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Le jour. D'après fred sabourin

Le vent d’hiver souffle en avril (drôle de guerre)

17 Avril 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #drôle de guerre

Le vent d’hiver souffle en avril (drôle de guerre)

À chaque guerre ses morts. Il y a ceux, bien réels, qui s’inscrivent en lettres d’or sur les monuments de nos places. Il y a ceux, moins visibles mais tout aussi réels, des attentats. Il y a ceux, discrets, sur des plaques aux coins de certaines rues : « ici est tombé Pierre, Paul ou Jacques, FFI, en 1944, fusillé par les nazis ». On s’en aperçoit quand parfois fleurissent les chrysanthèmes au bas des murs gris de nos villes. Et il y a ceux du Covid-19. Cette « drôle de guerre » comme on dit, nous fauche en plein élan de renouveau printanier, dont on ignore l’issue et surtout quand. Beaucoup de morts anonymes, seuls ; et ceux, depuis quelques jours, qui donnent des visages connus à la pandémie. Il y a d’abord eu Patrick Devedjian fin mars, puis cette semaine l’écrivain Luis Sepùlveda et Christophe, ce matin au saut du lit. L’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour et celui des Mots bleus. Et merde.

C’est une part de notre jeunesse qui s’en va, tombée au front de l’épidémie. Le roman de Luis Sepùlveda – le premier, celui qui l’a révélé au monde littéraire – fut lu la dernière année lycée, sous les copies de cours qui nous rasaient, et fut une révélation. Le titre était déjà tout un programme. On l’avait dévoré. "Le ciel était une panse d'âne gonflée qui pendait très bas, menaçante, au dessus des têtes. Le vent tiède et poisseux balayait les feuilles éparses et secouait violemment les bananiers rachitiques qui ornaient la façade de la mairie. Les quelques habitants d'El Idilio, auxquels s'étaient joint une poignée d'aventuriers venus des environs, attendaient sur le quai leur tour pour s'asseoir dans le fauteuil mobile du dentiste, le docteur Rubincondo Loachamin, qui pratiquait une étrange anesthésie verbale pour atténuer les douleurs de ses clients".

Christophe, comme tous les artistes populaires, a accompagné notre vie depuis l’enfance, souvenirs mêlés des hit-parades écoutés ad libitum dans les autoradios des 504 familiales sur la route des vacances (toujours trop longues) ; mélodies entêtantes et sirupeuses réécoutées jusqu’à l’usure des 45 tours puis des « K7 » audio sur les premiers « walkman » qu’on appelait pas encore « baladeurs ». Ses chansons se lisent même avant de s’écouter.

« Dandy un peu maudit, un peu vieilli, dans ce luxe qui s'effondre ; te souviens-tu quand je chantais  dans les caves de Londres, un peu noyé dans la fumée, ce rock sophistiqué. Toutes les nuits tu restais là, peut-être un beau jour voudras-tu retrouver avec moi les paradis perdus ».

Ou encore : « J'avais dessiné, sur le sable, son doux visage, qui me souriait. Puis il a plu, sur cette plage, dans cet orage, elle a disparu »

Et encore : « Il est six heures au clocher de l'église, dans le square les fleurs poétisent, une fille va sortir de la mairie. Comme chaque soir je l'attends, elle me sourit. Il faudrait que je lui parle à tout prix. Je lui dirai les mots bleus, les mots qu'on dit avec les yeux, parler me semble ridicule, je m'élance et puis je recule devant une phrase inutile qui briserait l'instant fragile, d'une rencontre, d'une rencontre… »

Que sont ces morts au milieu du champ de bataille mondial qui est en train de se dérouler actuellement ? Pas grand-chose assurément. Mais par leur pouvoir d’évocation, de sensations, d’émotions partagées et retrouvées, en faisant un peu le ménage « des feuilles en vrac dans le bureau de nos mémoires » (sic), les mots de Sepùlveda et de Christophe apportent encore davantage de paradis perdus à nos illusions qui ne le sont pas moins. Et l’on se surprend à frissonner comme dans un vieux pull, dans ce si beau printemps où « le vent d’hiver souffle en avril ».

Drôle de guerre.

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