Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle
6 Septembre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma
D'aussi loin qu’il m’en souvienne, mon premier souvenir cinématographique remonte au début des années 80, en 1982 précisément, à la sortie de l’As des as, de Gérard Oury. Un mardi soir – je peux m’en souvenir car je n’avais pas école le lendemain et c’est pour cela que l’évènement a pu avoir lieu – mon père est rentré du boulot à tout berzingue en criant : « Vite, vite ! dépêchons-nous de dîner ! J’ai trois places pour l’As des as au Comédia ! ». Effervescence dans la cuisine familiale de la petite ville de Marmande, où nous habitions alors. Je ne me souviens plus du menu évidemment, mais ce dont je me souviens c’est qu’en effet on a dîné avec un lance-pierre. Moins d’une heure plus tard, nous faisions la queue devant le cinéma dont la façade était bouffée par l’affiche où l’on voit "Bébel" sur fond rouge, sourire aux lèvres, blouson de cuir et lunettes d’aviateur mimant un combat de boxe.
Le cinéma, à cette époque-là, c’était encore quelque chose : une salle aux fauteuils de velours rouges, du reste pas terriblement confortables, une scène avec un rideau tendu depuis le plafond sur lequel étaient collées des publicités pour les commerces locaux, salons de coiffure, boucheries-charcuteries, quincailleries, plombiers ou électriciens dépanneurs 7 jours sur 7, et brasseries de la gare aux menus « steak-frites ». Le cinéma, c’était une odeur mélangée de poussières en suspension, de parfums mêlés aux relents de transpiration et de pop-corn. La salle de cinéma, c’était avant tout une expérience sensorielle, olfactive, tout autant que visuelle. Bien avant que les chiennes de gardes féministes ne poussent leur premier cri, la salle de cinéma, c’était aussi l’ouvreuse, une femme donc et si elle était mignonne ça ne gâchait rien, laquelle, après avoir déchiré à moitié votre ticket jaune, bleu ou rouge à l’entrée, passait au bord des rangs, un panier en osier en bandoulière, proposant des cornets de glace, des pop-corn, des bubble-gums ou des caramels et sachets de bonbons Haribo.
On restait (trop) longtemps à regarder les pubs qu’on finissait par apprendre par cœur. Puis la lumière s’éteignait à moitié (peut-être pour qu’on ne se tache pas avec les cornets vanille-chocolat ?) et on regardait les bandes-annonces des films « prochainement dans cette salle »… Enfin, la lumière s’éteignait pour de bon et le film commençait.
Ce soir-là, ce premier soir-là, ce fut l’As des as, avec Jean-Paul Belmondo, Marie-France Pisier, et le petit Simon Rosenblum, joué par Rachid Ferrache, auquel, dès le lendemain, on pouvait s’identifier et dont on jalousait d’avoir tenu la réplique au héros : Bébel. Pourquoi me souvins-je avec autant de précision de ce film à cet endroit-là ? Parce qu'il m'a fait aimer les films, et les salles où l'on pouvait les voir. Une madeleine de Proust, en quelque sorte...
J’ai bien dû voir par la suite au moins la moitié des 80 films de Jean-Paul Belmondo. D’À bout de souffle à Itinéraire d’un enfant gâté, en passant par toute la glorieuse (à mes yeux) série des années 70 (Peur sur la ville ; Flic ou voyou ; le Magnifique ; Stavisky ; l’Alpagueur ; Le corps de mon ennemi ; L’incorrigible etc.) mais aussi Pierrot le fou ; Borsalino ; Gabriel Fouquet dans Un singe en hiver ; Léon Morin, prêtre ; Cent mille dollars au soleil ; Un week-end à Zuydcoote ; Les Tribulations d’un Chinois en Chine ; Le Doulos ; l’Aîné des Ferchaux…) jusqu’aux années 80 plus ou moins déclinantes, malgré Le Professionnel (le sommet de sa gloire) ; les Morfalous ; Joyeuses Pâques ; Hold-up ; le Solitaire…
« Des embardées, Jean-Paul Belmondo n’en aura finalement guère fait, dans une carrière paradoxalement brillante et sage, bien que commencée sous le signe de la rébellion » écrit dans sa nécrologie Jean-Michel Frodon dans Le Monde. « Grande gueule et séducteur, héros à l’apparence de M. Tout-le-monde capable de réconcilier comédie et film d’action, seul véritable héritier de Jean Gabin (…) il aura durant près de soixante ans offert au cinéma français de genre un corps, une trogne et une voix ».
C’est exactement ça : un corps, une trogne, une voix. Le corps d’un acteur ; une trogne de cinéma ; une voix de comédien, même si celui-ci, qui rêvait de la comédie française, aura davantage cédé au vedettariat qu’à ses ambitions. Cela avait mal commencé pour lui : peu apprécié du jury à la sortie du Conservatoire en 1957 (« Vous feriez hurler de rire une salle si vous preniez une femme dans vos bras », lui a dit son professeur d'art dramatique Pierre Dux ), il a pour partenaires Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean Rochefort, Bruno Cremer, Pierre Vernier, Michel Beaune, qui le portent en triomphe malgré son accessit, lui qui rêvait d'un premier prix… On connaît la suite : Godard le convainc de tourner pour lui À bout de souffle en 1960, et la nouvelle vague entraîne avec elle le jeune premier qui disait, à son retour d’Algérie : « j’arrête le cinéma, c’est trop con ».
C’eût été trop con en effet d’arrêter. Sans lui, en famille, entre collègues, entre copains, nous ne serions pas allés voir les films de Bébel, ni ne les aurions vus et revus ad libitum quand ils repassent « à la télé ». Grâce à lui, un soir, le dîner envoyé en quatrième vitesse, on est entré dans une salle de cinéma, et depuis, jamais ressorti.
Adieu, as des as.
F.S.
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