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Le jour. D'après fred sabourin

Poètes, écrivains : des livres et nous ! (drôle de guerre)

20 Mars 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #drôle de guerre

Poètes, écrivains : des livres et nous ! (drôle de guerre)

Quatrième jour de confinement, c’est dur pour tout le monde et pour certains plus dur que d’autres on l’a bien compris. Entre ceux qui doivent continuer d’aller bosser coûte que coûte ; les parents confinés dans quelques mètres carrés avec leurs jeunes enfants qui pètent les plombs ; transformés en enseignants, femme de ménage et cuisiniers tout en « télétravaillant » ; les personnes isolées qui souffrent de la solitude davantage que d’habitude et ceux qui cherchent à s’occuper des « sans » (abris, sans travail, sans argent etc.), il reste peu de temps finalement pour glander, comme semble le faire une certaine classe bien « confinée » dans les résidences secondaires à la campagne.


Ce matin, le sage Sylvain Tesson était invité de l’interview de France Inter. Il a une certaine expérience, à la fois de « l’épilepsie du mouvement » comme il le dit parfois - il a arpenté le monde à pied, à cheval, à bicyclette avant d’être stoppé dans son élan suite à une chute d’un toit au cours de l’été 2014) – mais aussi du « confinement ». Certains ont peut-être lu avec délices Dans les forêts de Sibérie récit de six mois de réclusion volontaire dans une cabane au fond des bois et au bord du lac Baïkal, avec une bonne provision de bouquins et… de vodka. Plus récemment, il a raconté dans La Panthère des neiges comment il était resté à l’affût pendant des jours entiers avec le photographe Vincent Munier à la recherche d’une panthère aussi invisible qu’introuvable, sauf de manière très soudaine et fugace.


Tesson. On l’aime, ou il agace. Nous, on l’aime. Il apporte un éclairage intéressant au début de cette période qui s’ouvre, et dont chacun est persuadé désormais qu’elle durera plus de quinze jours. Mélange de réclusion involontaire - à géométrie variable quand même - de confinement quasi monastique - en plus confortable, c’est-à-dire avec le wifi dans toutes les cellules – bref une période où personne ne sait encore comment il va en ressortir.  « La seule manière de ne pas succomber dans l’effondrement général, et le seul sur lequel on peut intervenir, c’est l’effondrement de soi-même. Ce que j’ai découvert c’est que la seule chose qu’on puisse faire c’est de ne pas engager une lutte contre le temps ; la guerre arithmétique contre les secondes qui passent, si on fait cela on est écrasé », dit-il. Il poursuit : « Il ne faut pas lutter contre le passage du temps, mais l’accompagner. Nous avons la possibilité aujourd’hui de transformer nos vies sous pression, nos vies hâtives, qui nous soumettaient en permanence à des injections de dire ce qu’on pense, de courir, il nous est offert l’exact contraire. Nous le subissons, mais si nous ne tâchons pas d’en faire quelque chose, c’est la double peine ».
 

On ne saurait mieux dire. Ici, c’est-à-dire de ce côté-ci du clavier, on continue de bosser, avec inquiétude même, afin d’organiser au mieux une distribution alimentaire pour les personnes en situation de (grande) précarité du nord-Charente où nous nous trouvons. C’est une angoisse de chaque instant, pour organiser au mieux l’itinérance chamboulée de l’aide alimentaire la semaine prochaine, mais maintenue quand même ! Ça n’empêche pas l’esprit de tourner, quand le soir approche, et que je regarde ces bibliothèques qui ornent quasiment chaque mur de ma maison. « Des livres, et nous », semblent dire ces rayonnages chargés à blocs de bouquins lus, pas lus, à moitié lus, en projet d’être relus… Cela faisait un moment que je jouais à la liste des dix livres que j’emporterais sur une île déserte au cas où, et je ne parvenais jamais à choisir, dans l’urgence, ce que j’emporterai vraiment dans ma valise si j’avais 24h pour la boucler et fuir dans une cabane au fond des Pyrénées (chacun son obsession géographique… Tesson, c’est la Sibérie).
Vingt-trois. J’en ai sorti vingt-trois des rayonnages – et encore, je ne suis pas passé devant celui des Pléiades j’en ajouterai deux, Verlaine et Baudelaire, ni devant les historiens, là je prendrai au moins Duby, Le Goff et Leroy Ladurie… Ce qui pourrait porter la liste à 30 bouquins « indispensables » à lire ou relire pendant ce temps de retraite forcé.

Poètes, écrivains : des livres et nous ! (drôle de guerre)
Poètes, écrivains : des livres et nous ! (drôle de guerre)

« Jamais sans mon livre » dis-je parfois quand je dois franchir le seuil de ma porte même pour quelques heures. Jamais sans les écrivains, romanciers, philosophes, poètes, essayistes, écrivains voyageurs… La liste est là, en photo sur le parquet de la cuisine. Ensemble, nous plongerons dans ces pages aimées, dans ces mots choisis pour panser nos plaies, nos maux d’être isolés les uns des autres – nous qui parlions il y a quinze jours encore de conquête de Mars et d’homme augmenté comme disait Tesson ce matin – nous nous délecterons de ces récits de voyages, ou écrits appelant à l’introspection, au retour sur soi, à l’ouverture solidaire aux autres, ces amis, ces enfants, ces voisins qui sont le quotidien de nos pauvres vies.
Et on commence avec un de mes préférés : René Guy Cadou, mort à trente ans laissant une œuvre conséquente malgré la fulgurance de sa vie…


Drôle de guerre...

 

Plain-chant
 

Reverrai-je la mer au bord des fûts tranquilles
L’arène bleue où juin roule dans les grillons
Parmi les herbes tapageuses
Depuis vingt ans mes bras coulent de mes épaules
La crue de mes poignets fait déborder mon cœur

Je veux aller plus loin que l’horizon d’ébène
Tresser des incendies par-dessus les moissons
Et fleuve me mêler au rut des carènes
Je suis seul
Mais tout seul je puis me délivrer
Élever dans mes mains mon front comme un bûcher
Écarter de ma bouche le rideau de la soif
Vivant je suis grand ce soir que tous les morts

Et puis la route est belle
Les toits portent très haut leur fardeau d’hirondelles
Un essaim de ciel clair s’effiloche au plafond
Je pars
Mon sang léger tinte dans ma poitrine

Vingt ans à mes côtés ombre que tu chemines
A la fin je suis las
Et je voudrais dormir

« Marche encore dans le vent et dans ton repentir
Dans les flots de silex et ta conscience aride
Homme
Je te reconnaîtrai bien derrière tes rides »

A quoi bon implorer
J’ai repris la besace
Bu mon visage noir tout au fond de la tasse
Et seul vers le midi j’arpente les rayons

 

René Guy Cadou, Morte-saison (1940)

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