l'âge idiot
18 Juin 2008 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito
Et on s’endort toutes les nuits, dans les casernes
photo Marc Lucas (le 6è RPIMa de Mont-de-Marsan transformé en maison de l'intercommunalité)
Décidément, le Tout Puissant de la République, Président dit d’ouverture, est en réalité un président de fermeture. Après les maternités non rentables, les tribunaux idoines, les classes d’écoles, les services publics divers et variés, voici le temps pour les casernes de passer sous la férule de Monsieur Ouverture.
A voir l’acharnement avec lequel il conduit ses réformes, en y pesant de tout son poids, et en « assumant ses responsabilités » (on s’en rappellera t’inquiète pas !), il y a fort à parier que le coquin, s’il avait enfilé un treillis kaki lors du service militaire qu’il ne fit pas, aurait ciré les chiottes d’une caserne d’un régiment de lance-pierres du côté de Mourmelon, durant douze mois, au moins ! Ou bien - pire alors - il aurait peut-être été de ces abominables caporaux, surnommés à juste titre « cabots », jaloux de leurs maigres privilèges à faible responsabilités, faisant régner la terreur, du moins jusqu’à ce qu’un plus haut gradé n’entre dans la pièce, et change la donne.
Des casernes vont fermer. Dont acte. La menace se déplace, est-il besoin d’entretenir la blancheur des ponts de bateaux, les planchers des bâtiments à l’architecture si glamour, est-il besoin, enfin, de maintenir dans des villes déjà mourantes des garnisons qui n’étaient quasiment leur unique source d’activité économique ? Que pourraient donc devenir Langres, Chaumont, Dieuze, Bitche, Bourg-Saint-Maurice, Châteauroux, Lunéville ? Leur nom n’évoque qu’une curiosité géographique qui poussera, peut-être, à consulter un atlas pour situer où sont ces charmantes villes mourantes, et néanmoins françaises. Ou : comment passer, pour ces petites villes, de l’acharnement thérapeutique à l’accompagnement des mourants. Il se trouvera même, parmi ces villes dites de garnison, des électeurs du petit Nicolas… Gageons que les élus locaux savent désormais à quoi s’en tenir.
Les anti-militaristes vont se réjouir : on ferme des casernes ! Le vieux rêve commencé bien avant le Front Populaire va se poursuivre. Au bénéfice, en passant, du renseignement : 12000 espions au service très spécial de sa très gracieuse majesté, un belle Division en réalité.
L’avantage des casernes, outre qu’elles avaient ce côté gentiment désuet, fait de corvée de chiottes, de permissions suspendues, de chambrées de douze, de gaîtés d’escadron, de longues heures d’attentes en short par zéro degré le lundi matin dans une cour brumeuse, et, pour certains, un parfum de mauvais souvenir par anticipation (ils ont préféré déserter !), elles avaient l’avantage d’être visible, audible, et souvent aussi le poumon économique depuis plusieurs siècles. Une page se tourne.
Avec les espions, ce sera beaucoup plus difficile…
Surtout quand on sait qui les dirige.
Laissons à Jacques Brel, une fois encore, le soin d’illustrer de façon fort pertinente, le propos.
« L’âge idiot c’est à vingt fleurs
quand le ventre brûle de faim
qu’on croit se laver le coeur
rien qu’en se lavant les mains
qu’on a les yeux plus grands que le ventre
qu’on a les yeux plus grands que le cœur
qu’on a le cœur encore trop tendre
qu’on a les yeux encore plein de fleurs
mais qu’on sent bon les champs de luzerne
l’odeur des tambours mal battus
qu’on sent les clairons refroidis
et les lits de petites vertu
et qu’on s’endort toutes les nuits
dans les casernes.
L’âge idiot c’est à trente fleurs
quand le ventre prend naissance
quand le ventre prend puissance
qu’il vous grignote le cœur
quand les yeux se font plus lourds
quand les yeux marquent les heures
eux qui savent qu’à trente fleurs
commence le compte à rebours
qu’on rejette les vieux dans leur caverne
qu’on offre à Dieu des bonnets d’âne
mais que le soir on s’allume des feux
en frottant deux cœurs de femmes
et qu’on regrette déjà un peu
le temps des casernes.
L’âge idiot c’est soixante fleurs
quand le ventre se ballotte
quand le ventre ventripote
qu’il vous a bouffé le cœur
quand les yeux n’ont plus de larmes
quand les yeux tombent en neige
quand les yeux perdent leur piège
quand les yeux rendent les armes
qu’on se ressent de ses amours
mais qu’on se sent des patiences
pour des vieilles sur le retour
ou des jeunes en partance
et qu’on se croit protégé
par les casernes.
(…)
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