <br /> Sinon merci pour le détail de la petite fille, une révélation : je connaissais le tableau mais n'avais pas remarqué qu'en fait elle nous regarde nous (et pas le photographe !) Ce tableau a une<br /> composition impeccable... ce qui m'impose du respect !<br />
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D
et quand tu es le prêtre de la farce, tu commences par une moitié de vin d'honneur où on parle d'abord aux copains, sauf "une bien belle messe", puis une tante catholique vient se plaindre de son curé, un "en question" bourré te farcit de toutes questions piège... l'apéro est redoutable. A table avec les grands mères catho, tu souffres aussi, beaucoup. Le cilice, c'était de la rigolade!
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