Action !
19 Juin 2024 , Rédigé par F.S Publié dans #quelle époque !, #rural road trip
Nous l’appellerons Natacha, petite brunette d’une trentaine d’années, vêtue comme un garçon avec ses chaussures de sécurité aux pieds. Ses ongles ont dû être vernis de rouge, mais il y a longtemps, et, à force de les ronger, la “peinture” est presque partie.
Elle se ronge les ongles sans doute parce qu’elle est sur la corde raide, Natacha. On arrive en retard à la station essence pour un bon carburant (ça n’arrête pas en ce moment ! Mais les gens dans le secteur rural n’ont donc pas de véhicules électriques ?), elle est déjà là et mord à pleine dents dans une petite tartelette achetée au Super U qui vient d’ouvrir.
On est en retard, mais on a su, d’emblée, quelle était sa voiture : une Saxo blanche hors d’âge, un peu déglinguée. Pas besoin de temps et de beaucoup d’expérience quand on parcourt la campagne quotidiennement : les voitures des pauvres se reconnaissent au premier coup d'œil. Natacha s’excuse d’avoir la bouche pleine. On s’excuse d’être en retard. Bref : tout le monde s’excuse, et on l’invite à se mettre en piste pour lui délivrer le précieux carburant.
Ça ne dure pas longtemps, mais on en apprend rapidement l’essentiel : Natacha a besoin de sa voiture pour aller travailler. “Je vais en Dordogne tous les jours”, dit-elle. On s’étonne, pistolet de sans-plomb 95 en main, qu’elle aille si loin, vu qu’elle habite près d’ici, à Sainte-Colombe, un hameau perdu à 10 km au milieu de la Pampa. Elle travaille dans un Action, supermarché genre Foire Fouille ou Gifi qui vend des merdouilles fabriquées en Chine pour trois francs-six sous, comme disaient nos grands-mères, qui en connaissaient un rayon question économies… “Et… il n’y avait pas plus près ?”, hasarde-t-on, alors que le réservoir se remplit. “Je n’ai trouvé que là, il n’y a que la Dordogne qui veuille de moi !”. “Mais c’est vachement loin !”, s’exclame-t-on. “Oh, oui ! Plus de deux heures aller-retour, 110 km. Mais j’ai deux mois de loyers en retard, je n’ai pas le choix, faut que je travaille. D’ailleurs si vous connaissez un endroit pas cher où je puisse louer quelque chose qui ne serait pas réservé aux étudiants, ça m'intéresse. J’ai fait une demande pour un logement social sur Angoulême : deux ans d’attente”. Le réservoir est plein, on raccroche.
On ne sait plus quoi dire. D’ailleurs qu’est-ce qu’on pourrait bien dire, à part de vagues propos convenus de bobos de centre-ville auditeurs de France Inter et qui votent pour les Verts pour se donner bonne conscience ? Il paraît qu’il y a en ce moment une campagne électorale, on n’ose pas s’aventurer sur ce terrain-là, Natacha n’est sûrement pas venue pour ça, mais la situation laisse (très) songeur.
Car oui, en rentrant au volant du camion de l’épicerie sociale, comme des philosophes, on songe. On songe à la fameuse petite phrase “je traverse la rue et je vous en trouve du boulot, moi !”. Dans le cas de Natacha, ça n’est pas seulement la rue qu’elle a traversée, mais la moitié du département, tout ça pour enfiler des perles pour un Smic, en donner la moitié pour un loyer (en retard, donc), l’autre moitié pour le pétrolier Total. Et les quelques centimes qui restent pour des tartelettes de chez Super U.
Tout cela me fait penser aussi à du cinéma (si seulement !), où, moteur demandé, quelqu’un crie : “Action !”. Il se pourrait bien que bientôt, il y en ait, de “l’action”...
F.S. 19 juin 2024
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