Alice et le maire, ou l’évanescence de la pensée en politique
9 Octobre 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma
Le second film de Nicolas Pariser (1) met en scène Paul Théraneau, maire de Lyon, aux prises avec l’évanouissement progressif de ce qui a fait de lui un conquérant du pouvoir, un édile innovateur et bourré d’idées. Rincé par trente ans de vie politique à serrer des mains, signer des parapheurs et prononcer des discours aux inaugurations de chrysanthèmes, il est à court d’idées. Il engage une jeune normalienne philosophe et finement lettrée pour tenter de lui redonner l’envie de penser, ce qu’il n’a plus le temps de faire, dévoré par le tourbillon de l’action permanente et la vacuité de la novlangue de ses conseillers. Las, la désillusion, de part et d’autre de ces deux touchants personnages, auront raison de l’action, au profit – c’est heureux et si rare – de la pensée qui normalement la précède.
Le film s’ouvre sur une scène étonnante où la collaboratrice de cabinet Mélinda (Nora Hamzawi) explique à Alice Heimann qui vient d’être engagée (Anaïs Demoustier) son travail auprès du maire de Lyon (Fabrice Luchini) : « Ton boulot, c’est de prendre du recul ». « Ce n’est pas un travail, ça » répond surprise Alice qui n’y connait rien à la politique et se demande pourquoi on l’a fait venir dans cette « lyonnaiserie ». Mais sa force c’est de savoir cerner et penser les enjeux contemporains. Elle fait ce que la quasi-totalité des politiques ne savent plus faire : penser avant d’agir, quitte à être un brin théorique, et c’est un risque à prendre.
D’abord peu à l’aise au sein d’un cabinet bien campé par des seconds rôles efficaces – une directrice de cabinet aussi raide que dévouée à la cause du gourou (Léonie Simaga), des chargés de com’ sanglés dans leurs costards bleu marine code couleur de gauche comme de droite – Alice se fond peu à peu dans le rôle qu’on attend d’elle : penser, et faire penser le maire. Sa première note rédigée, ironiquement a pour thème la modestie (un régal). Elle épouse l’agenda de dingue de Paul Théraneau/Fabrice Luchini, commence une conversation entre deux portes, la poursuit dans les déplacements en voiture et la clôt le soir tard dans son bureau.
Tout oppose ces deux personnages, si ce n’est la solitude et l’impression d’être à un tournant de leur vie. Paul Théraneau en vieux lion lessivé qui aimerait bien quand même tenter un dernier coup (devenir premier secrétaire du PS et briguer la présidence de la République) ; Alice Heimann en jeune femme d’une génération tiraillée par l’inquiétude, sans véritable envie ni projet, qui a prolongé au maximum ses études autant par scepticisme envers le monde adulte autant que pour ne pas avoir à penser la suite de sa vie justement.
Et ça n’est pas le moindre intérêt d’Alice et le maire de Nicolas Pariser : grâce à la rencontre platonique de ces deux roseaux pensants perdus dans leurs univers respectifs, le film donne à penser sur l’articulation entre réflexion et action, entre théorie et pratique du réel, et crise actuelle de la démocratie.
Une hauteur de vue, un recul et une réflexion au quotidien qui manquent cruellement aux hommes et femmes politiques de nos jours, justement, dont la vacuité des discours et l’inefficacité de leur action se noient dans l’évanescence et le scepticisme ambiant.
« Je préfère recourir à la tradition philosophique plutôt qu’à un coach » dira Paul Théraneau/Fabrice Luchini avec ce qui lui reste de lucidité lors de leur premier rendez-vous. Avec une certaine légèreté, la précision des dialogues finement ciselés et de la fluidité dans le récit, Alice et le maire offre aux spectateurs une réflexion charmante et pas du tout ennuyeuse de la vie politique contemporaine, aux antipodes de celle-ci dans le réel, justement.
F.S.
(1) Le Grand jeu en 2015, sur l’affaire de Tarnac.
D'autres chroniques cinéma à lire ici : Au nom de la terre (Édouard Bergeron) / Ceux qui travaillent (Antoine Russbach) / Deux moi (Cédric Klapisch) / Once upon a time in Hollywood (Quentin Tarantino) / Une fille facile (Rebecca Zlotowski). |
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