Une Fille facile : un conte cruel de fin d’été, sur la plage abandonnée…
28 Août 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma
De Rebecca Zlotowski. Avec : Mina Farid, Zahia Dehar, Benoît Magimel… 1h32.
Pour son quatrième long-métrage, Rebecca Zlotowski signe avec Une Fille facile un film sensuel, suave dans lequel deux jeunes femmes de 16 et 22 ans croquent la pomme du désir, de la séduction et de la convoitise à Cannes le temps d’un été. Avec l’ex escort-girl Zahia au physique proche de ce que fut Brigitte Bardot en son temps, et la candeur tout autant que le sérieux de la jeune première Mina Farid. Troublant, et envoûtant.
Dès le début d’Une Fille facile, Rebecca Zlotowski (1) plonge le spectateur dans l’univers d’un conte cruel où l’on sent que l’illusion va servir de trame à une lutte interne toute autant qu’une lutte extérieure pour posséder ce qui est beau, et les signes extérieurs de richesse accompagnent cette beauté illusoire. L’emballage est on ne peut plus séduisant : la côte cannoise et sa lumière crue ; le physique de l’actrice principale Zahia Dehar…
Le film commence fin juin, à la fin des cours. La jeune Naïma (Mina Farid) fête ses 16 ans avec ses potes du lycée, dont le (ou la ?) très énigmatique « Dodo » (Lakdhar Dridi). Sa cousine Sofia (Zahia Dehar) débarque chez elle quasiment sans prévenir, gonflée du désir de vivre, de sexualité libérée et du regard des hommes. Elle va promener sa chute de reins vertigineuse avec sa jeune cousine sur la Croisette dans des tenues époustouflantes, de plages en plages et de boîtes de nuit en boîtes de nuit. À force d’écumer le bord de mer en tortillant des fesses, elles rencontrent Andres (Nuno Lopes) et Philippe (Benoît Magimel), un collectionneur d’art et son entremetteur qui ne tardent pas à les faire monter sur leur yacht. Sofia détourne peu à peu l’adolescente de sa réalité quotidienne, lui ouvrant un monde où le luxe, l’opulence, la haute couture et les objets de luxe se monnaient contre du sexe. Cette monnaie d’échange attire Naïma autant qu’elle la redoute, pas encore suffisamment prête à emboîter le pas de sa cousine, dont les courbes insolentes et le verbe indolent font irrémédiablement penser à Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme de Roger Vadim et davantage encore Le Mépris de J-L. Godard ("et mes cuisses, tu les aimes mes cuisses ?").
Il semble loin, le temps où Zahia Dehar était la risée de la presse people pour ses frasques d’escort-girl dans le milieu du foot ! En lui offrant le rôle principal d’Une Fille facile, Rebecca Zlotowski prend un audacieux pari : faire de ce mannequin une actrice au jeu, à la fantaisie et la sensualité proche de ce que fut Bardot à ses débuts. Mais en modernisant le personnage : elle possède les codes et tous les attributs contemporains tout en conservant ce qui fit le succès déroutant de « Brigitte » dans les années 50. La sophistication et le naturel mêlé, qui faisaient tourner le regard des hommes en jouant de leur désir, pour mieux les posséder, eux qui croient en leur capacité de possession. Conte cruel d’une adolescence qui ne passe pas et d’un début d’âge adulte où la liberté s’acquiert chèrement, Une Fille facile est un film à étages, comme les plans imaginés par sa réalisatrice, que l’on monte ou descend selon qu’on est riche ou pauvre, parvenue ou éblouie par le luxe et la vie facile, un monde fait exclusivement d’apparences. « Ça te plairait pas d’être une chatte ? » demande Sofia à sa cousine en train de cuire du riz le plus naturellement du monde. Drôle de question en vérité, mais Sofia fait néanmoins preuve d’une certaine « sagesse » quand elle déclare à sa jeune cousine que « Moi l’amour ne m’intéresse pas – Tout le monde s’intéresse à l’amour ! (Neïma). Pas moi. Moi ce que j’aime, c’est les sensations, l’aventure. Pour moi les sentiments ça ne compte pas du tout, Tu veux que je te donne un conseil ? On doit jamais rien attendre, on doit tout provoquer par nous mêmes, tu comprends ? ».
« Est beau ce qu’on n’a pas envie de posséder, mais d’admirer », dira Benoît Magimel qui joue Philippe, un homme mélancolique tout à la solde du richissime Andres, collectionneur d’œuvres d’art autant que de femmes. C’est sur ce fil tendu entre le désir des hommes et ce que les femmes peuvent leur offrir que jouent Zahia Dehar et Mina Farid. Jusqu’à la rupture. « Elle était partie comme elle était arrivée, sans s’annoncer. Comme une fin de saison. On sait que ça va arriver mais on ne s’en rend compte que le jour d’après » (Mina Farid, alias Neïma). Sofia – la sirène ? - disparaît et le conte se referme, la réalité reprend le pas sur l’illusion. Si celle-ci fait passer au spectateur un bien agréable moment grâce à une belle mise en scène et une lumière méditerranéenne à crever les yeux, elle n’a rien de comique. Elle accentue la cruauté d’un monde qui n’a rien d’imaginaire : beaucoup de jeunes femmes contemporaines des actrices du film en rêvent, et sont prêtes à tout pour y parvenir…
F. S.
(1) Belle épine en 2011 sélectionné pour la Semaine de la Critique à Cannes et César du Meilleur espoir féminin pour Léa Seydoux. Grand Central en 2013 sélectionné pour Un Certain regard à Cannes également. Planétarium en 2015.
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