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Le jour. D'après fred sabourin

La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus

30 Août 2024 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne, #quelle époque !

 Il n’y a pas si longtemps, les Pyrénées étaient une montagne où, sans chercher bien loin, on pouvait trouver silence, solitude, et tranquillité du corps et de l’esprit, et ce à peu près à tous moments de l’année, y compris en été. Un havre de paix, quatre saisons durant. Il faut croire que ces espaces que certains qualifient de « sauvages » (ils n’ont en fait de sauvages que le nom, l’homme ayant posé ses godillots dans chaque recoin des montagnes), ne sont plus une garantie d’y trouver le repos. C’est en tout cas ce que nous avons constaté, cette deuxième partie du mois d’août, dans une vallée qui nous est chère : la vallée d’Ossau.

 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus

D’ordinaire, la montagne commençait à se vider, un peu dès le 15 août passé. Demeuraient bien encore quelques touristes et randonneurs plus ou moins sérieux, plus ou moins bien équipés (sur l’équipement, nous y reviendront…), mais dans l’ensemble après la mi-août, on commençait à y voir moins de chats… Août était réputé par des séquences orageuses qui rendaient les deuxièmes moitiés d’après-midi hasardeuses, pour quiconque n’était pas encore parvenu à son point d’étape, si possible en dur étant donné les draches qui pouvaient s’abattre soudainement. Est-ce l’effet conjugué cette année d’un mois de juillet qui fut maussade ? Les J.O. de Paris ? Les nombreuses photos filtrées « qui font rêver » de tel ou tel lac, de tel ou tel sommet se miroitant dans une pièce d’eau ? De bivouacs sur les sommets ? De levers et couchers de soleils à faire se pâmer le moindre randonneur ? La météo de ce mois d’août, enfin estivale ? Je ne sais pas précisément, mais les faits sont là : il y avait du monde, beaucoup de monde, beaucoup (trop) de monde en montagne ces jours-ci.

Le plaisir de la randonnée, du « trekking » comme on dit aujourd’hui - randonnée, ça fait « pépé-mémé » sans doute - tient en quelques éléments simplissimes, que je vais tenter de lister (non exhaustivement) :

  • Faire des choix avant de boucler son sac (on ne peut pas tout emporter au risque de le payer fort cher) ; éprouver le manque de ce qu’on n’a pas emporté ; s’en défaire au bout de 24 heures, à peine.
  • Découvrir qu’on peut vivre avec une vingtaine d’objets réellement « indispensables » si on a fait une bonne sélection.
  • Marcher à son rythme, pas à pas, en sentant son sang battre les tempes et les gouttes de sueur perler le long de son dos.
  • Sentir une petite brise fraîche fouetter le visage à l’arrivée d’un col. Atteindre ses objectifs – ici un sommet ; là un col ; là-bas un lac ; ailleurs encore une estive.
  • Enfin, trouver son lieu de bivouac – le fameux « spot » des instagrammeurs/ses - près d’un refuge, un lac, dans un endroit isolé, ou, pourquoi pas, sur un sommet (nuit blanche à prévoir malgré les images carte-postale d’Instagram…) ; y planter sa tente, déplier son duvet après avoir testé le sol (est-il plat ? À niveau ? Caillouteux ? À l’abri du vent ? etc.).
  • Faire cuire sa pitance, sommaire, sur son réchaud. Trouver ses pâtes cuissons 3 minutes ou sa purée Mousseline (placement de produit) excellente, puisque dégustées face à un paysage à couper le souffle. Faire sa vaisselle dans le torrent, ou le lac, en frottant la gamelle avec des herbes ou quelques graviers, car bien sûr on n’emporte ni éponge ni liquide vaisselle ; l’eau chaude est un lointain souvenir…
  • Regarder le soleil rosir puis rougir les cimes, pour peu que les nuages ne soient pas « montés » pour tout cacher.
  • Enfin, s’étendre, un brin fourbu, sur sa paillasse, dans son sac de couchage, trouver une position la moins inconfortable possible, et se laisser bercer des derniers bruits d’un environnement loin d’être hostile : torrent, cloches de troupeaux s’éloignant puis se rapprochant, vent, et parfois même rien, le silence absolu. Alors, comme nourrit d’un somnifère naturel, le sommeil vient nous envelopper et nous sombrons dans un songe profond, qui ne sera perturbé que par quelques fourmillements liés à la literie sommaire, et peut-être, sur le coup de 3 heures du matin, une belle envie d’uriner contre laquelle on essaiera de lutter, en vain (bonjour les contorsions pour sortir du duvet et aller se soulager à 2 mètres de la tente !).

Le lendemain matin, frais comme des gardons, on ouvrira les yeux naturellement vers 6h-6h30, avec le jour, et l’on sera profondément heureux de se sentir aussi vivant. Une expérience de sobriété heureuse, comme disait l’autre.

Il faut désormais lutter pour retrouver ces conditions, tant nos semblables, nos frères et sœurs humains gravitent en montagne autour de nous aussi sûrement que sur une ramblas catalane un samedi soir de juillet. On ne prendra que deux exemples de ces envahissements humains dans des espaces pourtant grands, créant un sentiment de surpeuplement, ce que les professionnels nomment « le surtourisme ».

