Les photoreporters sont des hommes à part (suite)
24 Septembre 2024 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement
- Le 16 mai 2021, Céline Aucher, de Charente Libre, publiait un article sur le démarrage du projet de Matthieu -
En avril 2020, en plein confinement, cette époque surréaliste dont on se demande encore si on n’a pas rêvé (ou cauchemardé) de l’avoir vécue, j’avais croisé, à Mansle dans la rue des Bouviers, vers midi, un type barbe boire, cheveux noirs, pardessus noir, une baguette de pain sous le bras. J’avais immédiatement reconnu, au volant de l’utilitaire de l’épicerie solidaire, cette « tête de Turc » : c’était Matthieu ! Mais cela me paraissait tellement inattendu, tellement improbable, à cet endroit-là… Je ne me souvenais pas de la dernière fois où nous nous étions vus, mais ça remontait à au moins 15 ans. Je savais qu’il bourlinguait, avec ses boîtiers argentiques et ses péloches noir et blanc, mais j’aurais été bien incapable de dire avec certitude où il se trouvait désormais. Et je le retrouvais là, sur un bout de trottoir manslois, dans un trou charentais, en pleine « guerre » comme disait Macron, en plein marasme de la société mondiale.
Je décidais de le contacter via la messagerie Messenger. C’était bien lui !
Moi : « Salut Matthieu, j'ai rêvé où je t'ai aperçu à Mansle la semaine dernière, avec une baguette de pain sous le bras et au téléphone? Ça avait l'air d'être toi... Je travaille dans le coin, je suis directeur d'une épicerie solidaire itinérante, depuis mai 2019 ».
Lui : « Salut Frédéric, non, pas un rêve. Je vis (plutôt pas mal) ce confinement à Mansle. Où habites-tu ? Ça serait bien de se boire un petit café mais où nous le servirait-on? On attend la fin du confinement pour le boire ? Je vais rester dans le coin pas mal de temps, jusqu'à l'été sans doute ».
Moi : « J'habite à Angoulême quartier Victor-Hugo, je viens à Mouton (siège de l'épicerie) tous les jours ou presque. En effet difficile de boire un coup dans les bistrots, en revanche à Mouton (où le confinement n'est pas aussi dur qu'ailleurs également) ce sera possible, sinon à Mansle on pourra se faire une bise du coude un de ces 4 ».
Lui : « Mouton, je passe devant quand je vais voir la grand-mère à Saint-Angeau et en chambre noire photo, du côté de Chasseneuil. On essaye de se voir alors ».
Le 9 juin 2020, on y arrivait, enfin : « Salut Frédéric, je serai au labo-photo ces prochains jours, si tu veux venir y boire un café. Je vois que tu sillonnes les petites routes de Charente, tu trouveras sans doute le lieu-dit La Devignère, commune de Lussac, quand tu rentres dans la cour de ferme, c'est à droite, porte bleue. N'hésites pas à passer ».
La première rencontre de ces retrouvailles, après 1000 ans, fut, elle aussi, surréaliste. Je devais me rendre à un week-end de copains, dans le Limousin, dont la plupart le connaissaient, anciens du collège et du lycée St-Paul d'Angoulême. Lussac était sur ma route. J’ai mis un petit moment à trouver La Devignère, n’utilisant que très peu le GPS : chacun ses démons, lui, c’est le numérique ; moi c’est le GPS. Il m’a fait visiter son antre, ce lieu hors du temps, hors géographie, hors tout. Un lieu qui lui ressemblait, où on sentait que l’amitié, la camaraderie, le café et le vin rouge devaient couler à flots. C’est là, entre deux gorgées de café, que je lui ai parlé pour la première fois que je rêvais qu’un photographe vienne immortaliser les tournées de distributions d’aide alimentaire dans le Ruffecois, auprès des bénéficiaires, un peu à la façon d’un Depardon. Je lui ai dit que j’avais commencé à raconter ce que je vivais et voyais dans de courts textes que j’avais un peu maladroitement nommé Rural road trip, qu’il pouvait aller les lire sur mon blog.
Je ne sais pas s’il a pressenti que je lui mettais le grappin dessus, mais il a eu cette expression d’homme libre et nomade qu’on lui connaissait : « Houlà ! Doucement, faut voir, je suis de retour ici mais toujours un peu de passage… » ou quelque chose dans ce goût-là, bref : je m’en suis voulu d’avoir sans doute été un peu vite en besogne. J’ai eu peur de l’avoir un peu bousculé.
Et puis, le 3 avril de l’année suivante (2021), j’ai reçu ça : « Salut Frédéric, un projet se dessine avec une équipe de photographes de la région: l'idée est de documenter en Nouvelle-Aquitaine la montée de la pauvreté à cause de la pandémie. Je me tourne naturellement vers la Charente et peut-être vers ton association. Je viens passer quelques temps en Charente pour la Pâques, serais-tu disponible pour qu'on cause de ce projet ? Te souhaite de bonnes Pâques ! »
Nous avons dû nous voir quelques temps après – il y a eu un troisième et dernier confinement de 3-4 semaines, un peu plus léger que les précédents mais avec encore les attestations, les kilomètres à ne pas dépasser, les flics et gendarmes surmotivés, le carnet à souche bien en main à traquer les fraudeurs – et début mai 2021 il faisait ses premiers pas dans l’entrepôt de l’épicerie solidaire E.I.D.E.R., sise au 8, rue de la Mairie à Mouton, près de Mansle et d’Aunac-sur-Charente.
- En octobre 2021, Matthieu envoyait un dossier de candidature à l'appel à projets "Brouillon d'un rêve" -
« Introduction
Les premiers rapports sur l’impact de la pandémie commencent à tendre à la société un miroir grossissant de ses inégalités, de ses mécanismes de pauvreté et d’exclusion.
Mon projet est d’accompagner une association qui propose de l’aide alimentaire à une population précaire dans une région rurale, anonyme et ordinaire.
Portraits de bénéficiaires de l'aide alimentaire et galerie de paysages d'une zone rurale délaissé des pouvoirs publics ».
[Matthieu Chazal, argumentaire du dossier de candidature à la bourse Brouillon d’un rêve, de la Scam, Société civile des auteurs multimédia, octobre 2021]
(à suivre…)
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