 

 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus

On pourra se réjouir dans un premier temps de revoir des jeunes en montagnes. Bien qu’ils n’aient jamais vraiment totalement disparus, il faut reconnaître qu’ils se faisaient plutôt rares dans les Pyrénées ces dernières années, le goût de l’effort, les réveils matinaux et l’absence de wi-fi n’étant pas toujours de leur goût. Les voilà de retour, par grappes de 3, 4 ou 5, garçons et filles mélangés, pas trop mal équipés parfois, même si les baskets font florès et c’est une mode issue du contestable trail, nous allons y revenir. Ils parviennent visiblement à partir pour deux ou trois nuits en autonomie. Malheureusement, ces jeunes milleniums (nés depuis l’an 2000) apportent avec eux leurs mauvaises habitudes de bruits incessants, de mouvement perpétuel, d’indélicatesses caractérisées, comme celle de venir se coller à vous alors qu’il y a 3 hectares de lacs à disposition… Voire pire : d’avoir emporté avec eux la désormais incontournable enceinte bluetooth pour y faire cracher de la musique téléchargée d’avance ! Ces jeunes-là ne comprennent donc rien à l’environnement dans lequel ils se trouvent, et consomment des lacs pyrénéens comme ils consommeraient des séries Netflix ou des playlists sur Deezer ou Spotify.

« Hispania jacta est »

Mais il y a encore pire, et nous ferait regretter les frontières : ce sont les hordes d’Espagnols, hombres y mujeres (surtout elles, d’ailleurs) qui ne conçoivent visiblement pas la vie sans jacter en permanence, de leurs grosses voix rauques (pour les hommes), au débit mitraillette (pour les femmes). C’est bien simple : les Espagnols parlent tout le temps, tout le temps, tout le temps, même quand la pente est rude où l’on croyait qu’enfin, ils (elles) arrêteraient de tchatcher ! Engeance insupportable qui nous donne envie de leur jeter des cailloux jusqu’à ce qu’ils retournent bouffer du chorizo en sirotant des bières San Miguel tièdes dans les ventas de la frontière… Dans le Val d’Arrious, le 20 août, on a cru qu’on ne se débarrasserait pas de la douzaine de mujeres espagnoles, et l’on eut des envies de lancer des cailloux, dont ils (elles) ne sont pas avares dans l’ascension de certains sommets, le pic du midi d’Ossau et le Balaïtous en particulier.

 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus
 La solitude en montagne, ça n'existe (presque) plus

Courir en montagne : nécessaire, vraiment ?

Est-ce parce qu’historiquement, une randonnée en montagne couronnée par un sommet se nomme « course » que certains l’ont pris au pied de la lettre ? Les trailers composent la dernière plaie d’Egypte des Pyrénées. On les voit partout, et même s’ils ne courent pas toujours, ils marchent jusque haut, vêtus de shorts flottants comme à la grande époque des cours d’EPS au collège, chaussés de baskets, certes à semelles crantées, mais de baskets quand même (une godasse faite pour se tordre la cheville au premier faux-pas). On en a croisé un qui faisait, en deux jours, Gavarnie-Caillou de Soques en vallée d’Ossau, sans manger et quasiment sans dormir ! Ce coach en trail (c’est ainsi qu’il s’est présenté) s’entraînait pour le prochain défi que certains de ses coachés se lanceraient prochainement : 100 km en 3 jours dans les Cévennes, je ne sais plus combien de dénivelés positifs, le tout sans manger et sans dormir… Rien que de nous raconter son futur chemin de croix, on en a été pris d’une irrépressible envie de bailler. Comment peut-on goûter la montagne dans ses conditions ? Le mystère reste entier pour moi ; il faut dire que Lourdes n’est pas très loin de l’endroit où nous nous trouvions… Le trail en soi n’est pas un problème, les trailers non plus : ils sont plutôt respectueux de l’environnement qu’ils traversent (même vite) et jactent beaucoup moins que les hispaniques. Leur plus gros défaut, c’est d’avoir infusé cette mode de la basket comme chaussure de rando, et tout l’équipement minimaliste peu adapté aux changements brutaux de météo. Cette incongruité se paie cher chez certains marcheurs néophytes : si la chaussure en question est légère – avantage non négligeable quand on porte tout ce qu’on emporte, même aux pieds – elle n’est guère adaptée aux passages scabreux, aux pierriers, aux charges lourdes. Pour maintenir sa cheville dans une chaussure basse, il faut de l’expérience, de l’habitude, beaucoup d’entraînement. Ce qui semble assez peu le cas des touristes de masse, et… de leur masse corporelle.

Bon, il faut conclure. S’extraire de la montagne, en redescendre, puisque c’est notre « destin ». Dans les années à venir, il va donc falloir ruser davantage pour trouver des lieux à l’écart, silencieux, non souillés par le surtourisme délétère à la santé environnementale, et à la santé mentale tout court. « La vie est une chose grave. Il faut gravir », disait le poète Pierre Reverdy.

C’est ce qu’il faudra faire à l’avenir, plus haut, plus loin, plus isolé, pour trouver cette solitude alpine tant désirée.

Photos : Val d'Arrious, Arrémoulit, Arriel.

F.S. 30 août 2024

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